jeudi 18 septembre 2025

LES HOMMES DU PRESIDENT (Alan J. Pakula, 1976) - Hommage à Robert Redford


17 Juin 1972. L'agent de sécurité du complexe du Watergate appelle la police après voir découvert un scotch sur le verrou d'une porte destiné à ce qu'elle ne puisse pas être fermée. Les policiers arrivent sur place, fouillent l'immeuble à l'étage indiqué par l'agent de sécurité et arrêtent cinq hommes au siège du parti démocrate. Le lendemain matin, le journaliste du "Washington Post" Bob Woodward, averti du cambriolage, assiste à l'audience des cinq prévenus et remarque qu'ils sont représentés par un avocat de renom. 


Du matériel d'écoute électronique a été saisi sur eux et, lors de la mise en accusation, l'un des cambrioleurs, McCord, s'identifie comme étant un ancien agent de la CIA. Woodward découvre rapidement que McCord est lié à Howard Hunt, employé de Charles Colson, l'avocat du Président Richard Nixon. Au "Post", Carl Bernstein est désigné pour faire équipe avec Woodward sur cette affaire qui n'a qu'une importance locale pour la rédaction du journal. Mais Woodward va être contacté par un informateur anonyme qui lui donne rendez-vous dans un parking souterrain.


Surnommé par le journaliste "Gorge Profonde", cette source lui conseille de "suivre l'argent". Woodward et Bernstein s'intéressent donc aux contributions financières pour la campagne de réélection de Nixon et note qu'un certain Kenneth Dahlberg a signé un chèque de 2 500 $ au comité qui s'en occupe. Or le nom de Dahlberg figure dans le rapport d'enquête des autorités de Floride au sujet des cambrioleurs du Watergate originellement basés à Miami. Ben Bradlee, le rédacteur en chef du "Post", ne comprend pourquoi Nixon, en tête des sondages, serait impliqué dans une affaire de corruption mais laisse ses deux journalistes creuser encore...


Ce qu'il y a de fascinant avec le cinéma américain, c'est sa faculté à examiner l'Histoire du pays quasiment en direct. Songez que All The President's Men (en vo) est sorti seulement deux ans après la destitution de Richard Nixon ! C'est complètement fou ! Mais malgré de court laps de temps entre cet événement et le film qui en a été tiré, cela a donné un résultat bluffant.


Robert Redford est à l'origine du projet. Il engage son ami, le scénariste William Goldman (qui avait signé le script de Butch Cassidy et le Kid notamment), pour écrire un traitement de l'enquête de Bob Woodward et Carl Bernstein. Il confie la réalisation à Alan J. Pakula (dont il a apprécié le thriller parano, Klute, 1971, avec son amie Jane Fonda) et soumet le scénario aux deux journalistes.


Woodward est content, mais Bernstein un peu moins alors il obtient de Redford de pouvoir corriger certains éléments avec sa fiancée de l'époque, Nora Ephron (qui deviendra ensuite scénariste et réalisatrice - on lui doit notamment le script de Quand Harry rencontre Sally). Goldman, apprenant cela, est furieux et Redford se range de son côté en lisant ce qu'ont produit Bernstein et Ephron.


Redford était un acteur intelligent car il savait qu'il lui fallait un partenaire de jeu très solide pour raconter cette histoire. Il a envie, à cette époque, de se frotter à cette nouvelle vague de comédiens issus du Nouvel Hollywood, adeptes (comme le fut son ami Newman) de la Méthode. Il pense à Al Pacino avant de préférer Dustin Hoffman, qui a pourtant déjà une réputation d'emmerdeur perfectionniste sur les tournages.

Mais Redford impose sa préférence à la production. Il s'entend avec Hoffman au point que pour être sûr qu'ils vont s'accorder, chacun apprend les dialogues de l'autre en plus des siens. Redford se prend même un peu au jeu d'Hoffman en obtenant de Woodward qu'il lui prête des accessoires lui appartenant (comme sa montre, un costume) afin de mieux l'incarner.

Pakula s'entoure du directeur de la photo Gordon Willis, qui a travaillé sur Klute. Le film baigne dans une ambiance oppressante, toujours entre chien et loup, qui bénéficie à la tension du récit. Pakula, lui, doit relever le défi de rendre efficace un film qui repose exclusivement sur des dialogues, sans aucune scène spectaculaire d'action.

Les Hommes du Président est une réussite. Mais c'est aussi un film qui est plus concluant sur ce qu'il dit du journalisme d'investigation que sur sa pure qualité cinématographique. Malgré sa technique irréprochable, il est un peu long et se termine de manière un peu trop expéditive car le scénario ne couvre que les sept premiers mois de l'enquête publiée par le "Post".

Comme on sait comment l'histoire s'est terminée, je ne spoile personne : Nixon sera réélu en 1973 puis contraint à la démission après le témoignage accablant d'un des membres de son comité de campagne et les accusations portées contre ses plus proches collaborateurs. Gerald Ford lui succédera à la Maison-Blanche et le scandale du Watergate sonnera à jamais comme le plus retentissant camouflet politique américain (jusqu'à ce que Trump tombe pour ses liens avec Jeffrey Epstein ?).

Mais revenons au film lui-même : il a ses défauts, mais il reste passionnant. Pakula réalise un travail admirable pour captiver le spectateur avec deux hommes qui passent la moitié de leur temps au téléphone pour obtenir des entretiens avec des gens haut placés (sans grand succès) et l'autre moitié à questionner d'autres gens susceptibles de livrer des informations compromettantes mais effrayés à l'idée de dénoncer des responsables politiques.

Autrement dit Les Hommes du Président est finalement moins un film sur la révélation tonitruante d'un scandale d'Etat que sur la frustration de deux enquêteurs au nez desquels on claque systématiquement la porte. Y compris au sein du journal dans lequel ils travaillent. Car quand Woodward et Bernstein débutent leurs investigations, le Watergate est à peine considéré comme plus qu'un fait divers local !

Et comme je l'ai dit plus haut, le film lui-même ne raconte que les sept premiers mois de l'enquête des "WoodStein" comme leurs confrères les surnommaient. Sept mois où leur rédacteur en chef, Ben Bradlee, leur reproche fréquemment de ne pas avoir de faits à exposer, de témoignages solides, de personnes acceptant d'être citées.

Quand les supérieurs de Woodward apprennent qu'il a une source anonyme qu'il a surnommée "Gorge Profonde", en référence pornographique de 1972, on se moque de lui. Et d'ailleurs ce "Gorge Profonde" ne lâche des infos qu'au compte-goutte, de manière vague, frustrant encore plus Woodward. Pour l'anecdote, le vrai Woodward aurait révélé à Redford l'identité de "Gorge Profonde" contre la promesse qu'il ne la répéterait pas...

Donc nous voilà à suivre une intrigue extrêmement filandreuse où on lâche un nombre important de noms de responsables aujourd'hui totalement oubliés et avec, pour héros, deux journalistes que leurs chefs ne prennent pas au sérieux et qui ont, c'est vrai, peu de résultats probants... Et pourtant, impossible de lâcher le visionnage du film.

On est là, pantelant, à attendre un twist, un coup de théâtre, le moment-choc où Woodward et Bernstein vont enfin mettre la main sur un document qui fera tomber comme un château de cartes cette machination... Tout ça pour qu'à la dernière scène la caméra fixe un téléscripteur énonçant que les responsables plaident coupables, sont condamnés, Nixon démissionne, Ford le remplace.

C'est peu, et je ne pense pas qu'aujourd'hui aucun producteur ou spectateur ne s'en contenterait. Mais ce côté laborieux, c'est ce qui fait le prix de ce film. Les journalistes n'y sont pas idéalisés, ils ne résolvent pas un complot en 138', on les voit avancer avec le vent de face, trébuchant sans arrêt mais persévérant, convaincant leurs chefs, les témoins, et nous-mêmes que tout ça a un sens, un but, un intérêt.

Robert Redford est fabuleux dans le rôle de Woodward : il est dans cet underplay permanent qui rend son jeu si intense. Dustin Hoffman est également impeccable avec une partition plus mobile, extravertie, en contrepoint. Et Jason Robards est magistral dans le rôle de Ben Bradlee, le rédacteur en chef intransigeant avec les faits, les preuves. Hal Holbrook, enfin, génial second rôle, assume le personnage de "Gorge Profonde", toujours dans la pénombre, distant, mais décisif.

C'était une autre des multiples facettes de Redford, démocrate convaincu, qui a dû vivre avec désolation le retour de Trump ces derniers mois. Souhaitons qu'il y ait encore des Woodward et Bernstein pour confondre l'agent orange et le pousser hors de la Maison-Blanche comme Nixon (même si ce ne sera certainement plus le "Post" qui le fera, désormais propriété de Jeff Bezos, pantin de Trump)...

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