vendredi 19 septembre 2025

JEREMIAH JOHNSON (Sydney Pollack, 1972) - Hommage à Robert Redford


1848. Vétéran de la Guerre américano-mexicaine, Jeremiah Johnson part vivre seul dans les montagnes Rocheuses comme trappeur. Son premier Hiver est très difficile : il n'a pas le bon fusil pour chasser et il pêche mal. C'est d'ailleurs ainsi qu'il croise son premier indien, Chemise Rouge, qui le toise avec mépris mais s'éloigne ensuite. En montant toujours plus haut, il découvre le cadavre d'un trappeur gelé qui tient un fusil dans une main et un papier dans l'autre, où il a écrit qu'il léguait son arme à celui qui le trouverait, en souhaitant que ce soit un homme blanc.
 

Jeremiah rencontre ensuite Griffes d'ours, un trappeur expérimenté qui lui apprend comment survivre dans cette région et les rudiments de la chasse, du dépeçage et de la tannerie traditionnelle, mais aussi les coutumes des indiens qui peuplent les montagnes. Au Printemps, Jeremiah redescend dans la plaine et arrive à une maison dont les habitants ont été massacrés par des indiens. La mère de famille a perdu la raison et son dernier fils est devenu muet. Elle le lui confie, refusant de quitter l'endroit, même après que Jeremiah ait enterré les morts.


Jeremiah baptise le garçon du prénom de Caleb et, avec lui, il découvre enterré jusqu'au coup dans le sable un chasseur, Del Glue, dépouillé par des indiens Pieds-Noirs. Les deux hommes les retrouvent et récupèrent le bien de Glue qui scalpent les voleurs. Le lendemain, ils tombent sur des indiens Têtes-Plates, dont le chef de tribu parle anglais. Jeremiah lui donne un de ses chevaux et Deux-Langues sa fille, Cygne. Après la cérémonie de mariage, Glue s'en va de son côté. Après avoir longtemps erré, Jeremiah trouve enfin l'endroit parfait pour bâtir une maison pour lui et sa "famille"...


S'i devait n'en rester qu'un, ce serait celui-là : Jeremiah Johnson est sans doute le film qui résume le mieux Robert Redford. C'est certainement son plus beau rôle (même si je ne connais pas toute da filmographie, mais de ce que j'en connais, c'est là où je le trouve le plus impressionnant). Et c'est sa deuxième collaboration avec Sydney Pollack, avec qui il travailla sept fois.


En 1972, le western est un genre moribond aux Etats-Unis. Les westerns spaghetti ont supplanté ceux produits par les américains et donnent une vision plus noire, plus satirique aussi de l'Ouest, des cowboys et de tout le folklore inhérent au genre. Les cinéastes américains s'adaptent à cette nouvelle donne en revisitant le western sous une forme plus brutale.


Cela a débuté avec La Horde Sauvage de Sam Peckinpah en 1969. Après les années 70, le genre tombera en désuétude et dans l'oubli, même s'il y aura encore de bons longs métrages ponctuellement (Silverado, Danse avec les loups...). Mais Jeremiah Johnson est-il seulement un western ? On peut se poser la question, même si les historiens l'ont catégorisé ainsi.


Aujourd'hui, on parlerait plutôt de récit survivaliste. Mais c'est parce qu'il y a eu The Revenant d'Alejandro Gonzalez Iñarritu (2015) avec Leonardo di Caprio, que beaucoup ont comparé à Jeremiah Johnson (mais sans avoir la poésie).

Robert Redford, comme j'ai eu l'occasion de l'écrire par ailleurs, se distinguait de beaucoup de stars, d'hier et d'aujourd'hui, par le fait qu'il aimait donner la réplique à des partenaires aussi, sinon plus prestigieux que lui. Son duo avec Paul Newman, ses collaborations avec Jane Fonda, entre autres, montrent à quel point il aimait partager l'affiche.

Mais Jeremiah Johnson, c'est tout l'inverse. Dès la première scène, Redford est seul. Son personnage veut être seul. C'est un vétéran de la guerre entre le Mexique et les Etats-Unis (1846-1848) et on devine, sans avoir besoin qu'on nous l'explique, qu'il a été témoin d'horreurs sur le champ de bataille. Et c'est pour cela qu'il fuit la civilisation. C'est un homme qui ne veut plus faire partie des hommes parce qu'il a vu les atrocités qu'ils commettaient.

Il s'enfonce donc dans une nature particulièrement hostile, celle des montagnes Rocheuses, en plein Hiver. Il chasse mal, pêche mal, quand il fait un feu la neige d'un arbre tombe sur le foyer et l'éteint. Il est mal équipé. Sa vie ne tient qu'à un fil. Et il en mesure la précarité quand il découvre le cadavre d'un trappeur, littéralement gelé après avoir tué un ours, qui a laissé un mot pour léguer son fusil à un homme blanc qui le trouverait.

Puis sa rencontre avec un trappeur expérimenté va lui permettre d'apprendre à résister aux éléments contraires. Griffes d'ours est un personnage truculent mais également en rupture de ban. Quand, plus tard, Jeremiah Johnson lui demandera s'il sait en quel mois de l'année ils sont, il ne saura pas lui répondre, ayant perdu toute notion du temps.

Le film montre très bien l'isolement de ces aventuriers. Les décors, grandioses et effrayants à la fois, réduisent les personnages à des silhouettes minuscules dans un grand blanc. Les conditions de vie sont au mieux rudimentaires. On ne triche pas avec la nature, dira Griffes d'ours, comme un avertissement. Soit on cohabite avec elle, soit elle vous tue.

Le scénario de John Milius et Edward Anhalt est inspiré de la vie du vrai Jeff Jeremiah Johnson, dit "le mangeur de foies", et s'appuie sur deux textes décrivant la vie des trappeurs au milieu du XIXème siècle dans l'Ouest américain. Milius verra son script corrigé par Pollack, notamment pour le dénouement qu'il voulait brutal et sanglant, et qui fait place à une conclusion plus équivoque.

Pourtant le voyage de Jeremiah Johnson n'est pas avare en passages violents. Il trouve sur son chemin une femme devenue folle après le massacre de sa famille et qui lui confie son dernier fils, devenu muet après ce traumatisme. Plus loin, Johnson s'embarquera dans une vendetta personnelle contre la tribu des Corbeaux, responsable de crimes contre des êtres chers à son coeur.

Cela conduira notre héros à des affrontements fréquents et imprévisibles car les Corbeaux ne cesseront ensuite de vouloir l'éliminer pour avoir tué certains des leurs. Mais cela contribuera à faire de lui une légende, à la fois haïe et respectée, honnie et redoutée. A la toue fin, les hostilités semblent terminées, mais Jeremiah Johnson n'a-t-il pas laissé son âme dans ces combats ?

En vérité, le récit montre que, quel que soit ce qu'on fuit, la violence vous rattrape toujours. Jeremiah Johnson a voulu laisser derrière lui les démons de la guerre et il est rattrapé par la haine d'indiens dont il a profané, contre son gré, un cimetière, redevenant pour survivre un soldat, un guerrier. Il atteindra la frontière canadienne, mais aura-t-il atteint la paix intérieure ?

Ces épreuves nous paraissent d'autant plus injustes que, si Jeremiah Johnson peut se montrer bourru, misanthrope, il vit une séquence de bonheur avec Cygne et Caleb, qui forme une drôle de famille recomposée, avec la fille d'un chef de tribu et un orphelin. Pendant un moment, ces trois-là vivent, à l'écart de tout, dans un havre de paix, simple et chaleureux. Et puis...

... Et puis un détachement de la cavalerie surgit et entraîne Jeremiah dans une mission à l'issue dramatique pour lui. Un sentiment de profonde injustice s'empare du spectateur qui a appris à aimer cet homme, à le comprendre, même s'il reste fondamentalement opaque, mystérieux. La dernière partie du film le renvoie à la solitude, aux difficultés, à la survie, au poids du destin.

Tourné en décors naturels, dans ces montagnes où Redford aura fini par s'éloigner lui aussi des mondanités hollywoodiennes et où il fondera le Festival du film indépendant de Sundance, le film a valeur d'autoportrait pour l'acteur. Certes il n'était pas aussi sauvage que son personnage, mais tout aussi épris de liberté, de grands espaces, d'ailleurs. D'où son engagement écologiste.

Sydney Pollack filme Redford comme personne : ce n'était pas son double, comme pouvait l'être de Niro avec Scorsese, mais son interprète au sens littéral, c'est-à-dire celui qui traduisait le mieux son cinéma. Les deux se nourrissaient l'un l'autre, étaient sur la même longueur d'ondes. Ils faisaient ressortir le meilleur d'eux-mêmes.

L'aspect atypique du film résidait donc dans le fait que Redford, cette fois, était la seule vedette du film. Il y a de nombreuses scènes où il est seul à l'image, sans rien dire (on n'allait pas le faire parler tout seul). Il est tout simplement là, il fait exister ce personnage, il lui donne chair et âme, complexité, ambivalence. Même barbu, les cheveux longs, il reste séduisant. Son regard est perçant et mélancolique.

Les seconds rôles le restent, dans la mesure où ils ne font que passer, plus ou moins longuement, épousant la structure épisodique du récit (qui démarre avec une "Overture", comporte une "Intermission"). Will Greer, Josh Albee, Delle Bolton, Joaquin Martinez, Stefan Gierasch sont remarquables, mémorables.

Ce qui est le plus troublant, en revoyant Jeremiah Johnson, c'est que, comme le personnage, on ne sait plus vraiment où on est, combien de temps dure cette histoire. Elle pourrait s'être passée en quelques semaines, quelques mois, ou des années. Géographiquement, on se perd aussi dans ces immensités montagneuses ou ces plaines sans nom.

L'expérience a quelque chose de quasi mystique, qui lui donne son souffle, sa grandeur, mais sans effets de manche. Finalement, Jeremiah Johnson est une sorte de trip. Loin de tout, hors du temps. C'est pour cela qu'il est éternel et si poignant.

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