mercredi 10 septembre 2025

CAPTAIN AMERICA #3 (Chip Zdarsky / Valerio Schiti)


Au Moyen-Orient, Davey Colton et ses hommes sont victimes d'un attentat à la bombe qui amène un soldat américain à riposter sans discernement... En Latvérie, Steve Rogers est dérouté par l'attitude du Dr. Fatalis qui exprime son admiration et lui explique qu'il n'a rien à voir avec Hitler...


Ce troisième épisode de Captain America par Chip Zdarsky et Valerio Schiti est le meilleur qu'ils ont produit depuis la relance de la série. On a vraiment l'impression d'entrer dans la vif du sujet et de saisir le propos que veut tenir le scénariste, après avoir repris à son compte le cliché du man out time et en resituant le retour du héros étoilé dans le monde post-11 Septembre 2001.


J'avoue, en effet, que les deux premiers chapitres m'avaient franchement dérouté et quelque peu laissé sur ma faim. Ecrire un personnage comme Captain America n'est pas chose aisée : il faut à la fois trouver un angle nouveau pour un héros qui est apparu il y a 85 ans et en même temps le respecter pour les valeurs qu'il incarne (un redresseur de torts qui représente l'idéal américain mais ses autorités).


En le déplaçant chronologiquement à une date précise pour sa réanimation, Zdarsky prenait le risque d'un décalage trop grand en même temps qu'une contextualisation trop proche. Mais finalement, avec cet épisode, on comprend sa démarche puisqu'il confronte Captain America à un vilain comme le Dr. Fatalis et met en scène leur face-à-face avec une redoutable intelligence.


L'épisode est ponctué par de nouveaux flashbacks concernant Davey Colton, devenu une sorte de Captain America-bis dans la foulée de la tragédie du 9/11. On le voit servir au Moyen-Orient où il est victime avec son équipe d'un attentat à la bombe. Remis du choc, un soldat riposte et abat un enfant, justifiant son geste par sa conviction qu'il était complice des terroristes.

Ce drame a profondément traumatisé Colton, au point de le briser, d'en faire, comme il le dit lui-même, un "fantôme". Et Captain America, selon Zdarsky, est une histoire de fantômes comme il va le prouver en mettant en parallèle cette séquence et la rencontre entre Steve Rogers et Victor von Doom. Un procédé troublant mais parfaitement conçu.

Comment réagir quand l'homme qu'on vous a décrit comme étant un tyran ayant pris en otages vos concitoyens dit de vous que vous avez été un exemple pour lui ? C'est désarçonnant et on mesure à quel point Rogers a du mal à intégrer cela. D'autant que von Doom étaye ses propos en montrant notamment sa collection de reliques de la 2nde guerre mondiale, à la gloire de Captain America et Bucky.

Fatalis refuse la comparaison avec Hitler avec un argument étonnant : lui n'a pas été élu.  Sa fermeté est une réponse à la lâcheté d'un dictateur qui voulut conquérir le monde et se suicida après avoir échoué. Cet autoportrait est à la fois lucide et dérangeant car il est vrai. Fatalis n'est effectivement pas Hitler. Il dirige son royaume d'une main de fer, mais il n'est pas un monstre génocidaire, encore moins quelqu'un qui se cache.

Zdarsky va démontrer alors que Rogers est un fantôme comme Colton en appuyant là où ça fait mal. Pour Rogers, gagner la guerre, c'était vaincre les méchants, évoluer dans un monde archaïque, avec des ennemis facilement indentifiables. Mais aujourd'hui, que sait-il d'un monde dans lequel il vient de se réveiller et qui est beaucoup plus ambigu ? Il erre comme un fantôme plus que comme un être de chair dans cet environnement-là.

Rogers a été porté par ses convictions sommaires (le Bien, le Mal) et son optimisme, il véhiculait l'espoir du monde libre, de l'Amérique de Roosevelt. En 2001, il est un soldat aux ordres d'un général qui rend des comptes à George W. Bush. Mais il voit toujours le monde en noir et blanc. Et Fatalis lui explique que les Etats-Unis ne sont plus cette nation qu'il a connue.

Cela brise Rogers comme cela a brisé Colton. Mais différemment : Colton a continué à servir son pays, même en sachant qu'il menait une guerre sale. Rogers, lui, saisit que ce que lui dit Fatalis est vrai : l'Amérique n'est plus le libérateur, c'est un oppresseur comme les autres, un pays qui ne vainc pas les ennemis mais qui s'en créé de nouveaux pour dominer. Pour justifier des opérations de guerre.

Ce sens de la nuance, même perturbant, fait la force du projet de ce nouveau run. Zdarsky comme Schiti montrent tout sans détourner le regard, notamment l'aspect le plus sombre de l'Amérique moderne et le décalage avec les idéaux dépassés de Captain America. Schiti réalise aussi son meilleur travail sur le titre après des débuts moyens.

Qu'il s'agisse des flashbacks et de l'atrocité d'un attentat et de la riposte, ou des scènes entre Rogers et von Doom, il se dégage de ses dessins une intensité captivante et poignante. Le découpage sait se faire aussi direct qu'évocateur avec l'apparition spectrale de l'enfant tué jadis alors que Colton investit le bâtiment où sont retenus les otages américains en Latvérie.

Mais ce qui est peut-être encore plus remarquable, c'est bien le dialogue entre Rogers et von Doom, électrique, où Schiti parvient avec subtilité à montrer à quel point la situation est compliquée, complexe. Et la chute de l'épisode est terrible, montrant en parallèle Rogers et Colton et le fossé qui les sépare, brouillant complètement la mission qu'ils effectuent et qui va inévitablement voir leur relation s'altérer.

Quand un comic book super héroïque réussit à être aussi dense et palpitant, on tient quelque chose de précieux. Il faudra confirmer évidemment, mais Zdarsky et Schiti ont affiché leurs ambitions, et elles sont impressionnantes.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire