lundi 1 septembre 2025

FURY (David Ayer, 2014)


Avril 1945. Lors de l'invasion de l'Allemagne par les Alliés occidentaux, le sergent major Don "Wardaddy" Colier commande l'équipage d'un tank Sherman surnommé "Fury". Il a sous ses ordres le tireur Boyd "Bible" Swan, le chargeur Grady "Coon-Ass" Travis et le conducteur Trini "Gordo" Garcia, avec qui il sert depuis la campagne en Afrique du Nord. Après avoir perdu son quatrième homme lors d'un combat, on lui assigne le soldat de première classe Norman Ellison, ancien commis en dactylographie.


L'équipe du "Fury" moque Norman pour son inexpérience et son aversion pour la violence. Alors qu'une colonne de chars américains traverse un sentier, Ellison remarque des membres des Jeunesses hitlériennes dans les bois environnants mais ne donne pas l'alerte : l'instant d'après, une embuscade piège le char de tête et tue le chef de peloton et ses hommes. Collier passe un savon à Ellison mais ce ne sera pas sa dernière erreur.
 

En effet, lors d'un assaut donné par l'infanterie et les canons antichars allemands, plusieurs soldats américains tombent encore. Mais cette fois-ci, les ennemis sont décimés. Collier force alors Ellison à empoigner son revolver pour exécuter un troufion allemand capturé. Arrivé à Kirchohsen, Collier et Ellison entrent dans un immeuble et trouvent deux femmes qui se cachent dans un appartement. Collier leur demande de leur préparer un repas tandis qu'Ellison se met à jouer sur le piano qu'elles possèdent, bientôt accompagné au chant par l'une des femmes...
 

Il y aura eu pour David Ayer un avant et un après Fury. Le film est considéré, à juste titre, comme son meilleur, mais ce sera pour son malheur en quelque sorte. Grâce aux critiques élogieuses et au succès public qu'il reçoit, le cinéaste est sollicité par le studio Warner pour diriger l'adaptation du comic-book Suicide Squad...
 

Hélas ! au montage, le film lui échappe et la version qui sort en salles est raillée par la presse même si le public lui réserve un meilleur accueil. Toutefois Ayer ne reconnaît pas son projet et le désavoue. Il entame une campagne, pathétique, pour que soit exploité son director's cut. Ce qui n'arrive pas - et n'arrivera certainement jamais.


Depuis, comme vidé par ce combat sans espoir, il est retombé dans le cinéma bis où il a débuté, signant des films d'action sans envergure, et sa réputation est celle d'un emmerdeur indigne de confiance. Que cela soit vrai ou faux, Ayer a rejoint la longue liste des cinéastes qui ont affronté le système hollywoodien qui l'a renvoyé dans les cordes.


Fury est donc une sorte d'échantillon de ce qu'aurait pu faire Ayer s'il n'avait pas cédé aux sirènes de la Warner et avait préféré développé une filmographie personnelle au lieu de s'entêter à vouloir montrer le montage d'un film de super héros dont aujourd'hui tout le monde se contrefout - encore plus depuis que James Gunn en a réalisé une autre version, plus fun et sans doute plus aboutie.

Quand on découvre Fury, un nom vient tout de suite à l'esprit : celui de Samuel Fuller, le meilleur cinéaste de films de guerre, qui fut lui-même soldat lors de la seconde guerre mondiale. En 1980, il réalisa un chef d'oeuvre, Au-delà de la gloire, qui a sûrement dû être vu et estimé par David Ayer, sur un groupe de soldats qui défie chaque jour la mort durant le conflit de 39-45.

Le dispositif ici consiste à enfermer cinq soldats dans un tank. Les blindés Sherman n'étaient pas des machines très performantes, car moins résistants que les Tiger I allemands, mais présentaient un avantage : ils étaient plus rapides, manoeuvrables, précis. L'action se situe à la fin de la guerre quand les Alliés pénètrent en Allemagne pour y vaincre les dernières poches de résistance ennemies.

On suit l'équipage du "Fury", des hommes qui se connaissent depuis la campagne d'Afrique du Nord et dont le plus haut gradé s'appelle Don "Wardaddy" Collier. Il a fait le voeu que ses soldats rentreraient tous vivants à la maison et ceux-ci lui vouent un respect sans bornes. Chacun est affublé d'un surnom en relation avec son caractère : "Bible", Gordo", Coon-Ass".

En intégrant dans leurs rangs un bleu qui n'a rien à faire dans un tank, tout change. Norman Ellison est un gamin, avec à peine huit semaines de service actif et une aversion pour la violence. Quand on lui commande de tirer sur des cadavres de soldats allemands pour être sûr qu'ils sont morts, il ne comprend et rétorque qu'il n'est pas là pour ça.

Juste après, Collier lui force la main, littéralement, pour qu'il abatte un soldat allemand capturé. Ellison résiste jusqu'à ce qu'il ne le puisse plus. Collier lui explique que la guerre se résume à ça : c'était lui ou le boche. Et Collier insiste : il est là pour tuer le plus de fritz possible et éliminer Hitler s'il le trouve. On l'aura compris : Collier est un sombre connard.

Mais c'est aussi (surtout ?) un soldat que la guerre a déshumanisé et c'est pour ça que Ellison ne veut pas lui obéir aveuglément, ne veut pas lui ressembler, et tant pis si ça lui vaut les ricanements de Gordo, Coon-Ass et Bible (et des tous les autres américains). Tout l'enjeu du film est quasiment résumé ainsi : le soldats sur le terrain, confrontés aux pires horreurs, deviennent eux-mêmes aussi cruels, abjects que leur ennemi.

Le film s'ouvre sur une scène superbe et atroce : un officier allemand sur un cheval blanc traverse un champ de bataille. Le spectateur sait qu'il s'agit du prélude à une autre scène violente. Et c'est ce qui se produit : Collier surgit de derrière un tank, renverse l'allemand de son cheval et le tue avec un couteau de chasse. Puis il enlève le harnachement du cheval et le fait s'éloigner.

Tout est également dit dans cette séquence qui commence comme un conte de fée et se termine à la fois comme un châtiment et une libération. Plus tard, alors que Collier et ses hommes dînent chez deux allemandes, Gordo raconte à Ellison comment, après le débarquement de Normandie, ils ont passé plusieurs jours, à bord du "Fury", à achever des chevaux mutilés par les bombardements.

Cette évocation coupe l'appétit de Collier alors qu'on l'a vu, juste avant, apparaître sous un jour nouveau, moins antipathique, aimable et prévenant avec les deux allemandes à qui il a offert des oeufs, des cigarettes, pour qu'elles leur préparent un repas, à lui et Ellison. Ce dernier s'isole même dans une chambre avec l'une des deux femmes et couche avec elle, tendrement. 

Puis lorsque Coon-Ass, Gordo et Bible arrivent et comprennent ce qui s'est passé, ils menacent de violer les deux femmes, ce que leur refuse Collier. Progressivement, le script, écrit par Ayer, montre ce leader d'abord détestable puis plus humain et enfin franchement héroïque. Il y a un certain sentimentalisme, inattendu, de la part du cinéaste. Et c'est ce qui le distingue de Fuller.

On peut penser qu'en écrivant son héros ainsi, Ayer se montre faible après avoir montré la guerre et son impact sur les hommes avec une lucidité implacable. Mais on le dénouement prouve qu'il reste une part de fanatisme dans l'équipe du "Fury", que la figure paternelle de Collier endoctrine ses hommes et qu'au lieu de les sauver, il les précipite vers la mort. Chacun jugera. Mais on ne peut pas reprocher à Ayer d'être ambigu à bon escient.

Baignant dans les tons de gris et de brun, je jurerai que le cinéaste aurait bien aimé filmer son odyssée immersive en noir et blanc pour la rendre plus intense encore. D'ailleurs, bien que l'histoire se passe au Printemps, tout fait penser à l'Hiver : la buée qui sort de la bouche des soldats, les paysages désolés, le ciel lourd. On est au bout du monde, d'un monde, d'une époque.

Le casting forme une vraie troupe où chacun existe et fait corps avec les autres. Brad Pitt est une fois encore exceptionnel, charismatique, haïssable, mais surtout indéchiffrable, opaque. Logan Lerman joue le rookie avec une sensibilité à fleur de peau bouleversante. Jon Bernthal est toujours aussi impressionnant dans le rôle du plus grossier des soldats. Shia LaBoeuf est d'une sobriété exemplaire. Seul Michael Peña a un rôle moins étoffé.

Fury est un film parfois un peu long (134' quand même). Mais l'expérience qu'il propose est captivante et mémorable. Il est vraiment dommage que son auteur se soit usé en se battant contre des moulins à vent ensuite...

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