Début du XXème siècle, Banning, Californie. Willie Boy, un indien de la tribu Paiute, revient dans la région pour revoir et épouser Lola Boniface, après avoir purgé une peine de prison. Le père de la jeune femme refuse cette union et les surprend la nuit tombée dans un bois. Willie le désarme et l'abat en état de légitime défense. Selon la coutume indienne, il peut alors la revendiquer comme sa femme. Selon la loi, le shérif adjoint Cooper doit l'arrêter.
Durant les jours suivants, accompagné d'une milice, Cooper pourchasse les deux amants en cavale. Toutefois il doit rentrer en ville car le Président William Taft y est attendu et il doit en assurer la sécurité. Willie parvient à tendre une embuscade à la milice et tire sur leurs chevaux, mais blesse accidentellement un chasseur de primes, ce qui entraîne une autre accusation pour meurtre.
Prévenu de l'évolution des événements, Cooper rejoint la milice. Le groupe se sépare en deux et Cooper entre dans une réserve indienne abandonnée où il découvre le cadavre de Lola, tuée d'une balle dans le coeur, sans pouvoir déterminer s'il s'agit d'un suicide ou si Willie l'a tuée pour ne plus être freiné. Cooper renvoie les miliciens pour qu'ils ramènent le cadavre en ville et le fasse enterrer puis part seul à la poursuite de Willie...
En 1969, Butch Cassidy et le Kid est sur le point de sortir en salles mais la 20th Century Fox n'est pas optimiste. Les projections tests se sont mal passées et les critiques sont au mieux tièdes (la célèbre Pauline Kael l'étrilla). Pourtant le public sera au rendez-vous et le long métrage de Goerge Roy Hill va devenir un énorme succès commercial et un film culte.
C'est alors que Universal décide de profiter du triomphe de Butch Cassidy et le Kid pour exploiter en salles un film dans lequel Robert Reford, devenu soudainement une star, a tourné juste avant : Tell Them Willie Boy Is Here (en vo). C'est également un western, ce qui facilite la publicité et la distribution.
La raison pour laquelle Willie Boy (en vf) attendait son tour (et aurait pu l'attendre encore longtemps), c'est que son scénariste et réalisateur est Abraham Polonsky. Aujourd'hui, ce nom est tombé dans l'oubli, mais l'histoire de cet auteur mérite d'être rappelée, au moins pour comprendre ce qui se jouait avec ce long métrage.
20 ans auparavant, Polonsky était un un grand espoir à Hollywood. Son talent de plume et derrière la caméra, résumé dans L'Enfer de la Corruption (1948), en témoigne. Mais quand le comité des activités anti-américaines créé par le sénateur McCarthy se mit à traquer les sympathisants communistes dans le milieu du cinéma, Polonsky allait faire partie de ses premières victimes.
Contrairement à d'autres (comme Elia Kazan), qui dénoncèrent leurs camarades pour pouvoir continuer à travailler, Polonsky refusa de répondre aux interrogatoires. Il fut aussitôt mis au ban et pendant une vingtaine d'années empêché d'exercer, autrement que sous des noms d'emprunts (et encore quand les producteurs n'avaient pas peur que le subterfuge ne soit découvert).
Willie Boy marquait donc son retour aux affaires, en pleine lumière. Bien que la légende raconte que Robert Redford n'apprécia que modérément les méthodes du cinéaste, il savait néanmoins par quoi il était passé et s'engagea pour le film alors qu'il n'était pas encore une vedette. D'ailleurs son rôle n'est pas exactement héroïque.
Mais c'est à cela qu'on reconnaît une bonne histoire et donc un bon film : l'absence de manichéisme. Tout est ambigu ici. Dès le départ, il est évoqué que Willie Boy sort de prison mais on ne saura jamais pour quelle raison il en a fait (tout juste devine-t-on qu'il a déjà essayé d'enlever Lola et peut-être cela lui a-t-il valu un séjour derrière les barreaux).
Ensuite, lorsqu'il tue le père de Lola, l'action est si rapide (et se déroule en pleine nuit dans un sous-bois) qu'il n'est pas possible de dire s'il le fait réellement en état de légitime défense. Le père de Lola venait, ça, c'est certain, pour tuer Willie. Mais Willie l'abat après l'avoir désarmé et sans hésiter (alors que le père ne représente plus une menace).
Durant leur cavale, les rapports entre Willie et Lola sont toujours tendus : la jeune femme semble à plusieurs reprises regretter de l'avoir suivi, et il lui répond qu'elle est sa femme comme la coutume indienne l'autorise à la considérer désormais. Il lui parle durement, la bouscule fréquemment. Il l'aime, c'est certain, mais d'une manière frustre. Polonsky ne cherche pas à en faire un garçon sympathique.
De l'autre côté, le personnage du shérif adjoint Cooper est tout aussi équivoque : il entretient une relation avec la superintendante de la réserve où vivent Lola et son père, mais il paraît évident que leur relation est toxique. Cooper est un mâle dominant qui ne supporte pas que cette femme, plus éduquée, plus sophistiquée que lui, puisse le dominer.
Il applique la loi avec rigueur et il faut attendre le dernier acte pour qu'il considère la situation avec plus d'amertume que de satisfaction pour le devoir accompli. Auparavant, il fait équipe avec une milice qui compte autant de civils préférant capturer Willie vivant que de membres présents pour chasser le sauvage "comme au bon vieux temps". Là encore Polonsky se garde bien de tout sentimentalisme.
C'est aussi sans doute pour cela que le studio ne savait pas trop comment vendre ce western sans héros, sans morale tout faite. Ici, personne n'est d'une seule pièce et le drame qui se déploie durant 95' empêche le spectateur de se faire un avis tranché sur ses protagonistes. Polonsky devra d'ailleurs amputer son film d'une trentaine de minutes (la durée de la poursuite finale entre Cooper et Willie, qui devait être muette).
Et puis cette chasse à l'indien est sans cesse parasitée par des événements extérieurs, périphériques. La ville de Banning où tout débute doit accueillir le Président William Taft (son mandat a couru de 1909 à 1913), venu pour remplacer Liz par un homme plus autoritaire à la direction de la réserve indienne.
Cooper est chargé avec le shérif du comté d'assurer la protection de Taft car un de ses prédécesseurs, William McKinley a été assassiné en 1901. Pour cela, il abandonne à contrecoeur la milice qu'il laisse poursuivre Willie et Lola en craignant qu'elle ne les tue. Et durant son retour en ville, Cooper comprend que l'affaire Willie Boy prend une ampleur exagérée (on parle de révolte indienne).
Polonsky charge donc son intrigue d'un arrière-fond politique qui fait penser à ce que lui-même a enduré. Comme Willie Boy, il a été persécuté par des autorités gouvernementales et emporté par un mouvement politique qui dépassait sa seule personne. Comme Willie Boy, il a vécu dans une sorte de réserve dont il n'avait plus le droit de sortir, dans l'ombre.
Certes le cinéaste n'a, lui, tué personne, mais on l'a traité comme un paria, un traitre. C'est aussi, et surtout pour cela que son film prenait la poussière sur une étagère avant que la popularité de Redford ne le sorte des limbes. Et même s'il n'a pas connu le succès de Butch Cassidy et le Kid, au moins a-t-il pu être vu et un peu relancer sa carrière d'auteur (un autre film comme réalisateur, et plusieurs comme comme scénariste).
Filmé en décors naturels, magnifiés par la photo du grand Conrad Hall, il bénéficie d'un casting excellent. Robert Blake incarne avec puissance le rôle titre. Robert Redford est étonnant dans la peau de l'ombrageux Cooper. Katharine Ross (qui fut également la partenaire de Redford dans Butch Cassidy... et la compagne de Hall) est plus surprenante en indienne (les maquilleurs ont eu la main lourde sur le fond de teint). Sans oublier Susan Clark, magistrale dans le rôle de la directrice de la réserve.
Willie Boy est un western atypique, mais surtout un grand film méconnu, d'une densité et d'une intensité peu communes.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire