11 Novembre 1918. Benjamin Button naît avec un corps de nourrisson mais l'apparence d'un homme très âgé et les carences qui vont avec. Sa mère meurt en couches et son père, Thomas, l'abandonne sur le porche d'une maison de retraite. La gardienne, Queenie, et le cuisinier, Mr. Weathers, le recueillent et l'élèvent. Il passe inaperçu au milieu des vieillards qui résident là. Mais les années suivantes, on se rend compte qu'il vieillit à l'envers, passant d'une chaise roulante à une paire de béquilles avant de finalement pouvoir marcher.
Thanksgiving 1930. Benjamin rencontre Daisy Fuller, 7 ans, petite-fille d'une pensionnaire de la maison de retraite et devient son ami. Elle comprend sa singularité. Plus tard il commence à travailler sur un remorqueur, le "Chelsea", commandé par le capitaine Clark. A l'Automne 1936, il s'engage pour une longue campagne en mer à bord de ce navire et entame un tour du monde avec l'équipage. Partout où il va, il envoie une carte postale à Daisy qui, elle, entre dans une compagnie du ballet de New York.
En 1941, stationné à Mourmansk, il a une liaison avec Elizabeth Abbott, la femme du ministre du commerce britannique. En Décembre de la même année, les Etats-Unis entrent en guerre après l'attaque japonaise contre la base de Pearl Harbor. Le "Chelsea" est affecté à des missions de sauvetage avant que ses membres soient quasiment tous décimés en affrontant un sous-marin allemand. Benjamin rentre à la Nouvelle-Orléans en Mai 1945 où il retrouve Queenie mais apprend que Mr. Weathers est mort. Puis il renoue avec Daisy qui a alors 22 ans...
A sa sortie en 2008, j'étais passé à côté de The Curious Case of Benjamin Button (en vo), échaudé par sa durée (166') et son sujet. Pourtant je suis un grand fan de David Fincher et le revoir collaborer avec Brad Pitt après Se7en et Fight Club était tentant, mais je ne me suis pas déplacé en salles pourtant. Puis le temps a passé - et c'est de circonstance pour un film qui traite de cela précisément...
La première fois que j'ai vu L'Etrange Histoire de Benjamin Button, en DVD, je ne suis pas allé jusqu'au bout. Pour tout dire, je me suis ennuyé. Je ne comprenais absolument pas les éloges que ce film recevait. Et puis le temps a encore passé - et finalement, c'était toujours de circonstance parce que, déjà à cette époque, j'avais les sentiment que tout vient à point à qui sait attendre.
J'ai une théorie, qui vaut ce qu'elle vaut, comme toute les théories de lecteur, elle s'inspire d'un droit du lecteur de Daniel Pennac, et c'est la suivante : il ne faut jamais se forcer, on a le droit de ne pas finir un livre quand on l'a commencé. Soit on ne le finira jamais, soit il arrivera le bon moment pour le lire en intégralité. Il faut savoir attendre d'être prêt, dans les bonnes dispositions.
Je suis convaincu que si, à l'école, au collège, au lycée, on n'obligeait pas les élèves à finir des livres qui ne leur plaisent pas du premier coup, on éduquerait de meilleurs lecteurs. Il y a cette espèce de religion du roman à l'école, alors que la plupart des jeunes lisent des BD, des comics, des mangas, ou se contenteraient de nouvelles. Mais c'est jugé moins noble, moins instructif et donc on force tout le monde à ingurgiter des romans comme on gave des oies.
Résultat : on dégoûte énormément d'élèves de lire des romans. Ou, à tout le moins, on a des élèves qui découvrent des textes bien après leurs études, quand ils en ont le temps, l'envie, quand ils se sentent prêts. Si un ministre de l'éducation nationale avait la bonne idée de mettre au programme des lectures adaptés à l'âge et l'envie des élèves, il créerait une génération de lecteurs heureux.
C'est pareil pour tout : la musique, le cinéma... Le cinéma, revenons-y. J'ai donc attendu mon heure pour regarder ...Benjamin Button. Et je ne l'ai pas regretté, comme je n'ai pas regretté les fois précédentes où ça n'avait pas fonctionné.  C'est un film qui demande de la patience, de l'immersion, de l'engagement. Et il ne faut pas y aller à reculons.
La base de ce film est un court texte de Francis Scott Fitzgerald (l'auteur de Gatsby le magnifique) dans lequel le héros naît littéralement vieillard, adulte, et meurt bébé. Il vieillit à l'envers. Eric Roth et Robin Swicord l'ont plus qu'adapté, ils l'ont développé et en ont produit une version bien plus profonde, moins gadget, plus triste aussi, et romantique.
Au tout début du film, alors que Caroline veille sa mère sur son lit de mort dans un hôpital de la Nouvelle-Orléans, cette dernière lui raconte une anecdote sur un horloger, M. Gateau, qui construisit une pendule pour une gare mais dont le mécanisme fonctionnait à rebours. C'était en fait un moyen symbolique pour entretenir l'espoir des familles de soldats partis guerroyer en Europe et portés disparus.
Peut-être qu'en inversant le temps, ils finiraient par revenir et donc ne jamais partir se faire tuer. David Fincher illustre ce prologue littéralement en montrant des soldats se relever sur le champ de bataille et reculer jusque dans les tranchées jusqu'à revenir sur le quai de gare où leurs familles les accompagnaient.
Puis débute alors l'histoire de Benjamin Button, qui arrive au monde avec la taille d'un nourrisson mais l'aspect d'un vieillard, avec la peau fripée, les os fragiles, la santé précaire. Sa mère meurt en lui donnant la vie, son père l'abandonne en croyant qu'il est un monstre. Il sera recueilli par un couple qui ne peut avoir d'enfants et l'aimera malgré son apparence et le pronostic pessimiste d'un médecin sur sa survie.
Fincher, en s'appuyant sur le script de Roth et Swicord, met tout son art, et il est immense, pour non pas faire de ce personnage une sorte de bête de foire, mais bien pour souligner à quel point la nature est bien faîte. Né au mauvais endroit avec le mauvais physique, il sera élevé avec amour dans un lieu plus modeste dans lequel il passe finalement inaperçu, au milieu de personnes âgées.
De 1918 à 1941, le premier acte du film prend son temps pour montrer à quel point Benjamin Button reste un gamin puis un garçonnet avec l'aspect d'un vieil homme. La performance technique est extraordinaire, les effets spéciaux sont d'un réalisme incroyable, mais surtout parce qu'ils sont enveloppés par un travail sur la lumière, la mise en scène absolument splendides.
Même une scène comme celle où Benjamin, alors âgé de 12 ans mais avec l'aspect d'un homme de 73, se lie d'amitié avec la petite Daisy Fuller, 7 ans, échappe au scabreux. On ne voit pas un vieillard avec une petite fille, mais bien deux gamins qui se reconnaissent. Elle comprend la singularité de Benjamin et il éprouve de la gratitude pour cette fillette qui ne se fie pas aux apparences.
Le deuxième acte couvre une période qui court de 1941 à 1969. Benjamin continue de rajeunir tout en prenant de l'âge. Il découvre l'amour charnel dans les bras d'une prostituée de Bourbon Street, l'amour dans ceux de la femme d'un ministre-espion, la guerre et la mort aux côtés de ses camarades sur le remorqueur "Chelsea". C'est épique, sensuel, sexuel, romanesque en un mot.
Fincher fait encore des prodiges comme lui seul en est capable. On devine que peu de plans ont été tournés en décors naturels, que les effets spéciaux abondent. Pourtant tout est toujours au service du récit. Le cinéaste ne cherche pas à époustoufler son public, il l'emporte dans ce voyage au long cours, nous faisant presque oublier son étrangeté.
Surtout le récit se situe constamment à la marge de l'Histoire. Eric Roth, qui avait été le scénariste de Forrest Gump, un autre héros à contre-courant, abandonne ici toute envie de révisionnisme. Benjamin Button ne voit quasiment rien de la seconde guerre mondiale, il ne rencontre pas de personnalités célèbres des époques qu'il traverse, n'assiste à aucun événement majeur. Et c'est pourtant palpitant.
Lorsqu'il renoue avec son lieu d'origine, la Louisiane, qu'il retrouve Queenie, Daisy, son père biologique, Benjamin connaît des chagrins, des désillusions, reconnaît ceux qui l'ont fait et ceux qui l'ont abandonné. Il hérite de la fortune de son père (un industriel qui fabrique des boutons) mais pleure sa vraie mère, Queenie, quand elle disparaît.
Daisy lui échappe, elle est devenue une danseuse, qui, elle aussi, a beaucoup voyagé, mais qui, à 22 ans, collectionne les aventures sans lendemain. Elle tente de le séduire mais il la repousse, car ce n'est pas le moment. Vous comprenez maintenant ? Benjamin Button apprend une chose que j'ai apprise avec ce film : il faut attendre le bon moment.
Enfin, le troisième acte arrive : Fincher montre, cette fois encore littéralement, ce qu'est une idée en mouvement et qui arrive à son but. La croisée des chemins, le reflet dans un miroir de salle de danse. Benjamin et Daisy ont le même âge pour la première et dernière fois. Ils s'aiment, elle tombe enceinte, il a peur qu'elle accouche d'un enfant anormal comme lui - il n'en sera rien. Mais...
... Mais se pose alors le dilemme le plus poignant de l'histoire : Benjamin va continuer à rajeunir jusqu'à sa mort. Sa fille grandira avec un père qui sera adolescent quand elle le sera, puis enfant quand elle sera jeune fille, bébé quand elle sera adulte... Et Daisy ne pourra s'occuper de lui et de leur fille. Il doit les abandonner et dire à Daisy de trouver un vrai père à leur enfant.
Ces scènes-là sont vertigineuses à concevoir. Fincher les filme avec une douceur magnifique, qui fait ressortir la cruauté du destin de son héros. La photographie est alors bien plus naturelle, sobre. Il y a juste ce couple, leur bébé, dans un duplex, à la fin des 60's. Et c'est bouleversant de beauté et de tristesse mêlées. J'avoue, j'ai versé ma petite larme - et, sans jouer les durs, il m'en faut beaucoup pour que je craque devant un film.
Ces forces contraires (du destin, de la fatalité, de la vie tout simplement), elles ont aussi affecté le film. Le projet d'adapter le texte de Fitzgerald remonte aux années 80 quand Frank Oz devait diriger Martin Short dans le rôle. La décennie suivante verra de grands noms tenter de monter cette production, en particulier le tandem Steven Spielberg-Tom Cruise puis Ron Howard-John Travolta. Dans les années 2000, Spike Jonze puis Peter Jackson s'y casseront aussi les dents.
Il fallait bien un génie de la technique et de la narration comme Fincher pour relever et accomplir ce défi. Comme je l'ai déjà dit, c'est très impressionnant pour les effets spéciaux. Mais ça l'est encore plus pour la rigueur avec laquelle le cinéaste sert cette saga sans jamais sombrer dans le mélodrame complaisamment lacrymal, l'emphase, le spectacle.
Il en tire une réflexion déchirante sur la vie d'un homme condamnée à finir là où pour tous les autres tout commence, qui assiste à la disparition progressive de tous ceux qu'il aime quand lui se porte de mieux en mieux, et qui, parvenu au terme de son existence, est un gamin sénile puis un bébé s'éteignant dans les bras de la femme qu'il a toujours aimée et qui le berce comme une mère.
Dire que c'est le rôle d'une vie pour Brad Pitt tient de la formule facile et pourtant c'est vrai. Ce qu'il fait là est juste renversant, d'abord par la retenue avec laquelle il le fait, et ensuite parce que, malgré les trucages, le maquillage, il réussit surtout à montrer un homme, unique, singulier, impossible, et pourtant si semblable à nous tous. Evidemment, l'académie des Oscar, toujours aussi éclairée, ne lui a pas décerné la statuette qu'il méritait.
Cate Blanchett est comme d'habitude fantastique. Mais Fincher la filme comme on ne l'a jamais vue, ni avant ni depuis, comme une femme non pas intrigante, mystérieuse, insondable, mais belle, attirante, fragile, forte, libre, injuste. Elle interprète ça évidemment magistralement, car elle est capable d'exprimer toutes ces nuances avec clarté et force. Mais quand même, quelle actrice ! (Et bis repetita, zéro statuette pour elle là-dessus !)
Taraji P. Henson et Mahershala Ali sont sublimes en parents adoptifs. Julia Ormond a la partition la plus ingrate du film en fille qui lit le journal de sa mère et découvre ses origines et celle de son père. Enfin, on remarquera que c'est une toute jeune Elle Fanning, tout juste neuf ans lors du tournage, qui incarne Daisy enfant, avec déjà une présence folle.
Pour ne rien gâcher, il y a encore une somptueuse bande originale composée par Alexandre Desplat, qui, quand on l'écoute après le film vous en rappelle l'essence comme un parfum.
Grand film ? Mieux que ça : chef d'oeuvre !







 
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