1858, Texas. Le Dr. King Schultz, dentiste, croise avec sa roulotte deux des frères Speck - Ace et Dicky - dans une forêt qui convoient des esclaves. Schultz exprime son intérêt pour l'un d'eux, Django, qui connait les frères Brittle, et veut l'acheter. Mais Ace braque son fusil sur Schultz qui dégaine son revolver et l'abat puis tire sur le cheval de Dicky. Il le livre aux autres esclaves et emmène Django avec lui. Il lui rendra sa liberté et de l'argent une fois qu'il aura eu les Brittle.
Avant cela, Schultz supprime le troisième frère Speck, Willard, qui se faisait passer pour le shérif d'un patelin et révèle alors son véritable métier : il est chasseur de primes mandaté par un juge itinérant pour capturer, mort ou vif, des criminels en fuite. Il propose à Django de faire équipe pendant toute la saison hivernale, après quoi il l'aidera à retrouver et libérer sa femme, Broomhilda, séparée de Djanog pour être vendue. 
Les Brittle retrouvés et éliminés chez "Bigdaddy" Bennett, le propriétaire d'une plantation, Schultz entraîne Django à son nouveau rôle pour lequel il affiche d'excellentes prédispositions. Le Printemps arrive et les deux hommes gagnent le Mississipi où en consultant les registres des ventes d'esclaves, Schultz apprend l'identité du propriétaire de Broomhilda : Calvin Candie, connu pour sa richesse et sa cruauté. Il sait qu'il ne se séparera pas facilement de la jeune femme et élabore donc une ruse pour l'appâter...
Quatre après le coup de maître Inglorious Basterds, Quentin Tarantino revenait avec ce western, un genre qu'il apprécie (c'est un grand admirateur de Sergio Leone et des cinéastes italiens qui ont revitalisé ce cinéma). Mais, malgré son titre, il s'agit moins d'un pur remake du Django de Sergio Corbucci (1966) qu'un mix avec Mandingo de Richard Fleischer (1975).
Tarantino, comme il l'a expliqué à la sortie de son film, savait qu'il s'aventurait en terrain miné, d'une part parce qu'on ne produit plus guère de western, mais surtout, d'autre part, parce qu'il situe l'action en 1858, soit deux ans avant le début de la guerre de sécession, centré sur le pouvoir des états e de l'esclavagisme.
Pourtant, son intention est claire : il entend bien montrer la traite humaine dans le Sud de l'Amérique, non pour montrer l'horreur qu'elle représentait, mais comme élément culturel de l'époque et de cette partie du pays. Cela lui vaudra les reproches de quelques confrères afro-américains, jugeant qu'il n'est pas légitime pour aborder pareil sujet (le credo d'un Spike Lee, estimant que l'Histoire des noirs ne peut être racontée que par les noirs).
De fait, Django Unchained est dérangeant, c'est même le film le plus inconfortable de la filmographie de Tarantino. Pourquoi ? Parce que, comme il l'a dit, quand il écrit, il entend les rires, de joie ou de gêne. Tarantino est un dialoguiste virtuose avec une perception aigue de sa propre écriture, il sait quand il va faire rire son public. Le souci, c'est : peut-on rire de l'esclavage ?
En vérité, ce n'est pas la vraie question à se poser. Je m'explique : non, l'esclavage ne prête pas à la rigolade, et d'ailleurs Django Unchained en montre les horreurs sans prendre de gants. Il en montre aussi les aspects les plus perturbants (mais j'y reviendrai) avec notamment un personnage secondaire qui assume le rôle que prétend jouer Django à un moment.
Tarantino ne se moque donc pas de l'esclavage en cherchant à en minimiser l'atrocité ou l'importance. Par contre, son récit est souvent drôle. C'est là toute la nuance. On évolue dans un décor et une ambiance malaisants au possible mais les aventures des deux héros ne manquent pas de saveur humoristique. C'est même sans doute ce qui leur permet de supporter tout ce à quoi il assiste comme le spectateur peut supporter certains moments difficiles.
Comme pour Inglorious Basterds, Tarantino inscrit son histoire dans un cadre irréaliste d'abord : il suffit de se demander par quel miracle Schultz tombe pile sur le bon convoi d'esclaves et y trouve Django (un prénom qui ne ressemble guère à celui d'un afro-américain par ailleurs). La rencontre a lieu dans une forêt la nuit à la lumière de lanternes. On est dans un conte.
Ensuite pourquoi Schultz sauve Django ? Pour qu'il l'aide à trouver les frères Brittle en les identifiant. Mais ensuite pourquoi ne le laisse-t-il pas filer comme promis avec de l'argent ? Schultz n'a guère besoin d'un partenaire, mais il l'avoue : c'est la première fois qu'il fait d'un esclave un homme libre et cela l'émeut. Il sait que Django n'est pas ingrat et qu'ils peuvent même devenir amis.
Allons un peu plus loin : Schultz convient avec Django de rester ensemble durant l'Hiver. Mais pourquoi lui promettre (et tenir sa promesse) de l'aide à retrouver Broomhilda, sa femme, et de la racheter à celui qui l'a acquise comme esclave ? Là, ça n'a plus de sens, plus d'explication rationnelle. Et c'est normal : souvenez-vous, on est dans un conte.
Lors d'un bivouac, au début de leur collaboration, Schultz raconte la légende de Siegfried et Brunnhilde dans L'Anneau des Nibelungen, la valkyrie punie par Odin dans un cercle de flammes et sauvé par l'aventurier épris d'elle et qui terrassa le dragon qui la gardait. A cet instant, Django s'identifie au héros de la légende et entreprend de délivrer sa bien-aimée du dragon esclavagiste. Schultz sera son guide et mentor.
Tarantino fait aussi référence donc à ce chef d'oeuvre méconnu de Richard Fleischer, Mandingo, lorsqu'il introduit le personnage de l'ignoble Calvin Candie qui se divertit devant des combats à mort entre ses esclaves les plus forts et ceux d'autres propriétaires de plantation, tandis qu'il couche avec ses "négresses".
L'humour se manifeste par le verbe : Schultz est un baratineur irrésistible qui contraste avec l'ombrageux Django. Le chasseur de primes allemand préfère toujours d'abord expédier ad patres ses cibles avant de brandir le mandat d'arrêt que lui a fourni le juge et de le remettre aux autorités qui sont certaines d'aller arrêter un tueur.
Comme toujours chez Tarantino, la tension nait de l'opposition entre la manière qu'a un personnage d'embobiner son monde et le fait que ses interlocuteurs n'y voient, au moins dans un premier temps, que du feu. La violence, une fois la supercherie dévoilée, explose alors. Et de ce point de vue, Django Unchained est le film le plus brutal, le plus sanglant, le plus démonstratif de Tarantino.
Les échanges de coups de feu aboutissent à des impacts terribles, des explosions de sang dont la caméra ne se détourne jamais. A cet égard la fusillade finale est un véritable carnage. Mais le plus effrayant là-dedans est incarné par un personnage particulièrement repoussant et qui a valu au film sa plus vive polémique.
Calvin Candie est certes une ordure mais cela ne surprend personne et le degré d'immondice à laquelle il se prête ne fait que confirmer son caractère odieux. Toutefois, plus antipathique encore est certainement son valet, Stephen, un noir qui a choisi, pour s'attirer les bonnes grâces de son maître (et des parents de celui-ci avant), de trahir sa propre race.
Tarantino expose, avec une audace rare, que des noirs assumaient le rôle de négrier mais aussi que certains esclaves, favorisés pour leur servilité, se comportaient comme d'authentiques Judas. On comprend que ça n'ait pas fait plaisir à certains de voir cela. Pourtant c'est historiquement documenté. mais Tarantino le montre avec une malice encore plus abjecte.
Lorsque Schultz et Django sont invités dans le domaine de Candie, Django doit jouer le rôle d'un négrier, c'est-à-dire qu'à ce moment il est un noir qui achète des noirs non pour les libérer mais pour les exploiter. C'est le pire des déshonneurs pour un noir. Pourtant ce n'est qu'une couverture pour abuser Candie et l'approcher.
En revanche Stephen, le valet de Candie, est un être inqualifiable dans la mesure où non seulement il sert avec affection son maître mais en terrorisant ses semblables, en les dénonçant quand ils se comportent mal, cherchent à fuir. Et il n'exprimera aucun regret jusqu'au bout, vouant au gémonies Django et pleurant Candie.
Samuel L. Jackson a accepté de jouer ce personnage avec un courage qui force le respect. A son âge et avec sa carrière, il ne l'a pas fait pour cachetonner, mais bien parce qu'il a accepté la vérité que dévoile Tarantino. Et tant pis pour ceux qui pensent que tous les noirs ont été des victimes (comme ceux, chez nous, qui pensaient que les français étaient tous résistants en 39-45)...
Jamie Foxx se montre d'une sobriété qu'on ne soupçonnait, ce qui prouve encore une fois que Tarantino dirige ses acteurs avec une précision qui permet de tirer le meilleur d'eux. Christoph Waltz retrouve celui qui l'a révélé au monde entier dans une composition opposée à celle de Hans Landa : il n'a plus jamais depuis eu de meilleure partition et il l'interprète magistralement.
Leonardo di Caprio s'amuse à jouer une pourriture, cependant son talent rend la chose presque trop facile, ostentatoire, et in fine convenue. Don Johnson, en revanche, a droit à quelques scènes extraordinaires dans la peau de "Bigdaddy". Kerry Washington se sort mieux que bien d'un personnage ingrat de demoiselle en détresse, dans un contexte certes intense.
Django Unchained est une oeuvre singulière, où Quentin Tarantino excelle surtout à nous perturber, nous mettre mal à l'aise. Mais n'est-ce pas plus efficace que dire simplement que l'esclavagisme, c'est mal ? Transformé en western revanchard, son pamphlet est en tout cas explosif et radical.







 
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