samedi 27 septembre 2025

LES TROIS JOURS DU CONDOR (Sydney Pollack, 1975)


Joe Turner travaille à l'American Literary Historical Society à New York, en réalité une officine de la CIA où les employés comme lui analysent des livres et des articles de presse pour y trouver d'éventuelles traces sur des manoeuvres ourdies par des gouvernements étrangers contre les intérêts américains. Turner a récemment rédigé un rapport sur un roman présentant d'étranges éléments dans son intrigue mais traduit en trois langues malgré de mauvaises ventes.


Alors qu'il est désigné pour aller acheter le déjeuner de ses collègues, trois hommes armés pénètrent dans son lieu de travail et tuent tout le monde. Lorsqu'il revient, il découvre le carnage et s'enfuit pour téléphoner dans une cabine publique à un certain Wicks, son chef de département. Mais c'est un nommé Higgins qui lui répond et lui fixe un rendez-vous pour le conduire ensuite en lieu sûr. Turner, méfiant, exige qu'une personne qu'il connait soit là. Wicks part donc avec un ami de Turner, Sam Barber.
  

Le rendez-vous s'avère être un piège : Wicks tente d'abattre Turner qui s'échappe en le blessant. Barber est tué par Wicks évacué jusqu'à un hôpital privé où il est supprimé discrètement ensuite. A la recherche d'un endroit sûr, Turner kidnappe au hasard une femme, Kathy Hale, pour se réfugier chez elle. Elle est disposée à l'aider après qu'il lui a raconté son histoire. Mais avant Turner veut s'assurer que Barber est vivant. Il se rend chez lui et croise Joubert, le chef des assassins de ses collègues...


Imaginez : en 1975, Sydney Pollack dirige Robert Redford dans Three Days of the Condor (en vo) et le même Redford, un an plus tard, est à l'affiche des Hommes du Président, soit deux des plus grands thrillers politiques de l'époque. Ce n'est pas rien quand on considère que les héros de cinéma devenaient soudain soit des journalistes d'investigations, soit des espions pris pour cible par leur propre agence.


Mais ça disait surtout que, définitivement, l'Amérique avait basculé dans l'ère de la paranoïa et que la méfiance du peuple envers ses institutions était bien entamée, de manière irréversible. Alors que Trump est à nouveau Président, on mesure à quel point la marche du monde, à présent dans l'ère de la post-vérité, continue de creuser ce qui était entamée il y a 50 ans dans la fiction.


Il y a de quoi être démoralisé. Mais en même temps il faut se méfier encore plus de critiquer un film de 1975 avec le regard d'un spectateur de 2025. Ce qui est frappant ici, c'est que, comme pour Les Hommes du Président, le cinéma américain avec quelle rapidité examine la société de son pays. Voire même, comme ici, dans Les Trois Jours du Condor (en vf), à anticiper cet examen.


Bien entendu, il y a des éléments dans le scénario de Lorenzo Semple et David Rayfiel, adapté du roman de James Grady, qui peuvent faire sourire. Le plus évident, c'est quand Turner prend en otage Kathy Hale et la vitesse avec laquelle elle accepte de l'aider. Entre temps ils couchent ensemble deux fois et la seconde, ils font l'amour alors qu'ils se connaissent à peine.

On peut, en plaisantant, dire que Kathy fait confiance à Turner parce qu'il ressemble étonnamment à Robert Redford. Ou que Redford a de la chance : il prend en otage, par hasard, rien moins que Faye Dunaway. Evidemment que cet homme est attiré par cette femme sublime et que cette femme sublime est attirée par cet homme si séduisant.

Mais le glamour des interprètes est une manière pour Pollack de convaincre le spectateur de suivre cette intrigue complexe, tout en prouvant encore une fois son propre talent à diriger des acteurs de cette trempe et surtout à rendre évidente leur alchimie à l'écran. Leur romance n'est pas simplement une facilité narrative : elle comporte une étrangeté.

Au moment où ils deviennent partenaires, Turner et Kathy sont en vérité deux êtres en fuite. Lui est traqué par l'agence, elle s'attarde à New York alors que son amant l'attend dans une station de ski. Par ailleurs aux murs de son appartement on voit les photos de la ville qu'elle prend et Turner remarque qu'elle ne saisit que des endroits déserts, sans aucune présence humaine.

L'irruption de cet homme dans sa vie n'est pas loin de peuple l'existence de cette femme si belle et pourtant si seule. Il y a le frisson de l'aventure, l'adrénaline, la peur, l'excitation. Mais c'est plus trouble encore. Tout comme est trouble la situation dans laquelle est plongée Turner, modeste analyste, dont le boulot consiste juste à "lire des bouquins", et que tout le monde veut mort.

En contrepoint, l'histoire oppose à ces deux figures sympathiques des adversaires vraiment inquiétants : un supérieur ambigu (Higgins), un tueur à gages freelance (Joubert), et tout un tas de cadres de la CIA qui se cachent leurs projets jusqu'à ce que, devenus trop gênants, ils soient aussi mis sur liste noire et éliminés sans scrupules.

Le fin mot de cette affaire résonne encore aujourd'hui avec force : le livre sur lequel Turner a rédigé un rapport parle du pétrole et de pays qui en produisent et en exportent, mais soumis à des régimes politiques corrompus ou corruptibles. Les Etats-Unis sont devenus non pas une force de stabilisation mondiale, mais de déstabilisation géopolitique. Parce que c'est aussi à ce jeu-là que s'adonne le camp d'en face. Et c'est littéralement comme un "jeu" d'influences que le présente Higgins à Turner.

Robert Redford joue, comme souvent et c'est ce qui est étonnant dans sa carrière, le grain de sel mais aussi l'homme traqué, poussé dans ses retranchements. C'est un héros curieux, qui subit énormément puis réagit parce qu'il n'a, en vérité, pas/plus le choix. La toute dernière scène du film est une des plus malaisantes qui soit, où la diffusion de la vérité par les faits est compromise.

Faye Dunaway compose un personnage fascinant de femme prise dans quelque chose qui la dépasse mais qui y puise une énergie inattendue - et tout ça, avec une classe folle. Max Von Sydow est totalement glaçant dans le costume du tueur Joubert. Et Cliff Robertson incarne à la perfection toute la rouerie de sa fonction.

Souvent classé comme une des collaborations majeures du duo Pollack-Redford, mais aussi comme un des très grands films des 70's, Les Trois Jours du Condor mérite ces louanges et conserve son épatante et flippante acuité.

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