mercredi 3 septembre 2025

ONCE UPON A TIME... IN HOLLYWOOD (Quentin Tarantino, 2019)


Hollywood, Février 1969. Rick Dalton, ancienne star de la télé, fait face au déclin de sa carrière avec anxiété, ses derniers rôles se limitant à des apparitions dans des séries dans des rôles de méchant. Il rencontre l'agent Marvin Schwarz qui lui suggère de partir tourner des westerns spaghetti en Europe, bien qu'il les juge indignes de lui. Son meilleur ami est Cliff Booth, un cascadeur, vétéran de la seconde guerre mondiale, qui le ramène dans sa belle villa sur les hauteurs de la ville puis rentre chez lui, dans une caravane où il vit avec son chien, le pitbull Brandy. Lui aussi a du mal à trouver du boulot depuis que la rumeur court selon laquelle il aurait tué sa femme lors d'une sortie en mer.


Les voisins de Rick sont Roman Polanski et sa femme Sharon Tate avec qui il aimerait faire connaissance, pensant que cela relancerait sa carrière. Le lendemain, après avoir déposé Rick sur un plateau de tournage, Cliff va réparer son antenne râteau sur le toit de sa maison et aperçoit un hippie traîner dans les parages à la recherche du producteur de musique Terry Melcher. Mais Jay Sebring, un ami de Sharon, lui apprend qu'il a déménagé. Pendant ce temps, Rick bute sur ses répliques dans une scène de la série "Lancer" et enrage dans sa caravane avant de se reprendre, ce qui impressionne le réalisateur Sam Wannamaker et l'équipe.


Cliff, lui, prend en autostop Pussycat et la ramène chez elle, au ranch Spahn. Il connaît bien l'endroit et son propriétaire, George, pour y  avoir tourné des westerns. Mais l'endroit est envahi de hippies qui rechigne à lui laisser voir son vieil ami devenu aveugle et qui ne se souvient plus de leur passé commun. Le soir venu, Rick invite Cliff à regarder un épisode de "Sur la piste du crime" dans lequel il est. Marvin Schwarz, au même moment, téléphone au réalisateur Sergio Corbucci pour lui dire de regarder le même programme en expliquant que Rick serait parfait pour son prochain film, "Nebraska Jim"...


Once Upon a Time... In Hollywood est le neuvième et à ce jour dernier film écrit et réalisé par Quentin Tarantino, qu'il a lui-même qualifié de magnum opus. Lorsqu'on sait que le cinéaste veut arrêter sa carrière au cinéma au bout de dix longs métrages, on peut sans mal deviner que, s'il n'a rien mis en chantier depuis, la pression doit être forte pour terminer en beauté.


Comme le titre l'indique, il s'agit d'un conte. Tarantino, à qui on a demandé quelle école de cinéma il avait fréquenté, a répondu avec sa verve habituelle : "je suis allé au cinéma." Il ne s'agit donc pas de reconstituer une époque qu'il n'a pas connue, mais de concrétiser le fantasme d'une époque, en situant son récit précisément en 1969, peu de temps avant le massacre de la "famille" Manson.
 

Ce fait divers horrible a coûté notamment la vie à Sharon Tate et l'enfant qu'elle portait alors que son mari, le réalisateur Roman Polanski, était en repérages en Europe. Pour beaucoup, cette affaire a marqué la fin d'un âge de l'innocence à Hollywood, au même moment où les Etats-Unis s'embourbaient au Vietnam et que le mouvement hippie allait s'émousser.


Mais que se serait-il passé si, cette nuit horrible d'Août 1969, les tueurs ne s'en étaient pas pris à Sharon Tate et ses amis mais à son voisin ? Et que ce dernier aurait rendu la monnaie de la pièce à ces  meurtriers illuminés ? Comme avec Inglorious Basterds, Tarantino va s'amuser à réécrire l'Histoire tout en ne niant pas que c'était une époque qui se terminait.

Depuis sa sortie, Once upon a time... In Hollywood a été abondamment commenté, analysé, disséqué. Tarantino, récemment, a déclaré que "Kill Bill était le film pour lequel" il était "né", que "Inglorious Basterds était" son "chef d'oeuvre" mais que OUATIH était son "film préféré" de tous ceux qu'il avait faits. Et on comprend pourquoi de façon limpide.

En vérité, il s'agit d'une oeuvre éminemment personnelle, presque intime. Il n'aurait pas pu l'écrire et le réaliser (ou alors d'une manière très différente, et certainement moins qualitative) auparavant, quand il était encore l'enfant prodige et terrible à la fois de Hollywood, et ce même s'il en a eu l'idée des années avant de le mettre en scène.

Pourquoi ? Parce que Tarantino parle de lui à travers Rick Dalton. Comme lui, il a fait le plus gros de sa carrière, il sait sa fin imminente, et il examine le passé avec mélancolie mais sans déplaisir, ayant joui des honneurs, de la gloire. Mais il regarde aussi devant avec appréhension, doute, excitation. Peut-être réussira-t-il sa sortie en beauté ? Peut-être se prendra-t-il lamentablement les pieds dans le tapis (rouge) ?

Par opposition, il créé Cliff Booth, la doublure débonnaire et hédoniste de Rick, un parangon de coolitude qui prend la vie comme elle vient, qui aime Rick de manière indéfectible comme seul un ami peut le faire. Lui aussi sait que la fin est proche, mais il est philosophe, et préfère ne pas se mettre la rate au court bouillon pour ça.

Encore plus frappant dans son incarnation lumineuse est Sharon Tate. C'est en vérité à peine une personne telle que la représente Tarantino, plutôt une idée, un symbole. A chaque fois qu'elle apparaît, elle est radieuse. Elle a peu de dialogue, peu de scènes, mais elle incarne la vie, la beauté, la Californie de la fin des 60's.

Lorsqu'on sait le destin funeste de l'actrice dans la réalité, il y a quelque chose d'à la fois cruel à la montrer ainsi mais aussi de sublime à imaginer qu'elle a survécu dans le Tarantino-verse. Et c'est ce qui empêche le film tout entier de sombrer dans le sordide, l'abominable, le réel. Finalement, même en comptant Rick, nous sommes bel et bien dans un conte.

La production est absolument extraordinaire : il y a beaucoup de moments dans le film qui auraient pu finir sur le sol de la salle de montage et réduire par là même sa durée conséquente (164'), où on suit simplement Cliff en train de véhiculer Rick au studio, ou Cliff prendre une fille en autostop. Tarantino nous gratifie de moments dialogués, peut-être moins étincelants que par le passé, mais aussi plus sincères, plus honnêtes, plus vibrants.

Par contraste, ces instantanés que d'aucuns jugeraient à tort superflus valorisent les scènes où Cliff rassure Rick, où Sharon se grise en allant voir un de ses films (pourtant un nanar) en salles, où Rick prouve à toute une équipe qu'il peut jouer une scène de manière fantastique, où des tueurs dans la nuit investissent un quartier huppé, couteau à la main, nous faisant craindre le pire...

Tarantino est devenu un grand cinéaste avec ce film. Vous pourrez me répliquer qu'il l'était déjà avant, mais je trouve qu'il s'est parfois égaré ou complu dans des genres qu'il le maîtrisait pas, frisant l'autocaricature. Là, il n'a rien à prouver. Il parle juste de ce qu'il aime intensément, avec amour, tendresse, humour, intensité. Et il a raison de dire que c'est son magnum opus et film préféré. C'est le mien aussi dans toute son oeuvre.

Il n'a, par ailleurs, jamais aussi bien dirigé ses acteurs. Leonardo di Caprio est formidable en acteur déclinant et dépressif. Brad Pitt a mérité son Oscar du meilleur second rôle en interprétant Cliff Booth. Al Pacino en deux scènes est à son top comme il ne l'était plus depuis des lustres. Margot Robbie n'a objectivement pas grand-chose à jouer, mais sa présence est irrésistible.

Le cinéaste a aussi ce don de caster des comédiens dans de petits rôles où il est impossible de voir quelqu'un d'autre qu'eux, que ce soit le regretté Luke Perry, Bruce Dern (qui remplaça au pied levé Burt Reynolds disparu avant le début du tournage), Timothy Olyphant, ou Mike Moh (dans la peau de Bruce Lee pour une scène jouissive - même si elle a hérissée la famille de l'icone).

Et sans oublier ces inconnus alors qui jouent la famille Manson : Austin Butler, Mikey Madison, Maya Hawke, Dakota Fanning, Margaret Qualley, Sydney Sweeney... Tous ceux-là peuvent se vanter d'avoir Tarantino sur leur CV. A côté des habitués comme Kurt Russell, Michael Madsen (RIP) ou Tim Roth (coupé au montage lui, dans un rôle inconnu)...

Bien qu'il faille se réserver un bon moment pour le regarder, Once Upon a Time... In Hollywood est un film qu'on revoit avec le même plaisir à chaque fois. C'est une ballade solaire et drôle et nostalgique, un voyage fantasmé, une virée idéalisée. Rick Dalton, Cliff Booth et Sharon Tate vous accompagneront longtemps après la projection.

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