samedi 20 septembre 2025

NOS PLUS BELLES ANNEES (Sydney Pollack, 1973)


1937. Katie Morosky et Hubbell Gardiner étudient dans même université mais tout les oppose : elle est une jeune femme juive et marxiste, militante pacifiste, et il est le meilleur athlète du bahut, insouciant et apolitique. Pourtant elle est fascinée par sa beauté et subjugué par son talent d'écriture tandis qu'il est charmé par sa conscience sociale et le courage avec lequel elle exprime ses opinions qui ne sont pas populaires au sein du campus.


Bien qu'il fréquente une jeune fille de bonne famille, Carol Ann, Hubbell invite Katie à se joindre à son groupe d'amis. Mais ceux-ci se distinguent surtout par leur snobisme et se moquent d'elle et de ses prises de position politique tranchées. Au bal de fin d'année, ils partagent une danse puis se perdent de vue. Mais, en 1945, ils se revoient par hasard à New York où Katie jongle avec plusieurs emplois tandis que Hubbell achève son service actif comme officier de la marine dans le Pacifique Sud. Il est célibataire comme elle et ils tombent amoureux.


Mais ils n'ont pas changé comme en témoigne la colère que pique Katie lorsque les amis de Hubbell se moquent d'Eleanor Roosevelt lorsque son mari, le Président Franklin Delano Roosevelt, meurt. Elle reproche à Hubbell son indifférence et lui son manque total d'humour, de recul sur les événements. Ils sont sur le point de rompre mais se réconcilient. C'est alors qu'il reçoit une offre en provenance de Hollywood pour adapter pour le grand écran son roman. Katie craint qu'il ne gâche son talent en Californie mais le suit quand même. Bientôt le maccarthysme s'abat sur le milieu du cinéma...


Un an à peine après Jeremiah Johnson, Sydney Pollack retrouve Robert Redford pour ce qui sera un de leurs plus gros succès commercial en commun, une fresque historico-romantique, où il donne la réplique à Barbra Streisand dont les carrières de chanteuse et d'actrice suivent une même courbe ascendante.


The Way We Were (en vo) deviendra un vrai film culte, une référence dans son genre. Plus d'un demi-siècle plus tard, qu'en reste-t-il ? Soyons honnêtes : ça n'a que moyennement bien vieilli. C'est comme si le film se voulait plus grand, plus ample qu'il n'est. En vérité, il souffre d'ellipses trop nettes pour embrasser le récit et rendre justice à la romance complexe qu'il veut décrire.
 

Il traite de sujets à la fois superficiels et graves, mais un peu trop sur le même ton, ce qui donne l'impression que tout se vaut, les vicissitudes d'un couple et les événements qui ont agité l'Amérique avant et après guerre. Une scène résume le malaise : les amis de Hubbell Gardiner ricanent au sujet de la femme de Roosevelt alors que celui-ci vient de mourir, déclenchant la colère de Katie.


Sa réaction embarrasse Hubbell qui lui reproche de réagir toujours trop passionnément. Elle lui répond qu'elle souhaite partir, mais lui préfère rester et profiter de ses amis. Elle s'en va. Ils se retrouvent plus tard dans la soirée et comprennent le fossé qui les séparent. La rupture est la meilleure option. Mais dans la nuit, Katie n'arrive pas à trouver le sommeil, culpabilisant au sujet de cette dispute.

Elle téléphone à Hubbell et le supplie de venir, juste pour lui apporter un somnifère et ne pas se quitter fâchés. Ce qu'il fait... En fait, rien ne fonctionne dans cette séquence : Katie apparaît comme une girouette, prête à renoncer à ses principes pour garder Hubbell, tout en sachant que c'est fini entre eux. Hubbell se montre à la fois dur, cruel, puis compassionnel. Tout en sachant, lui aussi, que c'est sans espoir.

Pourtant nos deux amants se réconcilieront, au moins pour un temps, et auront même un enfant ensemble, mais pour rien, car se produira ce qu'ils savaient depuis cette nuit-là : ils s'aiment mais ne sont pas faits l'un pour l'autre, chacun refusant de se tempérer... Et tout ça, c'est aussi le résumé des coulisses du film.

A l'origine de Nos Plus Belles Années, il y a le scénariste Arthur Laurents et son roman. Pour l'écrire, il s'est inspiré de la fille qu'il a aimée à l'université, une jeune femme très politisée, militante de gauche (d'extrême-gauche même), avec laquelle il vécut une passion éphémère. Quand il a voulut en tirer une histoire, il pensait d'abord à une romance contrariée entre un prof et son élève.

Et l'argument aurait été que leur rupture aurait été causée non pas par des différents politiques mais par leurs ambitions littéraires contraires (elle voulant rester une romancière, lui se vendant à Hollywood). Puis, échouant à développer son intrigue sur cette base, il change la situation du personnage masculin et aligne son âge sur celui de la jeune femme.

Mais ce qui prévalait dans le texte de Laurents, c'était que Katie Morosky en était l'héroïne principale, et Hubbell Gardiner un second rôle. Or quand Sydney Pollack et son producteur lui commande un script adapté du roman, ils souhaitent donner plus de consistance, de temps d'écran à Hubbell car Pollack songe à son casting idéal : Barbra Streisand et Ryan O'Neal (son amant de l'époque).

Laurents s'exécute avec réticence mais la copie qu'il rend ne satisfait personne. Entre temps Streisand quitte O'Neal et Pollack convainc Redford de jouer le rôle d'Hubbell (bien qu'il ne soit guère motivé, tout simplement parce qu'il souhaite depuis toujours ne pas se cantonner à des rôles de beau gosse). Pollack soumet le script à plusieurs autres scénaristes pour le corriger.

La légende veut que pas moins de onze scribes se soient penchés sur le texte, et pas des moindres : Dalton Trumbo, Alvin Sargent, Paddy Chayeksky... Mais Pollack et Redford ne veulent de toute façon pas commencer le tournage sans un script bouclé. Laurents revient dans la boucle et accouche de l'ultime version, qu'il n'aime toujours pas mais qui se console en étant le seul scénariste crédité.
   
Il assiste au tournage durant lequel il tente de plaider sa cause auprès de Redford, mais quand Pollack s'en aperçoit, il fait tout pour que l'acteur ne soit plus dérangé. Streisand assiste à cela avec détachement (son rôle lui plaît, elle s'entend à merveille avec Pollack et Redford). Puis le film sort et le reste appartient à l'Histoire. La critique est louangeuse, le public conquis.

Le plus étonnant reste à venir : en 1982, Pollack, réconcilié avec Laurents (sans doute grâce au carton du film), souhaite tourner une suite, qui mettrait en scène Hubbell avec son épouse mais cette fois en inversant les rôles (autrement dit, c'est lui dont les opinions seraient les plus affirmées). Fin de non recevoir de Redford.

Encore plus extravagant, en 1996, soit quand même 23 ans après le film, c'est Streisand qui revient à la charge et elle est prête à rejouer Katie mais aussi à réaliser la suite. Mais le projet ne verra jamais le jour. Même si un producteur de Broadway voudra en tirer une comédie musicale...

Autrement dit, et plus succinctement, la relation orageuse de Katie et Hubbell ne s'est pas jouée que sur l'écran. Laurents s'est senti trahi, dépossédé (un classique à Hollywood), Pollack a failli se fâcher avec Redford (qui n'a aimé qu'une chose dans le film : avoir eu Streisand comme partenaire). 

Le résultat s'en ressent quand même : Katie est bien l'héroïne de cette histoire, au point que le nom de Streisand apparaît avant celui de Redford au générique du début. Hubbell est un héros certes très séduisant mais le personnage est terriblement lâche, une partition très ingrate à jouer (même si, finalement, ça a dû ravir Redford qui craignait de jouer un bellâtre).

Surtout Pollack n'arrive jamais vraiment à donner une vraie consistance aux scènes. Katie est une jusqu'au-boutiste mais qui défend rétrospectivement beaucoup de choses indéfendables (voir son admiration pour Staline, qu'elle met sur le même piédestal que Roosevelt !). On la croirait carrément bipolaire par moments, tour à tour inflexible et ensuite suppliante. 

Aime-t-elle vraiment Hubbell ? Ou incarne-t-il juste une sorte de fantasme dont elle s'aperçoit épisodiquement qu'il ne lui convient pas quand il faut éprouver la vie de couple ? Et Hubbell, est-il juste un beau gosse insouciant, frileux, à la limite du couard, ou simplement un homme prudent, mesuré, qui sait qu'il ne peut renverser certaines situations (comme durant le maccarthysme) ?

Le film est bancal. Parfois attachant. Parfois d'un romanesque sentimental échevelé. Parfois complètement hystérique. Parfois totalement mou. Barbra Streisand est extraordinaire dans un rôle qui est vraiment taillé sur mesure et quand elle dit à Hubbell : "tu es tellement beau. Je suis belle aussi, mais à ma manière seulement.", c'est juste magique.

Robert Redford s'empare de son rôle de manière très distanciée. Il est beau comme un dieu, mais surtout il est formidablement ambigu quand on le voit dans ses aspects les moins sympathiques, les moins reluisants (comme quand il préfère que Katie s'en aille pour rester avec ses amis snobinards, ou qu'il la quitte juste après la naissance de leur fille). Oui, il est beau. Mais c'est quand même un beau salaud.

On remarquera aussi, dans le second rôle de Frankie McVeigh, l'amoureux secret de Katie à la fac, un débutant qui fera parler de lui ensuite : James Woods, l'inoubliable interprète de Max dans Il était une fois en Amérique, le chef d'oeuvre de Sergio Leone.

Nos Plus Belles Années a donc pris quelques méchantes rides, mais il y a quelque chose d'assez miraculeux à ce qu'il ait survécu aux affres de sa création et qu'il demeure encore touchant malgré ses maladresses.

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