lundi 29 septembre 2025

CRIMINAL, TOME 5 : PAUVRES PECHEURS (Ed Brubaker / Sean Phillips)


Tracy Lawless est devenu un tueur pour le compte de Sebastian Hyde afin de rembourser ce que devait son frère à ce caïd de la pègre. Son expérience comme militaire est bien utile pour ce sale boulot mais il n'a pas renoncé à certains principes dont s'accommode son employeur : il enquête sur ses cibles et ne descend que celles dont il juge qu'elle mérite la mort, excluant les femmes et les enfants. Ce qui amuse Chester, l'autre porte-flingue de Hyde.


Avant de lui rendre sa liberté, Hyde confie une dernière mission atypique à Tracy : plusieurs membres du grand banditisme local viennent de se faire refroidir. Du boulot de pro, souvent exécuté à proximité de leurs gardes du corps, dans des endroits publics. Est-ce le fait d'un gang rival déjà établi ? Ou de nouveaux malfrats désireux de liquider les gens du coin ? Tracy se demande même si le tueur n'est pas une femme qui, à chaque fois, aurait profité d'un instant d'intimité avec ses victimes pour mieux les avoir.


Plusieurs éléments compliquent la tâche de Tracy : d'abord il couche avec Elaine, la femme de Hyde, lequel pense qu'il couche avec sa fille, Sabrina ; Chester le surveille à cause de ça ; et enfin l'agent Yocum de la police militaire le recherche pour désertion... 


Pour ce cinquième tome de Criminal, Ed Brubaker ramène sur le devant de la scène Tracy Lawless, qui était déjà le protagoniste de Impitoyable, le tome 2 de la série. Les Lawless sont de toute façon au coeur du projet Criminal, avec Teeg le père, Tracy le fils aîné, et Ricky le cadet. Mais le scénariste a, semble-t-il, voulu revenir sur ce personnage-là pour en nuancer le portrait.
 

En effet, quand on observe Tracy sur la couverture de ce tome, il apparaît presque comme une caricature de série noire, avec son imperméable, son flingue à la main, son visage dur et balafré, le tout sous un ciel nocturne. Mais on va, avec Pauvres Pécheurs, découvrir d'autres aspects plus subtils de ce colosse, pris dans une situation infernale.


A la fin de Impitoyable, Tracy devenait l'homme de main de Sebastian Hyde, le caïd de la pègre, pour rembourser les dettes de Ricky. Le temps a passé (même si on ne saurait en évaluer la durée, le récit s'abstenant de toute précision à ce sujet) et Hyde est sur le point de rendre sa liberté à Tracy. Mais avant cela, Brubaker revient sur le job de son héros.

Il est certes devenu un tueur, mais il a imposé ses principes : il ne tue que ceux qui le méritent à ses yeux, et il refuse d'éliminer des femmes et des enfants. En dehors de cela, il est d'une efficacité irréprochable, même s'il est constamment supervisé par Chester, l'homme de confiance de Hyde pour ce genre de sale besogne.

Le passé de soldat permet de crédibiliser le rôle de nettoyeur de Tracy : il sait se servir d'une arme, sa carrure impressionne, il n'a pas besoin de jouer une partition pour être craint, et surtout il accomplit ses missions discrètement. Cette discrétion lui permet aussi, au passage, d'être l'amant d'Elaine, la femme de Hyde, sans qu'on les soupçonne.

Brubaker imagine une dernière mission originale : plusieurs caïds, présumés intouchables, sont assassinés. Le meurtrier a tout d'un professionnel doté d'un sang froid étonnant puisqu'il liquide ses cibles dans des lieux publics, parfois quand les gardes du corps de ses cibles sont juste à côté. Tracy en vient même à penser qu'une femme pourrait être cette exécutrice.

La vérité... Je ne vous la dévoilerai pas mais... Elle est encore plus violente et inattendue. Le scénariste puise à la fois dans ce que Tracy a connu (la guerre) et dans un élément absolument imprévisible, insoupçonnable, à plusieurs niveaux. Il y a le commanditaire des crimes et les assassins, et tout ce monde-là est parfaitement surprenant. 

Cela aurait suffi, entre la partie investigations et la partie identification, à faire de Pauvres Pécheurs un excellent polar, bien noir, brutal, choquant. Mais le génie de Brubaker, c'est d'avoir densifier le récit avec des seconds rôles qui relèvent l'ensemble. Elaine, par exemple, est l'archétype de la femme qui court à sa propre perte tandis que Sabrina est déjà mal engagée dans l'existence.

Hyde apparaît comme un caïd vieillissant mais meurtri car le cas son fils, très malade (il a besoin d'une greffe de moëlle épinière mai paraît déjà condamné), le laisse désemparé, impuissant - ce qu'il ne peut se permettre de montrer dans sa position, surtout au moment où ses pairs se font dessouder les uns après les autres.

Mais la vraie bonne trouvaille qui donne du relief à l'histoire et la rend à la fois plus urgente et désespérée, c'est l'agent Yocum de la police militaire, qui court après Tracy car, souvenez-vous, il a déserté l'armée. Yocum, c'est le grain de sable dans la machine, le personnage qui va vraiment tout faire dérailler et en même temps boucler la boucle pour Tracy.

Criminal n'est pas un comic book qui vous gratifie de splash pages (encore moins de doubles pages), même si ça viendra plus tard. Sean Phillips doit composer avec un script très fourni, très serré, des textes en off, des dialogues. Il faut donc être prêt à une certaine austérité visuelle, mais c'est aussi la raison pour laquelle ses dessins collent si bien aux récits de Brubaker.

Et si vous êtes un lecteur intelligent (et vous l'êtes puisque vous le lisez, hé hé...), alors vous admirerez la maîtrise de Phillips pour produire des épisodes qui sont à la fois oppressants sans être jamais bourratifs. Sa narration graphique est un modèle de rigueur et de précision, on n'a jamais l'impression d'être submergé par les informations du scénario, le déroulement de l'intrigue est toujours d'une fluidité irréprochable.

Val Staples met tout ceci en couleurs avec toujours le même talent, même si, après le prochain tome, il sera remplacé (on n'a jamais su pourquoi il avait cédé sa place alors que lui-même affirmait que c'était le boulot de ses rêves et qu'il y était parfait).

Encore un coup gagnant pour Criminal. Et ce récit est disponible dans l'Intégrale 2 chez Delcourt, que je vous conseille encore une fois, pour la qualité de l'ouvrage, ses bonus, etc (couverture ci-dessous). 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire