mercredi 17 septembre 2025

L'ARNAQUE (George Roy Hill, 1973) - Hommage à Robert Redford


1936, Joliet (Illinois). Trois aigrefins - Johnny Hooker, Luther Coleman et Joe Erie - escroquent un homme de main d'un patron de maisons de jeux et lui dérobant 11 000 $. Hooker perd tout à la roulette tandis que Coleman veut en profiter pour raccrocher. Erie réfléchit à ce qu'il pourrait faire avec sa part lorsque lui et Hooker sont pris à parti par l'inspecteur ripou William Snyder leur extorque ce qu'ils ont sur eux et les somme de leur en fournir autant s'ils ne veulent pas qu'il les dénonce. Coleman est liquidé et Hooker doit prendre la fuite avec Erie.


Ils se rendent à Chicago où se trouve un ami de Coleman, le prince de l'arnaque Henry Gondorff. Mais celui-ci se cache du FBI dans un carrousel qui sert de façade à un bordel. Ils s'entendent pour venger Coleman en dépouillant Doyle Lonnegan, qui dirige les cercles de jeu sur toute la côte Est. Pour cela, il leur faut des renforts et Gondorff sonne le rassemblement de ses meilleurs partenaires. Il apprend grâce à eux que Donnegan organise des parties de poker dans le train qu'il prend pour rejoindre tous ses clubs.


Gondorff, sous le nom de Shaw, et Hooker, sous le nom de Kelly, s'invitent à sa table de poker dans le train. Gondorff plume Lonnegan dont Hooker a subtilisé le portefeuille avant la partie et qui ne peut donc pas payer sa dette. Mais Hooker/Kelly lui fait croire qu'il veut prendre la place de Gondorff/Shaw dans son salon de paris clandestin et lui explique comment le ruiner en pariant gros sur des courses de chevaux dont il connaît à l'avance le gagnant...


Robert Redford vient de mourir à 89 ans et c'est peu de dire que ça m'a fichu un coup, surtout après les disparitions de Gene Hackman, Donald Sutherland et Terence Stamp cette année. J'adorai Redford : c'était un véritable dieu, à la beauté renversante, à la filmographie extraordinaire, au talent multiforme (devant et derrière la caméra). Une légende vivante.


Comment choisir un film dans cette oeuvre qu'il a construite ? Je vais sûrement revoir quelques-uns de ses films et j'en parlerai, mais commencer par L'Arnaque m'a semblé une évidence. Ce film a mon âge, je l'ai vu quantité de fois, sans jamais m'en lasser, il réunit pour la seconde fois Redford et Paul Newman, une autre de mes idoles, et c'est un chef d'oeuvre. Un film absolument parfait.


Par où commencer ? Peut-être par ce ragtime de Scott Joplin, The Entertainer, que The Sting (en vo) a popularisé et qui est devenu inséparable du film lui-même. Quand on écoute cette mélodie au piano, on pense à L'Arnaque avant tout autre chose. Mais je crois que si c'est le cas, c'est parce que le titre de ce morceau colle si bien au récit. Car L'Arnaque, c'est de l'entertainment à l'état pur.


Le scénario de David S. Ward est comme un spectacle de magie : il a toujours un temps d'avance sur nous. Johnny Hooker et Henry Gondorff sont des illusionnistes géniaux qui nous mènent aussi sûrement en bateau que Doyle Lonnegan, cet affreux mafieux qui a tué l'ami des deux hommes, Luther Coleman. Hooker songeait à le tuer mais c'est une "lope avec un flingue"...

... Alors avec Gondorff, il va monter une escroquerie d'une sophistication insensée pour dépouiller cette crapule criminelle. Vous avez beau voir et revoir le film, vous êtes toujours surpris : la machination est parfaite, insurmontable. C'est vraiment de la magie : vous regardez la main droite du prestidigitateur et en fait il vous mystifie avec la gauche. Vous n'avez rien vu venir, vous êtes fait.

Du divertissement donc, mais élevé au rang des Beaux-Arts. Tout ici est élégance : la photo (de Robert Surtees) est sublime, les costumes (de la grande Edith Head), les décors (la reconstitution des 30's de la Grande Dépression est admirable), tout est renversant de beauté. Mais ce n'est pas un film tape-à-l'oeil, d'ailleurs il n'a pas coûté cher (5 M $), tout sert l'histoire et donne du plaisir.

Et c'est bien pour cela qu'il fut un succès phénoménal (plus de 160 M $ de recettes !). Evidemment, les deux stars y sont pour beaucoup, mais sans une bonne intrigue, sans une réalisation pareille, deux stars ne sont que des stradivarius sans partition. Et si la sauce prend si bien, c'est aussi au mérite de George Roy Hill qu'on le doit.

Hill avait déjà réuni Redford et Newman quatre ans avant dans le mythique Butch Cassidy et le Kid, un merveilleux western. La légende veut que le cinéaste aura cherché après l'Arnaque désespérément un scénario pour un troisième long métrage avec les deux acteurs - en vain. Pour la blague, Newman, de onze ans l'aîné de Redford, avait écrit aux patrons de studios après Butch Cassidy et le Kid qu'il ne fallait surtout plus engager son partenaire sans talent ni charisme...

Ce genre de complicité révèle à quel point Newman et Redford s'entendaient bien (Newman avait insisté pour que Redford lui donne la réplique pour Butch Cassidy et le Kid), alors que Jack Nicholson avait d'abord été pressenti pour jouer Hooker dans L'Arnaque (malgré tout le bien que je pense de Nicholson, ça n'aurait pas aussi bien fonctionné).

Hill était un directeur d'acteurs formidable parce qu'il savait jouer sur les forces de ses interprètes et donc il avait identifié l'alchimie entre Redford et Newman. C'était aussi un maniaque du détail et ça se voit dans L'Arnaque où justement toute l'histoire, son contexte, sa construction, est affaire de détails pour tromper le méchant.

Les mouvements de caméra sont fluides, le montage évoque un livre de contes (d'ailleurs l'histoire est découpée en chapitres avec des cartons illustrés) et l'image use de transitions en forme de cercle, de pages qui se tournent, de balayages, etc. Autant de manière de dire que tout ça est un gigantesque numéro mais que si vous croyez en avoir anticipé les tours, vous vous surestimez.

Pourtant, jamais le film ne prend le spectateur de haut. Vous êtes à la fois bernés, et en même temps vous jubilez. Vous êtes finalement contents de vous être faits rouler dans la farine parce que le seul qui est vraiment dépouillé, c'est le méchant et pas vous. Vous, vous avez assisté au spectacle et vous êtes ravis par son glamour, son efficacité, sa roublardise même.

Pourquoi Hollywood, si friand de remakes, n'en a-t-il jamais fait ni de L'Arnaque ni de Butch Cassidy et le Kid ? Sans doute parce qu'aucun acteur actuel ne prendrait le risque de reprendre les rôles tenus par Redford et Newman. Mais aussi parce qu'il n'y a rien à redire, à refaire avec ces films-là. On a vu ce que ça donnait quand on refaisait Les Sept Mercenaires ou L'Affaire Thomas Crown - des ersatz sans intérêt.

Et puis franchement qui, aujourd'hui, serait en mesure de recréer ce qu'il y avait entre Redford et Newman ? Oui, il y a des acteurs qui jouent bien ensemble (par exemple Di Caprio et Pitt chez Tarantino), mais avec ce degré de coolitude, de séduction, de classe, de complémentarité ? Ils avaient la différence d'âge parfaite, ils s'étaient trouvés au bon moment, et ils ont fait deux classiques éternels ensemble. Personne ne peut reproduire ça.

Newman et Redford sont au sommet de leur art ici. Et de leur beauté. Leurs yeux bleus vous transpercent. Leur présence vous électrise. Leurs sourires sont ravageurs. C'étaient deux rois. Et ensemble, ils produisaient quelque chose d'unique, de quasi-mystique. Newman avait déjà les tempes grises d'un vieux filou. Et Redford cette allure de loup irrésistible qui apprenait de son partenaire.

Face à eux, Robert Shaw avait quelque chose de vraiment inquiétant, très intense. Il n'a pas apprécié que son nom ne figure pas en haut de l'affiche sur la même ligne que les deux vedettes. Mais il compose un personnage qui en impose terriblement et qui fait briller ses adversaires. Pour l'anecdote, s'il claudique dans le film, c'est parce qu'il s'était blessé avant le tournage. C'est sa seule fragilité. Avec son orgueil.

L'Arnaque, c'est vraiment une autre époque, un autre monde, un autre cinéma. Et c'était Redford, le prince de l'Amérique. L'Amérique qu'on aime (dixit Jane Fonda, dans son hommage à l'acteur).

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