mardi 16 septembre 2025

L'AIGLE S'EST ENVOLE (John Sturges, 1976)


Inspiré par l'évasion, en 1943, de Benito Mussolini de la prison où l'avait fait enfermé Victor-Emmanuel III, l'état-major allemand entreprend une opération aussi périlleuse en commandant à l'amiral Canaris l'enlèvement de Winston Churchill. Il charge le colonel Radl d'étudier la faisabilité d'un tel projet sans y croire une seconde. Mais contre toute attente, Radl, grâce à rapport transmis par Joanna Grey, agent infiltrée en Angleterre pour le compte du Reich, pense la chose possible et commence les préparatifs.
 

Il recrute d'abord Liam Devlin, un membre de l'IRA pour qui seul compte l'indépendance irlandaise, d'entrer en contact avec l'agent Grey. Puis il cherche, et trouve, un soldat assez audacieux pour mener cette mission. Cet homme, c'est le colonel Kurt Steiner qui est détenu, pour insubordination, sur l'île d'Aurigny, occupée par les allemands, avec ses hommes appartenant au peloton aéroportée.


Himmler, en personne, remet une lettre de Hitler à Radl lui donnant carte blanche pour mener l'opération. Steiner et ses hommes sont parachutés en Angleterre depuis un avion de la RAF récupéré par les allemands et rejoignent le village de Studley Constable où Devlin les attend. Ils se font passer pour des soldats polonais et débutent des manoeuvres de repérages car Churchill est attendu dans un manoir voisin où le vicaire de ce patelin lui rendra visite.


J'avais voulu, en Juin dernier, rendre un hommage à Donald Sutherland alors qu'il venait de disparaître. Mais la diffusion hier soir sur Arte de l'Aigle s'est envolé me fournit l'occasion de me rattraper. Avant d'aller plus loin, vous remarquerez que le titre français contredit l'original où L'Aigle a atterri au lieu de s'être envolé...


Le film est réalisé par le vétéran John Sturges dont ce sera le dernier opus. Pour moi, Sturges, c'est l'homme des Sept Mercenaires, de La Grande Evasion, d'Un Homme est passé, du Dernier Train pour Gun Hill et de Règlements de comptes à OK Corral, soit une collection de longs métrages qui m'ont accompagné enfant et adolescent et que j'ai vus et revus.


Mais en 1976, Sturges n'a plus vraiment la côte à Hollywood et n'est plus aussi motivé. D'ailleurs le tournage de L'Aigle s'est envolé se déroulera dans une ambiance exécrable car Michael Caine déplorait l'attitude  de son metteur en scène et le fait que son principal partenaire à l'écran soit Donald Sutherland alors que le rôle de ce dernier devait être tenu par Richard Harris (écarté parce qu'il soutenait l'IRA).


Est-ce un bon film malgré tout ? Sans doute pas autant qu'il aurait pu. Mais c'est un divertissement plaisant et efficace, où on ne sent pas de la part de Sturges un manque d'investissement. Au contraire sa réalisation est soignée, l'intrigue est bien conduite et la distribution mise en valeur. Le problème en vérité est ailleurs...

Car ce type de film souffre d'un décalage effectif entre la manière dont il a été fait, produit, et celle dont il est incarné. Sturges, c'est le classicisme hollywoodien, la vieille école, un metteur en scène réputé pour faire briller ses stars dans des genres comme le western surtout mais aussi le film de guerre, comme ici. C'est sa mission et il la remplit.

Mais Michael Caine et peut-être encore plus Donald Sutherland, c'est la modernité des années 70, cette génération d'acteurs anglo-saxons qui, en parallèle de l'éclosion des élèves de l'Actor's Studio (De Niro, Pacino, Hoffman...), a imposé une nouvelle manière de jouer des personnages, avec plus d'ambiguïté, entre flegme et folie.

Au milieu, comme une sorte de passerelle entre américains du Nouvel Hollywood et anglais ou canadiens, se trouve Robert Duvall, qui a joué dans Le Parrain notamment, et qui emprunte un peu à ces deux courants : une caractérisation très sobre, intériorisé, mais inspiré de la méthode Lee Strasberg. On peut se demander comment lui a vécu de tournage houleux...

L'intrigue est assez loufoque mais s'appuie sur un fait bien réel : Mussolini a été libéré de prison, où l'avait jeté Victor-Emmanuel III, dans des circonstances rocambolesques. Cela a inspiré le romancier Jack Higgins dont le livre a servit de base au scénario de Tom Mankiewicz, le neveu de Joseph Mankiewicz, un des plus grands cinéastes de Hollywood dans les années 50-60 (Cléopâtre, Soudain l'été dernier...).

Le spectateur est partagé dès le départ car les héros sont après tout des allemands servant le régime du 3ème Reich et donc Adolph Hitler. Pas vraiment des individus très sympathiques donc. Mais qu'il a fallu rendre quand même héroïque. Mankiewicz doit jongler avec ces éléments-là et il s'en sort brillamment, car il réussit presque à nous faire oublier qui sont réellement Steiner, Radl et compagnie.

Dans son dernier acte, ce commando allemand est encerclé par des Rangers américains dans un village. La mission est plus que compromise mais le fanatisme des allemands apparaît dans leur sacrifice pour permettre à leur leader de s'échapper et d'essayer de compléter leur mission. On peut dire que le dénouement est très malin puisqu'il offre une forme de victoire à Steiner, même s'il est dupé (mais chut ! Je ne veux pas vous spoiler ce twist ingénieux).

Sturges emballe tout ça en un peu plus de 120', on ne s'ennuie pas une seconde, même si on est quand même très loin du souffle qui traversait par exemple La Grande Evasion, chef d'oeuvre absolu du cinéaste.

Michael Caine campe avec charisme et un mélange de discipline absolue et d'attitude rebelle ce colonel qui semble savoir dès le départ qu'il s'engage dans une mission suicide. Donald Sutherland insuffle, c'est évident, une ironie, une malice à son personnage qu'on aurait eu du mal à imaginer avec Harris. Robert Duvall est remarquable en stratège abusé par Himmler (interprété par Donald Pleasence).

A côté de ce trio, on remarquera la très belle Jenny Agutter (la même année, elle tournera le film qui fit d'elle une éphémère vedette, L'âge de cristal), mais aussi Treat Williams et, plus étonnant, Larry Hagman (bien avant qu'il ne soit J.R. Ewing dans Dallas).

Si vous êtes fan de Caine, Sutherland ou de Sturges (à la rigueur), vous regarderez L'Aigle s'est envolé avec le même plaisir que les séries B de "La Dernière Séance" (référence en la matière même si ça n'évoquera rien à ceux qui n'étaient pas nés avant les années 80).

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