1941. L'officier SS Hans Landa rend visite à Pierre LaPadite, un fermier, qu'il questionne au sujet d'une famille juive, les Dreyfus. Se vantant d'être un "chasseur de juifs" comme on l'a surnommé, il offre à LaPadatite l'amnistie s'il les livre. Et le fermier, les larmes aux yeux, indique silencieusement qu'ils se trouvent sous le parquet de sa cuisine. Des soldats allemands entrent et massacrent leurs proies. Mais l'une d'elles, Shosanna, réussit à fuir.
1944. Le lieutenant Aldo Raine recrute des soldats juifs américains au sein de son unité spéciale, les Bâtards, pour instiller la peur parmi les nazis en les tuant et en les scalpant. Son équipe compte les sergents Donnie Donowtiz dit "l'ours juif" et Hugo Stiglitz, les premières classes Smithson Uitivich et Omar Ulmu, et le caporal Wilhem Wicki. Ceux qui survivent à leurs raids sont marqués d'une croix gammée sur le front, taillée au couteau, pour qu'après la guerre personne n'ignore dans quel camp ils étaient.

Soshanna dirige maintenant un cinéma à Paris sous le nom d'Emmanuelle Mimieux avec son projectionniste et amant, Marcel, un homme noir. Courtisée par Fredrick Zoller, un célèbre tireur d'élite allemand dont les exploits en Italie ont inspiré le film "La Fierté de la Nation" de Leni Riefenstahl, elle rencontre Joseph Goebbels qui veut organiser la première de ce long métrage dans son établissement avec les cadres du régime nazi. Soshanna y voit, elle, l'occasion de se venger en leur tendant un piège... Sans savoir que les alliés élaborent "l'opération kino" dans le même but...
Les années 2000-2010 montrent Quentin Tarantino au sommet de son art - voyez plutôt : en 2003-2004, il signe le diptyque Kill Bill ; en 2007 il livre Boulevard de la Mort ; et en 2009 Inglorious Basterds. Il considère aujourd'hui ce dernier comme son "chef d'oeuvre" et je pense qu'il a raison, même si, depuis il y a eu son "magnum opus" Once upon a time... In Hollywood.
Pourquoi alors Inglorious Basterds occupe-t-il la première place dans le propre palmarès de sa filmographe ? Sans doute parce que si on juge un film au plaisir brut qu'il procure, même après plusieurs visionnages, alors celui-ci est vraiment à part. Tout, absolument tout respire le cinéma - mieux : l'amour du cinéma tel que le conçoit Tarantino.
On le sait, le scénariste-réalisateur est un fan de séries B, qu'il place souvent plus haut que d'authentiques classiques certifiés. Il convient de rappeler qu'avant de passer derrière une caméra (et parfois devant), Tarantino a longtemps travaillé dans un vidéo club où il avait accès à des films de qualité diverse mais qui ont nourri sa cinéphilie (pour ne pas dire sa cinéphagie).
Inglorious Basterds est le fruit de ces années passer à regarder ces longs métrages de genre, parfois méprisés, souvent oubliés : des westerns, des films de guerre, de cape et d'épée, de chevalerie, de samouraï, de blaxpoitation, etc. Mais il les a si bien étudiés, digérés, intégrés, qu'il en a fait son propre cinéma, un cinéma hybride, hirsute, drôle et violent, iconoclaste.
Tarantino avait ce projet depuis ses débuts mais il était conscient que ça allait coûter cher et que ça lui prendrait du temps pour l'écrire, pour justement filtrer ce qu'il garderait et ce qu'il couperait. Mais en 2009, il a atteint le sommet : succès critique, public, prix dans les festivals, Oscar, etc. C'est un auteur à la fois respecté (tout le monde veut travailler avec lui) et encore marginal (il n'appartient à aucune chapelle : il est sa propre chapelle).
Avec Kill Bill, il a fait "le film pour lequel" il était "né". Boulevard de la Mort aura été une sorte de récréation puisqu'il s'agissait de rendre hommage au style grindhouse et de composer un double programme avec Planète Terreur de son pote Robert Rodriguez. Inglorious Basterds marque son retour aux affaires sérieuses avec une oeuvre rêvée et longuement mûrie.
Comme une citation tacite à son idole Sergio Leone, l'histoire pourrait s'appeler le nazi, le héros et la fille. Le nazi est Hans Landa, un officier "chasseur de juifs", à la fois précieux, ridicule, et cruel. Le héros est Aldo Raine, un lieutenant au sang apache qui est à la tête d'un commando terrifiant et loufoque à la fois. La fille est Shosanna, une juive en fuite qui a l'occasion de se venger spectaculairement.
Tarantino fait de ces protagonistes des icones : il pousse tous les curseurs dans le rouge en s'arrêtant juste à temps pour que le spectateur ne les trouve pas parodiques. On va détester Landa, adorer Raine, et compatir pour Shosanna. Mais ce sont des personnages bigger than life, et qui échappent donc à tout réalisme. Chacun, à sa manière, dépasse tout ce qu'on peut imaginer.
Landa terrifie par la parole, il est bavard et bénéficie de dialogues éblouissants, dits de manière crispante. Raine fait la guerre comme un sauvage, scalpant des nazis et marquant de manière indélébile les survivants. Shosanna saute sur une opportunité incroyable pour rendre leur monnaie de sa pièce à ceux qui ont massacré sa famille.
Le langage chez chacun d'eux est important : Landa s'exprime comme un fin lettré polyglotte, Raine baragouine comme une caricature de dur-à-cuire, et Shosanna est économe dans ses paroles auxquelles elle préfère les actes. Mais jamais comme ici Tarantino n'aura aussi bien fait parler ses héros et méchants : chaque mot est comme une balle de revolver ou coup de couteau.
Et puis le coeur du récit est une salle de cinéma. Quoi de mieux pour résumer le propos de Tarantino, qui transforme la pellicule nitrate hautement inflammable en une arme dévastatrice ? Inglorious Basterds, comme Once upon a time... In Hollywood, réécrit l'Histoire comme une consolation aux horreurs qui la forgent. Et le support de la fiction, un film donc, devient l'instrument de cette revanche.
Découpé en chapitres, le film culmine dans son cinquième et dernier acte, mais en vérité il est construit comme un enchaînement de séquences à la fois délectables et de morceaux de bravoure filmiques. Il y a le long échange du début (entre Landa et LaPadite), le speech de Raine à ses Bâtards, le rendez-vous dans la taverne... Autant de purs moments de pur cinéma. Jouissifs.
Le miracle, c'est que la première qu'on voit Inglorious Basterds, on jubile. Mais cette jubilation ne diminue jamais quand on le revoit, même plusieurs fois. On se régale par avance des scènes culte que le film fournit, de son crescendo, de sa mise en scène virtuose (avec des mouvements d'appareil fabuleux, un rythme implacable, une photo splendide). Et de son casting.
Depuis maintenant quelque temps j'enchaîne les critiques sur des films avec Brad Pitt. C'est un acteur que, pourtant, je n'ai pas toujours autant apprécié; Non que j'avais quelque chose contre lui, mais il m'indifférait. Puis je l'ai vu camper Aldo Raine et, bien plus que Seven ou Fight Club, c'est là que j'ai commencé à vraiment m'intéresser à lui. Sa composition est rien moins qu'hilarante et géniale.
Saviez-vous que Tarantino pensa d'abord à Leonardo di Caprio pour jouer Hans Landa ? Puis pour des raisons d'agenda, ça ne se fit pas. Mais il vit l'audition de Christoph Waltz à la dernière minute et ce fut le déclic. Depuis, Waltz a poursuivi sa carrière en n'arrêtant plus de jouer des ersatz de son meilleur rôle, y compris dans 007 Spectre et Mourir peut attendre, deux James Bond.
Mélanie Laurent a appris que tourner avec Tarantino était à la fois une chance unique et une sorte de malédiction : après ça, elle fut l'objet de critiques virulentes, on lui reprochait d'être partout (elle passera à la réalisation, sortira un album comme chanteuse). Pourtant elle est formidable ici, et ça, on ne peut lui enlever.
Diane Kruger joue le rôle de Bridget Von Hammersmarck, une actrice agent double qui va avoir un rôle décisif dans l'opération kino : Tarantino voulait confier son personnage à Nastassja Kinski, sans succès, mais l'actrice allemande est royale. Daniel Brühl est également excellent en tireur d'élite amoureux et horripilant. Citons encore Eli Roth ("l'ours juif" !) ou Michael Fassbender (épatant).
Et puis, enfin, comme toujours avec QT, la bande originale est un collage ahurissant de musiques empruntées à d'autres films, de chansons (dont une de David Bowie, délicieux anachronisme). Il n'y a que lui (et James Gunn et Edgar Wright) pour réussir de tels cocktails sonores.
Inglorious Basterds, c'est un énorme kif !
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