lundi 17 novembre 2025

CHARLOTTE IMPERATRICE, TOME 1 à 4 (sur 4) (Fabien Nury / Matthieu Bonhomme)


TOME 1 : LA PRINCESSE ET L'ARCHIDUC 
(2018)

La Princesse Charlotte de Belgique est la fille du Roi Léopold 1er. A 16 ans, elle doit choisir celui qu'elle épousera entre le Roi Pierre V du Portugal et l'Archiduc Maximilien d'Autriche, frère de François-Joseph de Hasbourg. Contre toute attente, c'est le second qu'elle choisit et un mariage somptueux est organisé.


Mais François-Joseph méprise son frère cadet dont il n'apprécie pas les fréquentations, notamment avec Bombelles, un officier de l'armée avec qui il s'adonne à la débauche. Délaissée, Charlotte observe le conflit qui oppose les Hasbourg à Napoléon III et qui va pousser Maximilien a accepter une périlleuse mission pour sa famille : partir au Mexique pour en devenir l'Empereur avec le soutien de l'armée française pour mater la rébellion juariste...
 

TOME 2 : L'EMPIRE
(2020)

Maximilien et Charlotte partent donc pour le Mexique où il sont placés à la tête du pays par le Conseil Supérieur du gouvernement en place qui souhaite instaurer une monarchie pour remplacer le système fédéraliste défaillant. Maximilien est persuadé qu'il peut réussir et rêve d'un destin glorieux, éclipsant celui de son frère.


Plus réaliste, Charlotte constate la misère du peuple mexicain et notamment des indiens. Maximilien s'aliène le clergé, l'armée, les médias et la justice par ses réformes avant de visiter le pays - un prétexte pour retomber dans l'oisiveté et la décadence en compagnie de Bombelles. Charlotte prend alors les affaires en main, protégée par son aide de camp Félix Eloin, et devient une décideuse éclairée...


TOME 3 : ADIOS, CARLOTTA
(2023)

Pour diriger l'armée, la famille de Charlotte envoie au Mexique le colonel Alfred Van Der Smissen, dont le charme ne la laisse pas insensible. D'autant que Maximilien a contracté la siphyllis et qu'elle ne peut risquer de l'avoir à son tour sans ruiner ses chances d'avoir un enfant. Devenue trop populaire au goût de Bombelles, Charlotte est évincée au profit de son mari contre qui le clergé conspire.
 

La campagne militaire brutale menée par Van Der Smissen remobilise de plus belle les juaristes et Napoléon III décide alors de retirer ses troupes, condamnant de fait Charlotte et Maximilien. Elle décide alors de repartir en France plaider sa cause auprès de l'Empereur français, laissant derrière elle son époux à qui elle promet de faire vite...
 

TOME 1 : 60 ANS DE SOLITUDE
(2025)

Lâchée par Napoléon III qui refuse de revenir sur sa décision d'abandonner le Mexique, et enceinte de Van Der Smissen dont elle a fait son amant, Charlotte, accompagnée des ambassadeurs mexicains, le couple Almonte, demande une audition au Pape Pie IX. Désespérée, Charlotte effraie le Saint-Père qui la congédie.


Au même moment, Juarez reprend le contrôle de Mexico et fait fusiller Maximilien. Lorsqu'elle l'apprend, Charlotte s'effondre et perd le peu de raison qui lui reste. Elle s'enferme dans une chambre d'hôtel à Paris avec une servante, donne naissance à un fils. Son frère Philippe et Félix Eloin se charge de l'exfiltrer...

Il aura donc fallu 8 ans à Fabien Nury et Matthieu Bonhomme pour venir à bout de cette saga historique qui, si elle prend des libertés avec l'Histoire, retrace le destin tragique de Charlotte de Belgique. Ce genre de récit peut déplaire à ceux qui reprochent à la BD franco-belge d'exploiter trop souvent le passé pour alimenter ses publications, mais la singularité de cette intrigue, de son approche et l'ambition du résultat ne peuvent laisser indifférent.

Fabien Nury est un scénariste expérimenté mais qui, lorsqu'il donne des interviews, donne l'impression d'un homme en colère. Cela le motive à écrire sur des personnages que l'existence n'épargne pas et qui sont même volontiers des victimes d'un système qui les écrase, de circonstances qui les dépassent, d'un entourage qui les piège. Ce qui fait de Charlotte de Belgique une héroïne parfaite pour lui.

Le tome 1 l'introduit d'abord encore enfant alors que sa mère vient de trépasser et qu'elle refuse d'aller la voir sur son lit de mort. Mais déjà le poids des conventions s'impose et elle est obligée par son père à dire adieu à celle qui l'a mise au monde et la laisse seule dans un monde terrifiant, entourée par ses deux frères.

Puis, quelques années plus tard, à 16 ans, elle épouse Maximilien d'Autriche, bien que son frère Philippe, en enquêtant à son sujet, a découvert qu'il avait de mauvaises fréquentations. Maximilien est le cadet des Hasbourg, la puissante famille régente d'Autriche, et il est éclipsé par l'aura de son ainé, François-Joseph, qui s'emploie à le maîtriser en lui confiant des tâches subalternes.

En conflit ouvert avec Napoléon III, François-Joseph a toutefois un objectif commun avec la France : le Mexique. Ils désignent donc Maximilien pour s'en occuper avec l'assentiment des autorités locales qui veulent instituer une monarchie pour pallier à la défaillance du système fédéral et surtout mater la révolte menée par Benito Juarez, unifiant les peuples mexicain et indien contre les élites.

Dans le deuxième tome, Charlotte et Maximilien débarquent donc dans ce pays corrompu où la misère accable la société au profit du clergé, de la justice et des médias, vivant dans l'opulence. Le couple doit composer avec une armée française uniquement motivée par la solde. Mais Maximilien s'aliène les puissants avant de déserter son trône pour profiter des charmes de la province. Charlotte est de fait en première ligne et s'avère être une décideuse éclairée.

Troisième acte où sa popularité joue contre elle : non seulement les autorités n'apprécient pas d'être aux ordres d'une femme, mais surtout Maximilien, prévenu, revient prendre les commandes. A partir de là, entre le désengagement napoléonien, les mauvaises décisions du cadet des Hasbourg, la mobilisation juariste, la situation devient critique. 

Dernier chapitre : Charlotte repart en France essayer de faire changer d'avis Napoléon III puis solliciter l'aide du Pape. Mais la jeune femme, en proie à un délire de persécution, enceinte, mal conseillée, sombre lorsqu'elle apprend la mort de Maximilien, fusillé par Juarez. Elle finit sa vie seule, à l'écart du monde, mais survivant à tous ceux qu'elle avait croisés avant de périr dans l'oubli.

Il y a un vrai souffle dans l'écriture de Nury qui embrasse la reconstitution d'époque moins pour lui être absolument fidèle que pour souligner l'aspect pathétique du sort qui va s'acharner sur son héroïne. Pourtant, malgré les épreuves, il ne peut s'empêcher de saluer son panache, son avant-gardisme, son sens de la justice sociale, de ressentir de la compassion pour ses amours malheureuses.

S'il brosse donc un portrait tendre de Charlotte, en revanche l'auteur n'épargne aucun des hommes qui tournent autour d'elle comme des satellites. Félix Eloin est celui qui est le moins accablé par Nury, même si ses scrupules à un moment le perdront. Philippe de Belgique est également dépeint comme un frère attentionné.

Par contre, qu'il s'agisse de Maximilien, de Bombelles ou de Van Der Smissen, la charge est implacable. On a là un trio de bètise, de cynisme et de violence qui évince, méprise et abuse de Charlotte. Il est indéniable, que, malgré les licences littéraires de l'auteur,  ces individus ont précipité la jeune femme dans une détresse morale à l'origine de son déclin. Mais cela aura sans doute gagné à être traité avec plus de subtilité.

Le projet était initialement une trilogie mais a nécessité un tome supplémentaire parce que Matthieu Bonhomme s'est laissé déborder par le plaisir qu'il avait à illustrer cette fresque romanesque et cruelle. C'est néanmoins un signe de confiance en son partenaire de la part de Nury qui a dû lui laisser beaucoup de liberté pour mettre son script en images.

Si vous ajoutez à cela que, entre les tomes 2 et 3, trois ans se sont écoulés parce que Bonhomme s'est offert une respiration en écrivant et dessinant Wanted Lucky Luke (son deuxième one-shot consacré au poor lonesome cowboy), on comprend aisément pourquoi il a fallu 8 ans pour compléter cette mini-série. Toutefois, ramenez au nombre croissant de planches à chaque volume, c'est un rythme tout à fait convenable.

Bonhomme est certainement aujourd'hui le meilleur dessinateur français : formé au contact du grand Christian Rossi, fan de Morris, il a su agréger ces deux influences pour produire un dessin fouillé et une narration graphique virtuose. Il donne la pleine mesure de son talent dans ces quatre tomes où jamais il ne fléchit.

Qu'il s'agisse de représenter les cours fastueuses d'Europe ou le Mexique écrasé de chaleur, sa virtuosité pour ce genre d'environnements est impressionnante. Il est aussi incroyablement fort pour camper des personnages auxquels il donne vie sur ses pages avec expressivité, documentant ses images avec un soin méthodique, donnant corps à des scènes fournies en figuration.

Sa passion pour le western trouve une sorte de place insolite quand il s'agit d'animer les chapitres mexicains, avec notamment toute l'action qui se déroule hors des palais. Une scène dans le tome 2 où le convoi impérial traverse la sierra jusqu'à arriver de nuit dans un village éclairé par des flambeaux, sans qu'on sache s'il s'agit d'une embuscade ou d'une célébration, en est le meilleur exemple.

Bonhomme rend le moindre personnage mémorable : Maximilien et sa sottise grandiloquente, Bombelles et le vice dans son regard, Van Der Smissen et son charme ténébreux, Félix Eloin et sa bonté naturelle, la Comtesse de Zichy et ses airs conspirateurs, et surtout Charlotte, mélange étonnant de douceur candide et de détermination avant la descente aux enfers.

Difficile, malgré quelques longueurs, de ne pas être touché par cette jeune femme, ses mauvais choix, ses décisions remarquables aussi, le chagrin qui la rattrape, bref tout ce qui fait de Charlotte Impératrice une oeuvre puissante, intense, poignante, édifiante, par deux auteurs au sommet de leur art.

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