samedi 15 novembre 2025

IPCRESS : DANGER IMMEDIAT (Sidney J. Furie, 1965)


Le physicien Radcliffe est kidnappé dans un train et son escorte tuée. Harry Palmer, sergent dans l'armée britannique travaillant désormais pour le ministère de la Défense, est transféré par son supérieur hiérarchique, le colonel Ross, dans la section dirigée par le major Dalby pour y remplacer l'escorte assassinée. D'après Ross, l'affaire de la disparition de Radcliffe est liée à celles de 16 autres savants anglais qui ont inexplicablement quitté leur poste récemment alors qu'ils étaient au sommet de leur carrière. Dalby reçoit pour mission de le retrouver s'il ne veut pas voir son département supprimé.


Le principal suspect dans cette affaire est Eric Gantby et son adjoint, Housemartin. Palmer fait équipe avec Jock Carnswell et le premier utilise une relation à Scotland Yard pour localiser Grantby grâce à sa voiture. Palmer va à la rencontre de ce dernier dans une bibliothèque publique et lui fait savoir que les autorités sont prêtes à payer le prix qu'il faut pour récupérer Radcliffe. Grantby lui donne un papier avec un numéro de téléphone pour arranger un rendez-vous. Mais il s'avère que le numéro n'a pas de correspondant et quand Palmer rattrape Grantby, celui-ci lui échappe avec l'aide Housemartin.


Housemartin est arrêté quelques heures plus tard et Palmer, prévenu, se rend avec Carnswell au poste de police où il se trouve. Mais ils le trouvent mort dans sa cellule alors que deux hommes, se faisant passer pour Palmer et Carnswell, lui ont rendu visite juste avant. Les deux agents se rendent là où a été appréhendé Housemartin et Palmer ordonne une fouille de l'endroit, sans rien trouver d'autre qu'un bout de bande magnétique sonore dont l'examen ne révèle rien d'autre qu'un bruit bizarre et une inscription : IPCRESS...
 

J'ai mentionné The IPCRESS File (en vo) dans la critique, hier, de L'Or se barre, et j'ai donc eu envie, comme souvent, par esprit de rebond, de le revoir (je pense même poursuivre avec les deux suites, Mes Funérailles à Berlin et Un Cerveau d'un milliard de dollars). J'avais été vivement épaté la première fois où je l'avais découvert et cela s'est confirmé.


Qui est Harry Palmer, le héros de ce film ? Citons une réplique du colonel Ross, son patron, quand il le présente au major Dalby : "Insubordonné. Insolent. Un filou. Peut-être avec des tendances criminelles." Comme l'intéressé est présent lors ce résumé, il confirme malicieusement. On apprendra ensuite que Palmer, ancien sergent dans l'armée, a fait de la prison pour avoir participé au marché noir et qu'il est devenu fonctionnaire pour en sortir.


Cet espion pas comme les autres est né de l'imagination de Len Deighton, un romancier qui a voulu surfer sur le succès de son confrère Ian Fleming, le créateur de James Bond. Ses propres oeuvres ont eu assez de succès pour que les producteurs de 007 l'embauchent pour écrire Bons Baisers de Russie (le deuxième volet des aventures de Bond, réalisé en 63 par Terence Young).


Mais la copie qu'il a rendue n'a pas convenu et il a été remercié. Harry Saltzman, un des producteurs de Bond, l'a rattrapé, séduit, lui, par ses romans et désirant proposer une alternative à 007. C'est exactement ce qu'est Harry Palmer : là où Bond est un globe-trotter, séducteur, au service de sa Majesté, affrontant des vilains pittoresques, le héros de Deighton est son exact opposé.

Outre les qualités décrites par le colonel Ross, Palmer est un fonctionnaire comme les autres. Il est affecté à des missions de surveillance ennuyeuses et lorsqu'il est muté dans un autre département, il est sous les ordres d'un officier qui impose à son personnel de tout consigner dans des formulaires. Quand Bond loge dans des palaces exotiques, Palmer vit dans un studio. Quand Bond couche avec toutes le femmes qu'il désire, Palmer fait la cuisine à l'assistante de Dalby pour la séduire.

"Vous ne quittez jamais vos lunettes ? - Uniquement quand je me mets au lit." Et Jean Courtney ôte les lunettes de Harry Palmer. Mais on ne les verra pas au lit ni recoucher ensemble. Et Palmer ne fréquente aucune autre fille avant ou après. Par contre il ne se prive pas de reluquer de belles anglaises dans la rue avec un sourire gourmand.

Tout le film est donc ainsi construit, comme une antithèse. Pas de grand spectacle, de fantaisie, d'intrigue échevelée, de héros invincible. La photo de Otto Helmer saisit Londres comme une ville grise, avec des espions eux-mêmes gris, mais des cadrages biscornus, insensés, des compositions bizarres, des angles de vue impossibles. Sidney J. Furie s'amuse à transcender cette grisaille par un style visuel baroque.

L'histoire concerne des kidnappings de savants rendus ensuite, contre rançon, très affectés mentalement, au point que leur génie est devenu inopérant. Harry Palmer et son partenaire Jock Carnswell trouvent une piste, IPCRESS, un acronyme correspondant au titre d'un ouvrage sur le lavage de cerveau (Induction of Pyschoneurosis by Conditioned Reflex under Stress).

La réussite d'IPCRESS : Danger Immédiat tient au fait que, sous les couches d'espionnage très bureaucratisé, le spectateur est d'abord un peu anesthésié par ces éléments de decorum afin que, ensuite, par contraste, plus Palmer approche de la solution, plus il est en danger et plus on craint pour lui. Comme c'est un binoclard, une fois qu'on lui enlève ses lunettes, il ne voit littéralement plus grand-chose, encore moins la mort qui rôde.

La forme du film épouse le fond de l'intrigue : tout ce que Furie et son directeur de la photo s'évertuent à trafiquer n'est là que pour traduire le sentiment d'oppression, de flou qui entoure Palmer. La traduction la plus directe, c'est que lorsqu'il ne porte pas ses lunettes, il voit donc tout trouble, et dès qu'il les remet, c'est comme une mise au point qui lui permet de cerner rapidement le détail qui cloche.

Pendant les 2/3, voire 3/4 du film, Palmer fonce. Puis dans le dernier acte, soumis à une torture que je ne dévoilerai pas, et privé de ses verres correcteurs, il avance à tâtons, risquant sa vie et celle des autres, jusqu'à une confrontation finale où, pour recouvrer sa lucidité et sa vue, il se mutile et tranche de manière décisive. C'est là qu'on comprend pourquoi un agent insubordonné comme lui était l'homme de la situation : son caractère indocile lui a permis de résister à ses bourreaux - et d'ailleurs, n'est-il pas d'abord payé pour ça ?

Avec son accent cockney, Michael Caine campe génialement (comme d'habitude) cet espion issu du milieu ouvrier, petite main du contre-espionnage, malicieux, irrévérencieux mais pugnace, dur au mal : Harry Palmer n'a pas éclipsé Bond, mais grâce à son interprète (qui jouera plus tard avec Sean Connery dans L'Homme qui voulut être roi) il est entré dans la légende.

Les seconds rôles échoient à des comédiens tous impeccables : Nigel Green (Dalby), Guy Doleman (Ross), Sue Lloyd (Jean), Frank Gatliff (Grantby) et surtout le toujours formidable Gordon Jackson (Carnswell).

John Barry signe la musique, là aussi aux antipodes des partitions épiques de Bond, avec l'omniprésence du cymbalum, qui a un son entre le piano et la guitare, et un thème principal magnifique.

IPCRESS : Danger Immédiat est une pépite, de celles qu'on adore parce qu'elle divertit en offrant au regard et à l'esprit quelque chose de totalement atypique. Une sorte d'équivalent pour le film d'espionnage à ce que Le Point de Non-Retour de John Boorman fut pour le polar.

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