dimanche 16 novembre 2025

LE DOSSIER ANDERSON (Sidney Lumet, 1971)


Robert "Duke" Anderson est libéré après dix ans en prison. Il renoue avec Ingrid Everly, une call-girl qui vit dans un immeuble huppé de Manhattan que Duke pense immédiatement cambrioler d'un seul coup. Il s'adresse à Angelo, un patron de la mafia, pour financer l'opération et rassemble une équipe de 5 hommes : Tommy Haskins, le "Kid", Edward Spencer, "Pop", et "Socks" Barelli, que lui impose Angelo, un psychopathe qui embarrasse la pègre et qui devra être éliminé durant le casse.


Ce qu'ignore Duke, c'est que lui et ses hommes sont surveillés par divers espions : tout d'abord il y a Werner, un client jaloux de Ingrid, puis le FBI (qui enquête sur Spencer et des activistes noirs), puis l'IRS (qui enquête sur les finances d'Angelo), puis le BNDD (qui enquête sur un trafic de drogue dans le quartier). Aucun de ces personnages ne sait que les autres ont les yeux braqués sur l'immeuble. Pour être sûr qu'il y aura le moins de résidents possibles lors du cambriolage, Duke prévoit d'opérer le week-end de la Fête du Travail.


Avant de passer à l'action, Werner fait chanter Anderson : il veut l'exclusivité auprès d'Ingrid sinon il le dénonce à la police. Ingrid préfère quitter Anderson et partir le week-end avec Werner. Déguisés en employés de la société de déménagement Mayflower, les voleurs coupent le téléphone et l'alarme, ligotent et bâillonnent le concierge, rassemblent ceux qui sont restés dans leur appartement dans celui occupé par deux vieilles dames et commencent leur casse...


La filmographie de Sidney Lumet est si fournie qu'immanquablement il y a du très bon et du beaucoup moins bon à l'intérieur. The Anderson Tapes (en vo) fait partie de la première catégorie : c'est un big heist movie comme on en a beaucoup vu certes, mais très bien ficelé, et qui s'inscrit en prime dans la tendance paranoïaque du cinéma des années 70, bien qu'il précède le scandale du Watergate.


Lumet a fait ses armes à la télévision et son style s'est forgé dans des réalisations à petit budget sur un temps de tournage restreint. C'est une des raisons pour laquelle beaucoup de critiques le considéraient plus comme un faiseur sans éclat que comme un narrateur digne de ce nom. C'est injuste, mais ça a touché d'autres cinéastes aussi économes formellement (comme Don Siegel ou John Sturges).


Mais dans Le Dossier Anderson (en vf), c'est particulier parce que Lumet devait adapter à l'écran un roman de Lawrence Sanders quasi exclusivement raconté par des transcriptions de surveillance rédigées par des espions. La technologie était au coeur de l'intrigue et montrait le décalage entre un voleur qui sortait de prison après dix ans derrière les barreaux et le monde moderne désormais équipé pour le repérer et le confondre.


Duke Anderson est donc un cambrioleur à l'ancienne qui ignore tout de là où il met les pieds. Il pense qu'il va pouvoir vider de ses biens de valeurs tous les appartements d'un immeuble cossu sans être vu ni même soupçonné. Pour lui il s'agit d'un braquage certes ambitieux mais dans ses cordes, reposant d'abord sur une organisation bien planifiée et des acolytes de confiance.

Toutefois il reste prudent : quand il remarque la caméra devant l'immeuble en question puis dans l'ascenseur, il fronce les sourcils. Et puis il s'entoure d'hommes de confiance, même si on lui impose un psychopathe à éliminer durant le casse. Le spectateur, lui, sait que c'est ce genre d'élément qui condamne les voleurs à l'échec, mais Anderson pense là encore qu'il s'agit d'un obstacle banal.

Le script de Frank Pierson digère très habilement la forme originale du roman et déroule une intrigue qui se joue sur deux niveaux : d'un côté les démarches d'Anderson pour son cambriolage, de l'autre tous ceux qui surveillent l'immeuble. Pendant le premier tiers du film, Duke avance ses pions, méthodiquement, sans se douter de rien.

Puis le récit bascule lorsqu'un client d'Ingrid se révèle un de ceux qui l'épient et peuvent tout faire capoter. Duke demande alors à sa maîtresse de choisir qui elle veut suivre, sachant qu'il est prêt à tout abandonner pour elle. A sa surprise, elle préfère Werner, sans doute pour la sécurité qu'il lui offre. Bien qu'il soit contrarié, Duke laisse filer parce qu'ainsi il a les mains libres, se débarrassant d'elle et de Werner.

Néanmoins il va se trouver à vider un immeuble alors que le FBI, le BNDD, l'IRS sont encore en train de surveiller l'endroit. Lumet fait très bien monter la pression, le spectateur est dans la confidence et espère que les voleurs s'en sortiront quand même, bien qu'il y ait peur de chance que cela se produise objectivement. Mais on le désire parce que le coup est tellement sensationnel que sa réussite serait une récompense pour les efforts des malfrats.

De ce point de vue, la simplicité de la réalisation joue pleinement en faveur du film : l'action est lisible, sans fioritures, et on sait que dans un heist movie, ce qui compte, c'est plus l'intrigue que la caractérisation, même si Anderson est un personnage tout à fait singulier. On en a la preuve dès le début alors qu'il participe à une sorte de réunion de groupe en prison en présence d'un psy.

Evoquant sa passion de percer des coffres-forts, Anderson compare cela à une pénétration sexuelle. Il suffit pour ouvrir un coffre comme pour faire jouir une femme de trouver en somme la bonne combinaison. Mais après toutes ces années derrière les barreaux, Anderson est légitimement frustré car il n'a pas baisé depuis longtemps et il a très envie de se rattraper.

Plus que cela même, il est en colère, furieux car il n'admet pas qu'on enferme un simple voleur en prison pour dix ans (dix ans de volés en fait) alors que des truands en col blanc, eux, passent à travers les mailles du filet judiciaire. Au fond, voler pour lui, c'est rendre service à la victime, qui pourra toujours être remboursé par l'assurance. Plus cyniquement, il a aussi faim d'argent et il veut avoir la première bouchée.

Ce voleur est incarné par Sean Connery et la première chose qu'on remarque ici, c'est qu'il a la crâne dégarni. C'est un secret de polichinelle aujourd'hui, mais il a perdu ses cheveux très tôt et portait donc un toupet quand il jouait dans les James Bond. Là, il apparaît donc au naturel et cela lui confère une autre dimension, plus âgée, mais aussi plus dure. Il a encore de la classe, mais ce n'est pas un séducteur extravagant comme 007.

IL est en tout cas excellent dans le rôle et bien entouré : Dyan Cannon joue Ingrid, cette call-girl ambigüe ; Martin Balsam, Tommy l'antiquaire homosexuel (façon vieille folle) ; Ralph Meeker, un capitaine de police couillu (dans la lignée des rôles qui l'ont fait connaître dès les 50's) ; et pour la première fois à l'écran on découvrait Christopher Walken dans la peau du Kid, déjà très bon.

Pour une fois, je ne vais pas dire du bien de la musique de Quincy Jones qui est vraiment insupportable avec des synthés criards. Plutôt que d'obliger Lumet à changer la fin pour ne pas faire penser au public que les mauvaises actions sont sans conséquences, le studio Columbia aurait dû faire appel à un autre compositeur sur ce coup-là.

Mais, pour le reste, vraiment, rien à redire. Lumet et Connery ont toujours fait la paire et Le Dossier Anderson prouve qu'ils étaient faits pour s'entendre.

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