mercredi 19 novembre 2025

UN CERVEAU D'UN MILLIARD DE DOLLARS (Ken Russell, 1967)


Harry Palmer a quitté le MI-5 pour devenir détective privé à Londres. Un soir, il reçoit un appel téléphonique et au bout du fil une voix robotisée le sollicite pour aller retirer un colis dans la consigne d'une gare et l'apporter à Helsinki. Avant de partir en Finlande, Palmer passe le colis (un thermos) aux rayons X et découvre qu'il contient trois oeufs. Sur place, il est accueilli par Anya qui le conduit jusqu'à Leo Newbigen, une vieille connaissance.


Palmer ne fait confiance à aucun des deux mais fait semblant de vouloir collaborer et ils conviennent de se revoir le lendemain. Entre temps, Palmer est enlevé par le colonel Ross, son ancien supérieur, qui le contraint à reprendre sur service sous ses ordres pour récupérer les oeufs qui contiennent un virus dérobé dans un centre de recherches britannique. Lorsqu'il retrouve Leo comme convenu, Palmer découvre qu'il prend ses ordres d'un ordinateur et se voit confier la mission de tuer Anya. Mais Leo ne peut s'y résoudre car il l'aime.


Ayant menti à l'ordinateur sur le fait que la mission a été exécutée, Leo confie à Palmer une autre mission : gagner la Lettonie pour rencontrer des rebelles du régime soviétique. Après avoir traversé la frontière et manqué d'être exécuté par lesdits rebelles qui s'attendaient à voir arriver Leo, Palmer est arrêté et livré au colonel Stok, qu'il avait connu à Berlin. Ce dernier évoque une conspiration contre le bloc communiste et demande à l'espion anglais de lui communiquer des informations quand il en aura à ce sujet...


Le troisième film consacré aux aventures de Harry Palmer après Ipcress : Danger Immédiat et Mes Funérailles à Berlin est aussi le dernier de cette époque. Par la suite, le personnage reviendra dans deux autres opus (Bullet in Beijing, 1995 ; et Midnight in Saint Petersburg, 1997), tous deux produits pour la télé britannique.


Il faut savoir que Harry Saltzman voyait grand avec l'adaptation des romans de Len Deighton : pas moins de onze films étaient prévus, mais l'auteur savait qu'il faudrait que les scénaristes imaginent des histoires originales puisque lui n'avait écrit que quatre ouvrages. Mais le projet de Saltzman a sombré avec ce troisième opus où le producteur semble s'être emmêlé les pinceaux.


Rappelons que Saltzman était aussi un des producteurs des films James Bond et il avait financé les films Harry Palmer comme une sorte d'alternative, sinon plus réaliste, en tout cas plus distanciée, plus terre-à-terre. Le héros était défini comme l'anti 007, un espion malgré lui en quelque sorte, harassé par la paperasse, travaillant avec détachement, dans des décors tout sauf exotiques, etc.


Mais après Ipcress... où il avait fini par interdire l'accès à la salle de montage à Sidney J. Furie et après Mes Funérailles... où il avait fait appel, comble de l'ironie, à Guy Hamilton, le réalisateur de Goldfinger, Saltzman a tenté un pari impossible : renouer avec un cinéaste styliste et financer une super production. Autant dire un mariage contre nature, et même une sorte de trahison.

Car, dans Billion Dollar Brain (en vo), Harry Palmer est comme découpé en deux : son corps est dans un film de James Bond mais son esprit est resté dans ses deux aventures précédentes. Cette fois, l'adaptation du roman de Deighton a été confiée à John McGrath et visiblement, il avait reçu pour consigne de lâcher les chevaux.

Mais ça ne fonctionne pas - ou plutôt : ça ne fonctionne plus. Tout ce qui faisait le charme et l'intérêt des films avec Harry Palmer est ici noyé dans une intrigue sans queue ni tête, grandiloquente, où la singularité du héros est dévorée. La leçon à méditer ici, c'est qu'un film de genre doit justement s'en tenir au genre auquel il appartient.

Si vous respectez cet aspect, alors le spectateur ne sera pas déçu. Il pourra trouver ça mieux, moins bien ou aussi bon que ce qui a précédé dans la franchise, mais au moins il aura l'essentiel. Dès que vous pervertissez cette donnée, vous êtes dans le commentaire méta ou la parodie, et forcément vous exposez le public à un produit abâtardi qui lui déplaira parce que ce n'est pas pour ça qu'il a payé sa place.

Je ne dis pas qu'il faut se priver de commentaire méta ou de parodie, mais alors il ne faut pas que ce soit une suite à deux films ayant établi un univers codifié. Par exemple, quand vous regardez Casino Royale de 1967, vous êtes dans une parodie de Ian Fleming. Quand vous regardez Casino Royale de 2006, vous êtes dans une adaptation de Fleming. Mais en aucun cas, le film de 67 ne peut prétendre être canonique, appartenir à la franchise 007.

C'est ce même genre de sentiment qu'on a en regardant Un Cerveau d'un milliard de dollars (en vf) : Saltzman a voulu projeter Harry Palmer dans une aventure taillée pour James Bond, avec de l'action tous azimuts, du grand spectacle, une intrigue incompréhensible mais négligeable, de la séduction facile, un méchant grotesque aux mobiles encore plus débiles, un traître pathétique.

Pourtant, dans son premier acte, ce n'est pas désagréable car on reste dans les fondamentaux des deux films précédents : Helsinki, son climat glacial, un colis mystérieux à livrer, même la reconversion de Palmer en détective privé, ça passe. Et puis arrive la scène qui suscite la méfiance (légitime) pour la suite, quand Newbigen introduit Palmer dans cette salle avec l'ordinateur qui donne des ordres.

Là, on glisse doucement mais sûrement dans du folklore bondien des 60's, c'est amusant mais plus du tout réaliste. Le deuxième acte nous balade beaucoup et l'intrigue s'effiloche entre le Finlande, la Lettonie, le Texas. Et c'est au Texas, quand le troisième acte se déploie qu'on sombre dans le WTF le plus total, avec un milliardaire qui veut détruire le communisme et planifie une invasion tout en voulant empoisonner l'Armée rouge !

L'ancre du film, c'est Palmer : il est reste tel qu'en lui-même, observant tout ça avec une sorte d'amusement las. Lui seul semble mesurer le grand n'importe quoi que l'histoire (ou ce qui en tient lieu) raconte. Il se méfie de tout le monde, n'a pas peur du texan mégalo, et rentre à Londres à la fin pour une dénouement savoureusement moqueur. Mais quel gâchis d'avoir entraîné un tel personnage dans ce bazar !

Ken Russell était donc le pari tenté par Saltzman pour redonner une touche arty à sa saga. Sauf qu'il n'avait pas bien jaugé l'énergumène : Russell était un fou furieux, passionné d'opéra, dont le cinéma est comme sous le coup d'une intense fièvre délirante (il suffit de lister quelques-uns de ses films pour s'en assurer : Malher, Tommy, Les Diables, etc).

Le réalisateur ne sera pas heureux de cette expérience : toute l'équipe technique, aux ordres du producteur, résistait à ses directives, et lui aussi, comme Furie, fut écarté du montage final. Pourtant, comme Furie, mais un peu moins quand même, le résultat conserve des éclats de son style, parfois ampoulé mais en tout cas moins pépère que celui de Hamilton.

C'est Michael Caine, impressionné par les longs métrages de Russell, qui avait insisté pour qu'on lui confie ce nouvel opus et il admettra que c'était une mauvaise idée car tout le monde le prenait pour un dément. Caine est impeccable, il a l'immense mérite de ne pas avoir laisser Saltzman et McGrath faire de Harry Palmer un super espion mais toujours cet électron libre désenchanté et sarcastique.

Karl Malden campe un traître qu'il joue en cabotinant atrocement, mais c'est plutôt marrant ici. On retrouve le truculent Oscar Homolka, vu dans Mes Funérailles à Berlin, dans l'uniforme de Stok. Guy Doleman est bien sûr présent dans le rôle de Ross. Et Ed Begley est en surchaufffe permanente dans celui de Midwinter.

Mais le vrai plus du film, même si c'est un bonus triste, c'est la présence de Françoise Dorléac dans le rôle d'Anya. Elle est absolument magnifique, avec cette mélancolie gracieuse qui n'appartenait qu'à elle. C'est triste car ce sera son dernier film, elle mourra cinq mois après la fin du tournage, le 26 Juin 1967, dans un accident de la route. N'ayant pu se doubler en vf (et en vo sur les prises de son les moins bonnes), ce n'est donc pas sa voix qu'on entend.

La musique de Richard Rodney Bennett est excellente. Et le générique d'ouverture du film est signé du grand Maurice Binder (qui a beaucoup oeuvré sur les James Bond).

Fin de partie (provisoire) donc gâchée, même si quelque fulgurances de Russell, et Michael Caine et Françoise Dorléac restent mémorables.

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