vendredi 21 novembre 2025

PAT GARRETT ET BILLY LE KID (Sam Peckinpah, 1973)


1909, Las Cruces, Nouveau-Mexique. Pat Garrett est assassiné par ses propres hommes, dont John W. Poe, appartenant tous comme lui au Santa Fe Ring. 1881, Fort Sumner, Nouveau Mexique. William H. Bonney dit Billy le Kid tue le temps avec les membres de son gang de voleurs de bétail en tirant sur des poulets. Pat Garrett et le shérif adjoint J.W. Bell arrivent. Autour d'un verre, Pat explique à Billy que dans cinq jours il sera le nouveau shérif du comté de Lincoln et a reçu pour mission de le faire partir de la région car les éleveurs en ont assez de ses vols.


Six jours plus tard, Pat et ses adjoints encerclent la ferme où se sont retranchés Billy et quelques-uns de ses hommes. Après une brève fusillade, Billy se rend. Enfermé dans une cellule de la prison de Lincoln, il attend son exécution par pendaison pour le meurtre de Buckshot Roberts tout en devant supporter les sermons de Bob Olinger, un des adjoints de Pat. Celui-ci doit s'absenter quelques jours pour collecter des impôts. Dans les latrines de la prison, Billy trouve un revolver, tue Bell et Olinger et s'enfuit.


A son retour, Pat engage Alamosa Bill Kermit, un ancien acolyte de Billy, comme nouvel adjoint. Ils se rendent à Santa Fé pour y rencontrer le gouverneur Wallace qui exige la capture de Billy tandis que des représentants du Ring offrent 1000 $ pour sa tête. Pat refuse l'argent et promet de ramener Billy, mort ou vif. Après son départ, Pat et Alamosa sont rejoints par John W. Poe qui veut, lui aussi, prendre Billy, doutant que Garrett arrête Bonney puisqu'ils furent amis par le passé...
 

Ce sera une critique un peu spéciale puisqu'elle concerne un film qui, en définitive, n'existe pas. La version que j'ai vue et dont je vais vous parler est celle de 2005, remontée par Roger Spottiswoode, qui fut l'un des six monteurs ayant travaillé sur le film depuis la fin de son tournage. Mais qu'importe, puisque le film qu'a réalisé Sam Peckinpah, tel qu'il aurait voulu qu'on le voie, n'existe pas.
 

Il existe trois versions du film : celle qu'a montée Peckinpah avec son équipe de monteurs en 73 et qui durait 165' ; celle qui a été remaniée par Peckinpah suite aux exigences de la MGM et qui durait 124' ; et celle que James Aubrey, le patron du studio, a sortie en salles et qui ne fait que 106'. Celle que j'ai vue, fruit du travail de Spottiswoode seul, dure 110', une sorte de copie intermédiaire.


Mais avant d'aller plus loin, revenons sur le genèse du film : en 1970, Gordon Carroll, producteur à la Metro-Goldwyn-Meyer, commande au scénariste Rudy Wurlitzer un scénario sur Pat Garrett et Billy le Kid. Wurlitzer livre sa copie quelques mois après et Carroll contacte Monte Hellman pour qu'il en assure l'adaptation pour le grand écran.


Hellman ne se montre guère intéressé, estimant que cette histoire a déjà été abordée plusieurs fois avec talent (par King Vidor, Arthur Penn, Howard Hughes). Qui plus est, à la MGM, on ne fait pas confiance au cinéaste qui sort d'un échec cuisant (avec Macadam à deux voies) et on confie le script à Sam Peckinpah avec l'espoir qu'il en tire un western aussi violent que La Horde Sauvage.

Peckinpah accepte à condition de pouvoir modifier le script, mais sa version, pas assez sauvage, déçoit. Il emporte quand même le morceau en promettant qu'il y aura du sang. Mais James Aubrey, le patron de la MGM, reste sur ses gardes : l'homme est connu pour superviser de près ses projets et surtout à surveiller leur budget.

Peckinpah va sen rendre vite compte : alors qu'il souhaite tourner sur les lieux de l'action, au Nouveau-Mexique, Aubrey estime que ce sera trop coûteux et l'oblige à poser ses caméras à Durango, de l'autre côté du Rio Grande. Le cauchemar peut commencer : une tempête de sable s'invite sur le plateau, une épidémie de grippe cloue la majeure partie de l'équipe au lit (y compris les réalisateur), et un défaut sur la pellicule ruine une semaine de prises de vue !

Avec 1,6 M $ comme budget initial, mais avec 21 jours de retard au final, le film coutera 4,6 M $. Aubrey est furieux et accable Peckinpah, qui a été complètement ivre tout au long du tournage (Spottiswoode dira que le cinéaste ne maîtrisait plus rien vu son état). Le montage peut commencer et donc le film est livrée avec une durée de 2h. 40. 

Aubrey juge ça inexploitable et exige des coupes. Peckinpah s'exécute, à contrecoeur. Invité, Martin Scorsese assiste au remontage qui aboutit à une durée de 2h. 05. Un vrai massacre, selon ce dernier. Mais Peckinpah est écoeuré quand il apprend que Aubrey a engagé une seconde équipe de monteurs dans son dos pour charcuter encore plus le film et le ramener à 1h. 45 !

Le cinéaste est tellement furieux qu'il menace de tuer son patron et contacte même un intermédiaire mexicain pour recruter deux assassins ! Le projet est heureusement empêché. Le film sort en salles dans le version pilotée par Aubrey, le même jour que L'Exorciste de William Friedkin, qui sera un succès aussi énorme que l'échec de Pat Garrett and Billy The Kind (en vo).

Les critiques finiront d'achever la réputation et du film et de Peckinpah. Malgré de nouveaux montages afin d'essayer de rendre justice à la vision du cinéaste, Pat Garrett et Billy Le Kid (en vf) est entré dans le cercle de ces films maudits, perdus à jamais. L'éditeur de DVD Criterion a récemment sorti un coffret avec plusieurs montages permettant de comparer ce qui a pu être restauré, mais trop de documents ont été perdus, détruits.

D'un certain point de vue, le film, quel que soit celui qu'on a vu, est un témoignage. Ceux qui ont écrit que Clint Eastwood avait enterré le western avec Impitoyable (1992) n'ont pas dû revoir Pat Garrett et Billy Le Kid depuis des lustres. Ce n'est pas Eastwood qui a signé le dernier western, c'est Peckinpah, et il l'a fait en trois temps : avec Coups de feu dans la sierra (1962), La Horde sauvage (1969) et Pat Garrett et Billy le Kid (1973).

Mis bout à bout, ces trois westerns racontent la fin du Far West, dans un mix de violence et de mélancolie. Pat Garrett et Billy le Kid est le plus mélancolique, le plus triste, le plus crépusculaire des trois. Peckinpah avait promis de la violence pour leurrer la MGM, mais ce qu'il désirait, c'était raconter comment deux hommes en finissaient avec le Far West.

Pat Garrett est le double de Peckinpah ici : c'est un homme vieillissant et qui souhaite en finir paisiblement. Il fut un rebelle, mais il a fait des compromis avec le système (comme Peckinpah avec les majors pour tourner) pour survivre. Billy en revanche refuse tout compromis, il refuse les barbelés dans la prairie, le modernisme, l'ordre et la loi, c'est un anarchiste.

Billy sait que tout ça finira mal pour lui mais il veut finir comme il a toujours vécu, libre, dans la violence. Pat sait aussi qu'il n'a plus le choix : Billy fut son ami mais il doit l'arrêter s'il veut conserver son étoile de shérif et la protection de ceux qui l'ont promu. Des deux, il ne pourra en rester qu'un. Et avec lui triomphera, au moins pour un temps, ce que deviendra le Far West.

Peckinpah tout comme Wurlitzer a pris des libertés considérables avec la véritable histoire. Mais le script tel que l'a réécrit le cinéaste est plus original, plus singulier. Il forme une boucle, débutant par un flashforward, avec l'assassinat de Pat Garrett, trahi par ses propres hommes, et finissant, ce n'est pas un spoiler, par la mort de Billy le Kid, de la main de Garrett, comme un présage à sa propre fin.

D'une manière audacieuse, ce n'est pas un western épique au sens où il y aurait de grandes chevauchées, des fusillades sanglantes. Très peu de coups de feu sont tirés, et les cavalcades sont très calmes. C'est une sorte de western au ralenti, presque immobile, qui tourne en rond, démarrant dans le Fort Sumner et s'y terminant.

Entre temps, la traque de Pat est très débonnaire, on sent qu'il gagne du temps, il espère même visiblement que Billy se sera enfui au Mexique. John W. Poe presse Garrett constamment et se fait remettre à sa place sèchement par cet adjoint qu'on lui impose et qui veut la peau de Billy pour la gloire. Par conséquent, Billy a tout le loisir de déambuler, sans trop craindre d'être (r)attrapé.

Quand il s'arrête au relais postal des Thornell et tombe sur Alamaso Bill Kermit, désormais sous les ordres de Garrett, qui le défie en duel, il le tue nonchalamment, d'autant plus que son adversaire s'engage dans ce duel sans illusion sur ses chances de le gagner. Et quand il rentre à Fort Sumner, il sait que Pat va y revenir aussi, mais il s'en fiche ostensiblement. Il fait l'amour avec la fille de son ami Pete Maxwell la nuit venue alors que Garrett et Poe sont dans la place.

Le fatalisme règne donc sur ce récit, et lui impose son tempo. C'est sûr que la version de 165' de Peckinpah devait encore accentuer cet aspect et on peut comprendre, sans toutefois l'accepter, que le studio ait jugé impensable de sortir le film en l'état. Déjà, dans sa version exploitée en 73, c'est lent, passif, contemplatif, alors imaginez une version longue...

Mais même charcuté, mutilé, le film a conservé un charme puissant. C'est aussi à cela qu'on reconnaît la griffe d'un très grand auteur : même avec un produit qui n'a rien à voir avec qu'il voulait, le style demeure, l'ambiance subsiste, la beauté surnage. Cela, ni Aubrey ni ses monteurs ni personne n'y pouvaient rien. Peckinpah avait rêvé ce film, et malgré tout, son rêve est encore visible, palpable.

Magnifiquement filmé, avec une photo somptueuse de John Coquillon, on a droit à un western de haute volée. De nombreuses scènes se déroulent au soleil couchant, merveilleusement saisies, comme par miracle il faut bien le dire. Et une poésie étrange, élégiaque et funèbre, enveloppe tout le film, le hissant dans une dimension unique.

Pour incarner cette histoire, Peckinpah pensa d'abord à Charlton Heston (qu'il avait dirigé dans Major Dundee, 1965) pour jouer Pat Garrett. James Coburn rêvait de se frotter au réalisateur (il ne fut pas déçu) et interpréta magistralement cette partition, conférant au personnage une classe absolue alors même qu'il n'est pas sympathique, qu'il a perdu toute noblesse.

Billy devait être joué par Bo Hopkins mais là encore c'est en acceptant de rencontrer Kris Kristofferson que Peckinpah changea son fusil d'épaule. Comme Coburn, il était plus âgé que son personnage, mais la manière dont il réussit à le camper, insolent, désinvolte, désabusé, en fait l'acteur idéal. Il donne au Kid un charisme fou, une séduction immédiate, qui rend, par contraste, son destin tragique.

Bob Dylan, en plus de signer la bande originale du film (que devait initialement composer Jerry Fielding), joue Alias, une sorte de témoin énigmatique de toute l'histoire, complice de Billy sans jamais s'attirer les foudres de Garrett. Peckinpah n'était pas chaud à l'idée de faire tourner le chanteur, alors au sommet de sa gloire, mais après un repas assaisonnée à la coke, il le fit monter dans sa chambre avec sa guitare. Dylan lui chanta quelque morceaux, réussissant à faire pleurer le cinéaste !

On notera la présence de Jason Robards, dans une seule scène, de retour chez Peckinpah avec Un nommé Cable Hogue, de Jack Elam, une gueule célèbre du western, dans la peau de Alamaso Bill Kermit, et de John Beck (John Poe). 

Même si donc on ne verra jamais la vraie version director's cut de Pat Garrett et Billy le Kid, il faut quand même voir celle qu'on peut déjà trouver, qui me paraît la mieux travaillée, par Roger Spottiswoode et qui est celle dont je viens de vous parler. C'est bien plus qu'un western, c'est un grand film. Malade, maudit, maltraité. Mais qui réussit à ressembler quand même à Sam Peckinpah.

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