mardi 11 novembre 2025

ALLÔ, BRIGADE SPECIALE (Blake Edwards, 1962)


Kelly Sherwood, jeune guichetière dans une banque de San Francisco, rentre chez elle après le travail et gare sa voiture dans son garage. La porte se ferme derrière elle et elle demande si quelqu'un est là. C'est alors qu'un homme dans son dos l'attrape en lui plaquant une main sur la bouche puis sur le coup, une fois assuré qu'elle ne criera pas pour demander de l'aide. Il lui explique tout savoir d'elle, qu'elle a une soeur cadette, où elle travaille, qu'elle vit seule, et lui ordonne de voler 100 000 $ à la banque quand il le lui commandera si elle ne veut pas qu'il s'en prenne à elle ou à sa soeur.


L'homme disparaît et Kelly, malgré l'interdiction qui lui a été faite d'appeler la police, contacte le F.B.I.. Son agresseur la frappe par derrière et la rappelle à l'ordre en raccrochant le combiné. Mais au bout du fil, l'agent Ripley a eu le temps de comprendre que quelque chose d'inquiétant venait de se passer. Il rappelle le numéro de sa correspondante et, à mots couverts, elle réussit à lui expliquer ce qui vient de lui arriver. Pour ne pas éveiller les soupçons de son agresseur, peut-être encore dans les parages, il lui donne rendez-vous le lendemain à la banque.


Cette conversation terminée, Ripley est averti qu'une autre femme l'attend dans un bureau. Celle-ci lui explique, à demi-mots, qu'une de ses amies serait impliquée dans une affaire criminelle et veut savoir ce qu'elle risque. Ripley lui explique que seul un procureur est en mesure de décider de poursuites contre une complice, mais il accepte de la revoir chez elle pour tirer ça au clair. Au matin, comme prévu, Ripley rencontre Kelly et décide à la fois d'enquêter et de la protéger. Ensuite, il se rend chez l'autre femme et la trouve morte, assassinée, avant de découvrir qu'elle était au courant de la situation de Kelly...


Avant-hier, je vous ai parlé d'Opération Clandestine, un thriller réalisé par Blake Edwards et saboté par la MGM. Connu surtout pour ses comédies, le cinéaste a cependant fait quelques détours dans d'autres genres, comme le drame et le film policier. Sa plus belle réussite dans ce dernier registre est incontestablement Experiment in Terror (en vo), datant de 1962.
 

Un an avant, Edwards a connu un retentissant succès critique et commercial avec Diamants sur Canapé, avec Audrey Hepburn dans un de ses rôles les plus iconiques (Holly Golightly). Mais le jeune réalisateur ne veut pas être réduit à cela et se lance donc dans un projet complètement à l'opposé en obtenant du studio Columbia qu'il lui confie la mise en scène d'Allô, Brigade Spéciale (en vf).


Le script est signé The Gordons, pour désigner le couple d'auteurs Mildred et Gordon Gordon, ce dernier ayant été un agent du FBI. Cette expérience lui a bien servi puisque l'autre personnage principal de l'histoire est l'agent Ripley. Comme l'indique l'affiche, on a là "de la tension de la terreur, presque plus que le coeur ne peut en supporter !".


Et la promesse est tenue justement grâce au brio avec lequel Edwards a signé ses meilleures comédies jusque-là. En effet, il va transposer sa science comique en l'appliquant aux codes du thriller : le gag ponctue la comédie et les jump scares le thriller. En animant l'intrigue avec la même efficacité qu'il le ferait sur un sujet humoristique, il est certain que le public sera captivé, happé, saisi.

Le film prend le risque d'être long (120') par rapport aux standards du film policier. Mais Edwards a des idées bien précises sur la façon de rythmer le récit. Prenez la toute première scène, dans le garage, quand Kelly Sherwood est surprise par son agresseur : Edwards choisit un plan fixe, qui dure longtemps, sa caméra braqué sur la visage et les yeux de l'actrice tandis que le visage du criminel reste dans l'ombre.

La scène s'éternise tant que le spectateur est désarçonné car il ne sait pas quand le calvaire de la jeune femme va cesser - et comment. C'est très immersif comme procédé car nous partageons son angoisse, sa terreur. Le temps est aussi éprouvant pour elle que pour nous qui craignons pour sa vie. De plus la prise de son est extrêmement soignée, ce qui ajoute à la frayeur.

La voix de cet homme est sifflante, son souffle court - il est certainement asthmatique et c'est encore plus sinistre. Juste après cette scène inaugurale, Kelly appelle le FBI mais son agresseur est encore dans les parages et l'assomme légèrement puis raccroche le combiné du téléphone. Alors qu'elle revient à elle, il plaque sa chaussure sur le dos de la jeune femme et lui indique qu'il ne tolérera plus d'écart de ce type. La prochaine fois, il la tuera.

En deux scènes, Edwards a imposé un méchant terrifiant sans même nous le montrer entièrement, juste sa voix, ses mains, un pied. Les émotions sont passées par le visage de l'héroïne, si puissamment communiquées qu'on n'a eu aucun mal à s'identifier à elle. C'est magistral. Et tout ce qui suit est au diapason.

Le film joue beaucoup sur la durée de chaque scène, parfois courtes, parfois longues, dialoguées ou silencieuses, avec des transitions brusques, des angles de vue agressifs, pour toujours nous tenir en haleine, l'héroïne comme le spectateur. On ne sait jamais de quoi va être fait l'instant suivant. On ignore longtemps par exemple à quand Kelly devra voler les 100 000 $ que lui réclame son agresseur.

Mais c'est justement ce climat d'incertitude permanent qui fait que le film, malgré sa longueur, n'est jamais trop long. Même quand l'intrigue part dans des directions qui nous semblent curieuses, avec des développements importants mais sur le coup bizarres, cela participe de cette intention de nous faire perdre nos repères. 

La mort de l'autre femme, qui s'avérait connaître la situation de Kelly, ou le refus de coopérer de l'amante du criminel, pour des raisons de loyauté dans des circonstances très bien décrites, font partie de ces éléments narratifs dont on ne sait quoi penser dans un premier temps, avant de comprendre à quel point ils sont déterminants pour l'ensemble de l'histoire.

Surtout la caractérisation du moindre personnage est d'une richesse rare. Kelly Sherwood est apparemment une énième demoiselle en détresse, sauf qu'elle s'avère courageuse, intelligente, endurante, tout comme l'agent Ripley ne devient pas son amoureux providentiel, il reste jusqu'au bout un détective, consciencieux, pugnace, méthodique.

La description d'ailleurs du FBI et de ses agents témoigne de qu'en sait Gordon Gordon : il s'agit de fonctionnaires professionnels, appliqués, impliqués, pas de super flics, ils sont simplement humains et soucieux à la fois de protéger Kelly et d'arrêter un criminel. Un script aussi solide, complet, minutieux, est exceptionnel, et admirablement servi par la mise en scène.

Mais il faut encore que cela soit incarné, et Edwards prouve qu'il est vraiment un exceptionnel directeur d'acteurs. Lee Remick, actrice méconnue, mésestimée, est absolument formidable, et Edwards s'en souviendra quand il refera appel à elle dans Le Jour du Vin et des Roses, tourné la même année. Elle est très belle, très élégante, mais ne sombre jamais dans le cliché de la pauvre jeune femme persécutée, de la victime impuissante.

Face à elle, on trouve Glenn Ford, un autre comédien qui je trouve quelque peu déconsidéré. Il a joué dans des classiques (Gilda ; Règlements de comptes) mais n'a pas eu la même renommée qu'un Bogart par exemple. Il campe ici avec sobriété et magnétisme un agent résolu, mais sans verser dans le rôle du dur à cuire, et son association avec Remick est parfaite.

On notera aussi la présence, dans le rôle de Toby, la soeur de Kelly, de Stephanie Powers, qui deviendra plus tard une immense vedette dans la série Pour l'amour du risque, et de Ross Martin, dans le rôle de Red Lynch, avant lui aussi d'acquérir la célébrité sur le petit écran dans la série Les Mystères de l'Ouest.

Enfin, on ne peut pas saluer la réussite d'Experiment of Terror sans mentionner la musique insensée composée par Henry Mancini, collaborateur fréquent de Edwards, une fois encore au sommet de son art (Mancini est vraiment l'égal des plus grands comme Maurice Jarre, Ennio Morricone, Lalo Schifrin...).

Allô, Brigade Spéciale est un chef d'oeuvre du genre, rien de moins.

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