dimanche 23 novembre 2025

LA CHEVAUCHEE SAUVAGE (Richard Brooks, 1975)


Sam Clayton, vétéran de la cavalerie qui a combattu lors de la guerre hispano-américaine en 1898, escorte un pur-sang, Tripoli, jusqu'au point de départ d'une course d'endurance de 700 miles entre  Evanston (Wyoming) et Denver (Colorado). Il s'arrête en route pour sauver un poulain et le transporter jusqu'à un ranch afin qu'il y soit protégé et élevé. Pendant ce temps, les concurrents arrivent et font connaissance, sous le regard de Jack Parker, propriétaire de Tripoli, et du patron du journal "Western Star" qui sponsorise l'événement (les deux hommes ont promis une récompense de 2000 $ au vainqueur).


Les prétendants à la victoire sont : Luke Matthews, lui aussi vétéran de la cavalerie et qui a misé à 7 contre 1 sur lui ; Miss Jones, une ex-prostituée qui souhaite prouver qu'une femme peut remporter l'épreuve ; Carbo, un jeune cavalier insolent ; Papy, un vieux cowboy qui cherche la reconnaissance qu'il n'a jamais eu ; un mexicain sans le sou et en proie à une rage de dents qui voudrait avec l'argent mettre sa famille à l'abri du besoin ; Sir Harry Norfolk, un gentlemen anglais qui aime la compétition ; et Gebhardt, le champion embauché par Parker pour monter Tripoli.
 

Lorsque Clayton arrive enfin, Parker le licencie aussitôt pour le retard pris. Matthew retrouve son ami et tous deux ont une altercation avec Carbo qu'ils surprennent en train de frapper une mule. Papy conseille au jeune homme de se calmer. Le départ de la course est fixé le lendemain à 6 h. du matin et, bien qu'il se désole de ce qui va être infligé aux chevaux, Clayton, sur un coup de tête, décide de s'inscrire pour gagner afin d'humilier Parker...
 

D'abord, il faut expliquer ce curieux titre en vo : Bite the Bullet, qui a sans doute déconcerté plus d'un spectateur devant les cinémas lors de la sortie du film, expliquant en partie son échec commercial en plus du fait qu'en 1975, le western avait déjà entamé sérieusement son déclin. Richard Brooks, qui a écrit, réalisé et produit le film pour le studio Columbia, a fait preuve de malice.


L'un des concurrents de la course est donc un modeste mexicain qui arrive sur la ligne de départ avec une épouvantable rage de dents. Le dentiste d'Evaston refuse de s'en occuper et la barmaid lui file des cachetons pour apaiser sa douleur, mais il abuse du remède et manque rapidement de tomber de cheval dès le premier jour de compétition.


Lors d'une halte de nuit, Clayton et Miss Jones récupèrent le pauvre homme dans un état misérable et lui viennent en aide. Ils décident de lui arracher la dent qui lui fait mal en profitant du fait qu'il est déjà comateux. Pour combler le trou qu'il a alors dans la bouche, Clayton scie la douille d'une cartouche et lui duit de la mordre pour qu'elle ne tombe pas. "Bite the Bullet !" donc.


On peut dire que cette séquence a valeur de symbole pour toute l'équipée que raconte le film : mordre la balle, c'est en quelque sorte prendre sur soi, accepter de se faire mal, se retaper avec les moyens du bord, lors d'une épreuve particulièrement épuisante, une sorte de marathon où il faut à la fois être un excellent cavalier mais aussi un fin stratège.

Richard Brooks signait là son retour au western, 9 ans après Les Professionnels, et il prouvait qu'il n'avait rien perdu ni de son amour pour le genre ni de son talent pour raconter une histoire originale dans ce cadre - un véritable exploit quand on estime le nombre de westerns tournés jusque-là. Pour réussir cela, il s'inspira d'une histoire vraie.

En 1908, le journal "Denver Post" organisa une course similaire reliant le Wyoming au Colorado avec un journaliste qui suivait les concurrents sur une moto tandis que le quotidien relatait les étapes depuis un train spécialement aménagé avec un rédacteur et une imprimeuse. Le train et la moto apparaissaient en quelque sorte comme l'avenir face à ces cavaliers anachroniques, derniers vestiges du Far West.

Brooks a tenu à tourner sur les lieux mêmes de l'action, et il filme magistralement ces grands espaces, hostiles autant que fascinants, qu'il s'agisse des prairies, des parcs nationaux, du désert de sable blanc de White Sands, de Lake Reads dans le Nevada... La Chevauchée Sauvage (en vf) doit être un spectacle éblouissant sur grand écran car il est déjà palpitant sur celui d'un ordinateur.

Le film met en scène un groupe de personnages hauts en couleur, mais subtilement caractérisés. Brooks diversifie ainsi les points de vue et aborde des thèmes aussi variés que les liens de l'amitié et du mariage, le conflit des générations, le féminisme, la maltraitance animale, le fair-play, la solidarité entre concurrents, la vieillesse, le rôle des médias dans une épreuve sportive, le racisme...

Comme tous les post-westerns (ou westerns tardifs), le coeur de l'histoire tient à sa description de la fin d'une époque. Clayton, Matthews ou Papy sont des hommes mûrs, voire âgés, qui ont connu la conquête de l'Ouest, la guerre, et assistent à la naissance d'une nouvelle ère. Ils la considèrent avec fatalisme, indifférence ou gourmandise, c'est selon.

Pour d'autres, comme le jeune Carbo ou Miss Jones, le nouveau siècle sera le leur, chacun à leur façon. Et puis il y a ceux qui sont là uniquement pour la course, dans le présent, motivés par les sensations fortes, l'envie de mettre leur famille à l'abri du besoin, ou de satisfaire l'ambition d'un riche propriétaire de pur-sang.

Toutefois, incontestablement, le héros de Bite the Bullet est bien Sam Clayton, une figure très singulière, qui ne supporte pas la cruauté des hommes envers les animaux, particulièrement les chevaux. Il aura maille à partir avec Carbo qu'il surprend d'abord à frapper une mule par plaisir, pour épater ses amis, puis qui poussera sa monture jusqu'à la mort par épuisement et que Clayton forcera à l'enterrer pour que les vautours ne repaissent pas de son cadavre. 

Il y a aussi ce moment extraordinaire où, lors d'une halte à un point d'approvisionnement en eau, Clayton est rejoint par Miss Jones qui le questionne sur son passé militaire. Il lui raconte d'abord une version enjolivée de sa romance avec une insurgée cubaine puis de la prise de San Juan aux côtés du futur président Teddy Roosevelt.

Puis, il repart. Elle le regarde s'éloigner puis revenir sur ses pas. Il avoue avoir menti et lui raconte cette fois la vraie version, où sa compagne s'est sacrifiée pour que la cavalerie américaine puisse prendre un village et une colline sous le contrôle des espagnols. Clayton admirait sa compagne et conclut en disant qu'il ne lui arrivait pas à la cheville.

Plus tard, cette séquence prend un relief inattendu et puissant quand on découvre réellement pourquoi  Miss Jones participe à la course : elle voulait surtout atteindre la dernière étape passant par une voie de chemin de fer en construction sur laquelle travaillent des prisonniers, parmi lesquels se trouve son amant qu'elle aide à s'évader. Mais celui-ci embarque ses complices dans sa cavale en volant les chevaux de Clayton, Matthews et le mexicain.

Sam et Luke partent à la poursuite des bandits et récupèrent les chevaux mais laissent filer Miss Jones, qui regrette son geste. Comme Clayton, précédemment, qui lui avait dit qu'on ne savait jamais vraiment qui on épousait, Miss Jones en a pris conscience, ce qui lui vaut certainement la clémence de Clayton. Pas plus qu'un cheval, il n'accepte de châtier une femme ou qu'elle soit menacée d'être punie.

Le seul bémol que j'exprimerai au sujet du film, c'est que, bien qu'il n'ait pas subi de pressions du studio pour qu'on réduise sa durée (certainement parce que Brooks en était un des producteurs et, à ce titre, avait le final cut), la dernière étape, en montagne, est totalement escamotée pour filer directement à l'arrivée de la course (une autre scène magnifique). C'est un peu dommage et franchement, j'aurai adoré que le film dure un peu plus pour suivre le cavaliers dans un paysage enneigé en altitude.

Mais sinon, c'est remarquable, puissant, épique, finement écrit, superbement mis en images (le passage dans le désert de White Sands est tout bonnement splendide). Et quel casting !

Gene Hackman a, comme tous les autres acteurs, effectué toutes ses cascades, ce qui est une performance (et donne une idée du fossé existant entre les films de cette époque et aujourd'hui où très peu d'acteurs ne sont pas doublés, même quand il s'agit de descendre un escalier). Hackman est formidable d'humanité et de pugnacité dans le rôle de Clayton.

Pourtant, tout comme James Coburn, toujours fabuleux de coolitude, ils n'étaient pas les premiers choix du studio qui auraient préféré Paul Newman et Steve McQueen, le duo gagnant de La Tour Infernale (1974), puis James Caan et Burt Reynolds (Sean Connery, Donald Sutherland, Bruce Dern, Charles Bronson devaient interpréter respectivement Norfolk, Gebhardt, Papy, le mexicain).

Candice Bergen est plus inattendue, mais elle est tout à fait excellente, avec qui plus est le rôle le plus surprenant du lot. Ben Johnson est bouleversant dans le rôle de Papy, une sorte de testament pour lui. Et Jan-Michael Vincent (futur héros de la série Supercopter) est impeccable en jeune chien fou, détestable puis qui se rachète progressivement.

La Chevauchée Sauvage est un western méconnu, mais qui gagne à être réhabilité. Richard Brooks signe là un de ses meilleurs opus, et dans le genre c'est une pépite tardive mais poignante.

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