samedi 22 novembre 2025

ROOFMAN (Derek Cianfrance, 2025)


1998. Jeffrey Manchester, vétéran de l'armée américaine, vit en Caroline du Nord. Il est divorcé et père de trois enfants et doit lutter pour subvenir à leurs besoins. Son ami Steve déplore qu'avec ses qualités d'observation il ne s'en sorte pas mieux, alors il décide de les exploiter au mieux en cambriolant des McDonald's, où il s'introduit de nuit par le toit. Au matin, il surprend le personnel qu'il enferme, sans violence, dans la chambre froide, pour vider les caisses.


Pendant les deux années suivantes, il va répéter l'opération plus de 40 fois, attirant l'attention des médias, qui le surnomme "Roofman", et de la police. Son train de vie devenu exubérant finit par causer sa perte et il est arrêté le jour de la fête d'anniversaire de sa fille aînée. Il écope d'une peine de prison de 40 ans et son ex-femme coupe les ponts avec lui. En 2004, alors qu'il travaille au déchargement dans la prison, il trouve le moyen de s'évader en se glissant sous le camion de livraison.
 

Il regagne la ville de Charlotte en autostop et appelle Steve à l'aide mais celui-ci lui conseille de se cacher. La police étant à ses trousses, il ne peut approcher ses enfants et s'introduit dans un magasin Toys'R Us en accédant au faux plafond dans les toilettes. La nuit il s'aventure dans les rayons, désactive l'enregistrement des caméras de surveillance et en détourne le circuit pour observer le jour les employés. C'est ainsi qu'il remarque Leigh, une mère célibataire aux prises avec le gérant, Mitch, qui refuse d'aménager son planning...
 

Cet automne, on a assisté, pratiquement au même moment, au retour de deux cinéastes dont la carrière a été plombé par de cuisants échecs et qui, pour regagner la confiance des studios et les faveurs du public, se sont tournés vers des films de genre. D'un côté, Darren Aronofsky avec Pris au piège ; de l'autre, Derek Cianfrance avec ce Roofman.


Dans la première décennie des années 2000, Aronofsky et Cianfrance étaient deux auteurs en vue, quoiqu'aux parcours différents. Nommés aux Oscars, habitués des festivals (à Cannes notamment), sachant mettre en valeur des stars, salués par la critique, ils atteignirent le sommet rapidement. Pour en chuter tout aussi subitement.


Cianfrance était devenu, avec Nicolas Winding Refn, le réalisateur qui avait révélé Ryan Gosling dans ses plus beaux rôles : Blue Valentine et The Place beyond the pines. Fort de ces succès, il enchaîna avec un mélodrame (Une vie entre deux océans) qui mettait en scène le couple, à la ville et à l'écran, formé par Michael Fassbender et Alicia Vikander. Ce fut un bide douloureux.


Quelque chose alors parut s'être cassé chez Cianfrance. Et comme Aronofsky après Mother !, il a goûté au purgatoire des cinéastes prometteurs mais déchus. Il tente un come back avec Roofman comme Aronofsky avec Pris au piège au même moment. Aronofsky a choisi le polar, Cianfrance aussi mais avec plus de légèreté.

L'histoire de Roofman est inspirée de l'histoire vraie de Jeffrey Manchester qui au début des années 2000 (comme le réalisateur en fait....) connut son heure de gloire en cambriolant des McDonald's (plus d'une 40taine en deux ans !) avant d'être arrêté et jeté en prison pour 40 ans. Il s'évade au bout de deux ans et se cache dans le plafond d'un magazin Toys'R Us où il remarque une employée qu'il aborde et séduit, sans qu'elle le reconnaisse (le public, les médias et les autorités pensant que Manchester avait quitté l'Etat).

A partir de ce matériau, Cianfrance et son co-scénariste Kirt Gunn choisissent de raconter une quasi rom-com. Le personnage de Manchester nous est présenté comme un voleur sympathique qui commet ses cambriolages sans violence. Durant le générique de fin, on voit même ses "victimes" témoigner des égards qu'il avait pour elles. 

Le résultat de cette façon de raconter l'histoire est ambigu : d'un côté, le film a un vrai charme, assez irrésistible, qui repose beaucoup plus sur ses acteurs que sur la mise en scène, très sage ; mais de l'autre, est esquivée toute tentative d'explorer la personnalité réelle de Manchester, ses motivations, ses secrets, sa malhonnêteté.

Car c'était tout de même un criminel, récidiviste, et un menteur pathologique, qui a a volé pour gâter ses enfants d'abord, puis a séduit une employée, s'est fait apprécier de ses filles, d'une communauté (la femme était membre et choriste dans une église). Il s'est fait passer pour un agent du gouvernement infiltré en abusant du mystère que cela suggérait.

Et au fond c'est un homme assez pathétique qui croyait que pour être aimé et garder ce qu'il aimait, il fallait, autant le dire, les acheter. Mais le film ne fait qu'effleurer cet aspect-là du personnage, trop occupé à le rendre attirant, aimable, quasiment innocent ou en tout cas victime lui aussi de la société de consommation, puni pour pas grand-chose (par rapport à des criminels plus dangereux).

C'est dommage parce que, en se privant d'une caractérisation plus fouillée et surtout plus lucide, le film aurait été plus troublant. La personnalité d'un mythomane est toujours fascinante, on n'a pas forcément besoin d'éprouver de la sympathie pour lui car ses actes l'entraînent forcément dans une spirale auto-destructrice.

Surtout Roofman ignore totalement ce qu'a ressenti Leigh Waincott quand elle a découvert le pot aux roses. Il est sous-entendu qu'elle a participé à le piéger, mais ce n'est pas clairement montré (encore moins comment la police a deviné qu'elle fut sa maîtresse sans être sa complice). Une scène indique aussi qu'elle lui a rendu visite en prison sans, apparemment, lui reprocher sa conduite. C'est un peu léger et sans aucun doute très loin de la vérité.

Cianfrance a voulu trop franchement faire de Roofman un divertissement sans aspérités, susceptible de plaire au plus grand nombre, pour se refaire une place au soleil. On ne peut guère le lui reprocher puisque c'est de cela que dépend son avenir cinématographique, et des projets plus personnels à l'évidence. Mais tout de même, c'est très impersonnel et trop lisse.

Toutefois, je ne veux pas donner l'air d'avoir boudé mon plaisir. Et je le dois aux acteurs : Channing Tatum, qui, il y a quelques mois, m'avait bluffé dans Blink Twice, est épatant dans le rôle-titre, il émane de lui quelque chose de chaleureux et de vulnérable à la fois, il communique parfaitement ce mix d'envie de plaire et de peur d'être démasqué.

Face à lui c'est un plaisir de retrouver Kirsten Dunst, toujours aussi radieuse et subtile quand il s'agit de composer un personnage de femme trompée mais amoureuse puis méfiante. Lakeith Stanfield n'a que quelques scènes à défendre, il le fait bien mais j'aurai aimé plus. Tout comme pour Ben Mendelsohn et Juno Temple. Peter Dinklage est le plus gâté des seconds rôles dans la peau du manager intraitable.

Roofman convainc à moitié sur les capacités de Derek Cianfrance à renouer avec ses brillants débuts. Mais c'est un film assez réussi pour le divertissement qu'il propose, à défaut d'être un meilleur film pour le personnage qu'il raconte.

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