"Ghetto" Pat Calhoun et Perfidia Beverly Hills sont membres d'un groupe révolutionnaire d'extrême-gauche, les French 75. Ils organisent l'évasion d'un centre de rétention militaire de plusieurs dizaine de migrants mexicains, et au cours de l'opération Perfidia humilie sexuellement le responsable du site, le commandant Steven Lockjaw. Après ce coup d'éclat, Pat et Perfidia deviennent amants puis parents d'une fille prénommée Charlene tout en continuant leurs activités clandestines.
Lockjaw les observe sans intervenir d'abord, fasciné par Perfidia qu'il maudit autant qu'il la désire. Il la surprend en train de poser une bombe mais la laisse filer si elle le retrouve pour coucher avec lui dans un motel. Pat tente de fonder une famille et de convaincre Perfidia de se poser quelque temps mais elle préfère continuer le combat et elle est arrêtée. Pour éviter la prison, elle balance ses compagnons. Pat réussit à disparaître avec sa fille sous de fausses identités.
16 ans passent. Pat devenu Bob Ferguson élève seul Charlene devenue Willa, devenue une adolescente qui supporte de moins en moins de devoir vivre cachée. L'arrestation d'un membre encore actif des French 75 sonne le rappel des troupes. Deandra, une amie de Perfidia, exfiltre Willa et la conduit dans un couvent pour la mettre à l'abri tandis que Bob s'en remet à Michael St. Carlos pour se cacher d'abord et retrouver sa fille ensuite. Cependant, Lockjaw, qui doit intégrer un groupe de suprémacistes blancs influents, veut retrouver Willa de peur qu'on ne le prenne pour le père d'une métisse...
La raison pour laquelle, ces derniers temps, j'ai fait un peu de la spéléologie cinématographique en revenant aux années 60-70 pour l'essentiel, c'est, je m'en rends compte, parce que les films récents ne m'attiraient plus. Mon dernier grand plaisir fut sans doute Life of Chuck, cet opus inclassable. Mais les longs métrages actuels ne me manquaient plus, je n'avais pas le sentiment de louper grand-chose.
Les retours très positifs concernant One Battle after Another (en vo) m'ont quand même titillé. Pourtant je n'ai pas suivi la carrière de Paul Thomas Anderson depuis Boogie Nights (1997 quand même) et Magnolias (1999). Peut-être que je rattraperai en temps et en heure mais voilà, j'avais lâché l'affaire. Alors pourquoi y revenir ? Pourquoi ne pas encore laisser passer celui-là ?
Je l'ignore. Peut-être avais-je tout bêtement envie d'une pause dans mon exploration du cinéma passé ? En tout cas, je n'ai pas regretté ma curiosité. Des critiques n'ont pas hésité non seulement à affirmer que c'était le meilleur film de son auteur, mais que c'était aussi le film de l'année. Je me méfie généralement de ces déclarations. En même temps, comme tout le monde, j'ai envie de les vérifier.
Une Bataille après l'Autre (en vf) est librement inspiré du roman Vineland de Thomas Pynchon, dont Paul Thomas Anderson prévoyait de l'adapter et dont il a surtout conservé la relation père-fille au centre de son film. C'est heureux parce qu'en se détachant de l'oeuvre, il a investi son propre opus d'une énergie plus personnelle.
Le film démarre avec que, communément, aurait été le climax de n'importe quel film habituel : un raid sur un centre de rétention pour migrants, de nuit, par un groupuscule révolutionnaire contre des soldats chargés de la surveillance du site. C'est à peine si on nous présente les protagonistes, Anderson nous plonge dans le feu de l'action, sans sommation.
Et cette introduction, spectaculaire, généreuse, intense, électrique, est comme le diapason de tout son projet. A partir de là, tout défile pied au plancher, sans accorder de répit ni aux personnages ni au spectateur. On est obligé de suivre le mouvement et c'est ce qui rend le résultat si grisant, si irrésistible. La prouesse, c'est que le film dure 160' et il semble ne jamais devoir s'arrêter, encore moins freiner.
Le risque avec un tel parti pris, c'est que l'absorption des informations du scénario par le spectateur ne soit pas digeste et complète. Mais en réalité, l'intrigue est simple malgré sa complexité. Ce qui est complexe, ce sont les interactions entre les protagonistes. Mais ce qui est simple, c'est la manière dont Anderson les expose et les développe.
Il y a une traque qui dure tout du long et dont l'acteur principal est Lockjaw, un officier militaire implacable, raciste, teigneux. Il a été humilié par des activistes et leur chef et sa vengeance reste en éveil pendant seize ans. Mais le coeur de son histoire et de celle de ses cibles, c'est une affaire de paternité.
Lockjaw est-il le père de la fille de celle qui dirigeait le groupe révolutionnaire ayant attaqué son camp ? Ou est-ce le compagnon de l'époque de cette leader ? Et quid de cette jeune fille devenue ado, n'ayant jamais connu sa mère, mais élevée par un père aimant ? Ceci posé, le script s'ingénie à effacer les seconds rôles pour se concentrer sur ce trio - les deux pères potentiels, leur fille supposée.
Que dire sinon que c'est brillant ? Anderson profite de road trip éruptif dans le Sud des Etats-Unis pour radiographier l'Amérique contemporaine. Le roman de Pynchon démarrait dans les années 80 mais au fond, qu'importe l'époque : les mouvements activistes ont toujours existé, la répression étatique aussi, et si aujourd'hui Trump est le nouveau grand Satan, il est surtout l'héritier d'autres diables du passé.
L'intelligence d'Anderson, c'est glisser sur cette contemporanéité. Subrepticement, il filme des scènes qui révèlent des manipulations vicieuses mais crédibles, comme l'infiltration d'une manif par des policiers cagoulés pour provoquer un chaos justifiant une riposte violente. Ou encore un fantasme de club suprémaciste qui dirigerait l'Amérique depuis un sous-sol et qui n'accepte en son sein que des citoyens absolument purs.
Pourtant, il n'idéalise pas non plus les révolutionnaires. Parfois il saisit leur grotesque sens du secret avec des codes à retenir pour communiquer. Parfois aussi il capte des entraînements où on les voit tirer avec des mitraillettes, ce qui démontre que ce ne sont pas des libérateurs pacifistes mais des assassins en puissance ou en acte (quand ils font péter des bombes dans des bâtiments publics au mépris de la vie d'innocents).
En soulignant le flou idéologique des deux camps, le cinéaste peut mettre l'accent sur la véritable histoire de son film : celle d'une jeune fille tiraillé entre un père qui la considère comme une tâche sur sa réputation et ses ambitions et un autre qui veut à tout prix la retrouver et la protéger, qu'importe s'ils partagent le même ADN ou non.
Dans le dernier acte du film, pratiquement à la fin, on assiste à une course-poursuite extraordinaire où un tueur doit éliminer Lockjaw. Ce tueur est suivi par Bob qui pense que Lockjaw détient Willa. Puis le tueur prend ensuite Willa en chasse et Bob doit suivre le tueur. La route est droite mais en dos d'âne et la caméra cadre l'action de telle manière qu'à chaque sommet d'un dos d'âne, on ignore ce qui attend les conducteurs lors de la descente.
Le suspense est insoutenable, la scène est longue (plus de 8'), mais la trouvaille de ce décor, la façon de le filmer, le va-et-vient entre ces trois voitures qui se suivent, tout cela aboutit à un moment de cinéma jouissif, mais qui sert la narration. On est loin de Boogie Nights où Anderson imitait la caméra frénétiquement mobile de Scorsese juste pour épater la galerie. Ici, le fond et la forme s'épousent parfaitement.
Un film, si bien écrit et réalisé soit-il, a aussi besoin d'être incarné et, grâce au plus gros budget de sa carrière, le cinéaste a pu s'offrir un casting en or massif. Leonardo di Caprio s'appuie sur une interprétation plus fébrile que jamais mais cette fois dans le droit fil de l'action de son personnage. Sean Penn est impressionnant en militaire obsessionnel et vraiment brutal (un rôle prévu pour Joaquin Phoenix - Dieu merci, on y a échappé !).
Benicio del Toro (récupérant un rôle prévu pour Viggo Mortensen) est hilarant en sensei mexicain, d'un flegme à tout épreuve - son sens du timing comique et sa présence imposante m'ont fait penser à Lee Marvin. Teyana Taylor n'intervient que dans le premier acte mais bluffe par son charisme sauvage. Et enfin, il y a LA révélation 2025 : Chase Infiniti, véritable diamant brut, absolument renversante.
La musique signée Johnny Greenwood (de Radiohead) est également formidable.
Alors, oui, il est très possible que Une Bataille après l'Autre soit effectivement le film de l'année. Tout simplement, sans faire de grandes phrases, parce qu'on ne voit pas quel autre pourrait autant combler le spectateur, par son intelligence et son efficacité.







Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire