Lorsqu'il apprend qu'il est rétrogradé à cause de son alcoolisme, Osborne Cox préfère démissionner de son poste d'analyste de la CIA. Rentré chez lui, il décide d'écrire ses Mémoires pour se venger de l'Agence qu'il juge sur le déclin et il l'annonce à sa femme, Katie, une médecin, qui, elle, entreprend, sans le lui dire, une procédure de divorce. Car elle veut refaire sa vie avec son amant, un Marshall, Harry Pfaffer, pourtant encore marié et totalement paranoïaque.
Sur le conseil de son avocat, Katie transmet à la secrétaire de ce dernier un CD-Rrom rempli d'informations sur les ressources financières d'Osborne, mais aussi le brouillon de ses Mémoires qui se trouve dessus sans qu'elle le sache. La secrétaire égare ce disque dans les vestiaires de Hardbodies, la salle de sports qu'elle fréquente. Et deux employés, Linda Litzke et Chad Felldheimer, le trouvent et le lisent ce qu'il contient.
Comme Linda a besoin d'argent pour des opérations de chirurgie esthétique, elle va faire chanter Osborne avec Chad pour lui soutirer de l'argent. Mais il refuse de se laisser plumer. Alors ils s'adressent à l'Ambassade de Russie, convaincus de détenir des informations compromettantes pour lesquelles ils seront payés. Cependant, Katie fait changer les serrures chez elle afin que Osborne ne la dérange plus puisque Harry a emménagé avec elle. Mais Harry est un coureur de jupons et il a une liaison avec Linda qu'il a connue via un site de rencontres...
Burn after Reading est le dernier volet de la "trilogie des idiots" que les frères Ethan et Joel Coen ont tournée et qui compte O'Brother et Intolérable Cruauté. A cette occasion, ils se sont déchaînés en voulant boucler leur projet avec une histoire complètement échevelée mais affreusement drôle -peut-être même la plus drôle du lot.
C'est un film qu'il faut voir deux fois. La première, on le regarde médusé parce que ça part dans tous les sens, c'est un grand n'importe quoi, absurde, foutraque, un sommet du genre, qui se moque de tout, et dont tous les personnages sont dingues. Et la seconde, on note que, malgré tout, ça tient debout, c'est certes grotesque, d'un non-sens absolu, mais solide, cohérent, implacable.
On parle souvent de récits dits story-driven (c'est-à-dire où l'intrigue prime) et d'autres dits character-driven (c'est-à-dire où les personnages priment). Burn after Reading tient grâce à ses personnages et à la manière dont l'histoire les lie les uns aux autres. C'est une vraie toile d'araignée, avec des connections improbables, mais tout à fait efficaces.
Le film se déroule selon une logique périlleuse, façon marabout-bout de ficelle-selle de cheval, etc. Osborne vit avec Katie qui le trompe avec Linda qui travaille avec Chad qui veut faire chanter Osborne. Les deux seuls personnages à la périphérie sont les plus sages, les plus pragmatiques, c'est-à-dire Ted, qui aime en secret et sans retour, Linda, et le chef de la CIA, qui observe tout ça avec perplexité.
Le chef de la CIA nous représente : nous sommes aussi interloqués que lui, sauf qu'il est plus détaché que nous, dans la mesure où il n'entend parler de cette histoire que par des rapports qui tombent sur son bureau et par les décisions qu'il prend pour que l'Agence ne soit pas embarrassée par cet imbroglio. C'est le personnage le plus raisonnable, le plus rationnel du film.
Ted, au contraire, est le plus sentimental, le plus affectif. Il voit Linda lui échapper sans cesse, il craint pour elle, il n'arrive pas à lui déclarer sa flamme, et quand il décide d'agir pour elle, il ne la prévient même pas. Mais il connaîtra un sort injuste, car son action ne sera jamais reconnue par celle qu'il aime. C'est cruel et touchant.
Les autres protagonistes sont donc tous des fous ou surtout des crétins finis. Les Coen n'en épargnent aucun et n'hésitent pas à les charger. C'est un film méchant mais irrésistible dans sa caractérisation. Cox est un imbécile arrogant qui refuse d'admettre son alcoolisme et son mépris des autres. Sa femme, Katie, est froide comme la banquise, franchement casse-couilles.
Chad est un imbécile de la pire espèce car il se croit malin mais ne se rend pas compte du début à la fin qu'il s'est engagé dans une affaire qui le dépasse. Linda est une pauvre idiote qui ne pense qu'à son apparence et au gain qu'elle peut tirer de ce mic-mac pour se faire opérer des seins, du ventre, des fesses. Enfin Harry est pathétique avec ses infidélités et sa paranoïa.
Les personnages les plus drôles recèlent souvent un aspect triste, ce qui permet de les aimer quand même malgré leur stupidité. Une scène résume parfaitement ça : Linda est examinée par le chirurgien esthétique qui détaille crûment tous ses défauts physiques. C'est immonde. Mais Linda ne se formalise pas car elle estime que son corps actuelle a atteint sa limite.
Et, en définitive, c'est cela que pointe le film : tous ces individus sont à la limite d'eux-mêmes. Ils courent à leur perte, ils foncent dans le mur, ils ont déjà échoué. Mais Linda est la plus attachante car elle croit avoir trouvé le bonheur et oublie alors qu'elle veut changer d'apparence. Mais ce n'est évidemment que provisoire : pour elle aussi, tout va s'écrouler, même si elle s'en sortira mieux que les autres.
Le film n'est pas long (95') et c'est ce qu'il faut pour une comédie. Pourtant les Coen parsèment leur script d'idées loufoques et quasiment inexploitées pour la plupart qui auraient pu alimenter encore une bonne heure de pellicule (je pense à l'improbable fauteuil à godemiché construit par Harry... Il faut le voir, c'est inexplicable). Quand on en redemande, c'est que c'est vraiment excellent.
Et puis le casting est extraordinaire : aucune des stars convoquées n'a hésité à se ridiculiser. George Clooney tournait pour la troisième fois sous la direction des Coen et il est magistral dans la peau de Harry. Frances McDormand (la femme et muse de Joel Coen) est toujours remarquable parce qu'elle ne cherche pas à sauver son personnage de Linda.
John Malkovich est détestable à souhait et Tilda Swinton lui rend la pareille avec la même précision clinique dans le jeu. JK Simmons et Richard Jenkins ? Fabuleux. Mais c'est surtout Brad Pitt qui étincèle : on ne lui connaissait pas ce brio comique, ce sens de la dérision, et il est tout bonnement énorme dans le rôle de Chad, écrit spécialement pour lui.
Vous voulez vous marrer ? Regardez Burn after Reading. C'est un film délicieusement vache et affreusement drôle. Les Coen à leur meilleur et merveilleusement entouré.
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