2009. Le général 4 étoiles Glen McMahon, reconnu pour son efficacité lors de la guerre en Irak, est envoyé en Afghanistan où il doit évaluer la situation et en faire un rapport détaillé pour que le gouvernement américain sache comment mettre fin à la guerre en cours. Seule limite à sa mission : il ne doit réclamer aucun renfort de troupe. Sauf que McMahon et son bras droit, le major général Greg Pulver, sont convaincus de pouvoir gagner la guerre et demande au Président Obama 40 000 soldats supplémentaires pour sécuriser la province de Helmand et stabiliser le pays.
Evidemment, la Secrétaire d'Etat refuse ses exigences, les jugeant incompatibles avec le fait que des élections doivent se tenir dans le calme. McMahon comprend qu'on ne l'a pas envoyé là pour régler un conflit mais pour nettoyer le bazar laissé par ses prédécesseurs et préparer le retrait de l'armée américaine. Il divulgue alors secrètement son rapport en l'envoyant au "Washington Post", qui le publie, et accorde une interview au magazine télé "60 Minutes" dans laquelle il explique n'avoir parlé qu'une fois, en visioconférence, à Obama en 70 jours.
Le Président américain cède partiellement à la requête de McMahon en lui accordant 10 000 soldats supplémentaires mais en prévenant que, d'ici 18 mois, les Etats-Unis se retireront d'Afghanistan. Furieux, McMahon part pour Paris pour réclamer aux forces de la coalition les hommes qui lui manquent...
Netflix n'a pas produit War Machine mais l'a récupéré après que le studio qui l'avait financé ait rechigné à le distribuer, sans doute pour ne pas embarrasser Barack Obama, dont le second mandat se terminait. Ted Sarandos, le patron de la plateforme de streaming, a dû se frotter les mains en récupérant ce long métrage avec une star du calibre de Brad Pitt en tête d'affiche.
La critique n'a pourtant pas été tendre avec ce brûlot. Mais David Michod en adaptant le livre de Michael Hastings, The Operators, livre un objet hybride fascinant et terriblement drôle. L'objectif était clairement d'en faire une satire qui renvoyait dos à dos des généraux belliqueux et une administration démocrate surtout soucieuse de quitter un conflit qu'elle n'avait pas initié, rejeté par l'opinion et coûteux.
Pour se convaincre de la direction prise par le cinéaste, il suffit d'observer l'interprétation de Brad Pitt. L'acteur a toujours été tiraillé entre un jeu à l'économie, qui met en valeur son côté cool et charmeur, et le surjeu, où il peut se défouler sur un personnage qui le permet. On l'a vu ainsi dans L'Armée des 12 Singes (Terry Gilliam, 1995) ou Inglorious Basterds (Quentin Tarantino, 2009).
La façon dont il incarne ce "Glenimal" McMahon est sans ambiguïté : il en fait non pas des kilos mais des tonnes, arborant des mimiques grotesques, tirant le rôle vers la farce. Ce haut gradé est une caricature de l'authentique général Herbert McChrystal dont le comportement et les choix sont identiques à ceux de son double fictif.
En fait, toute l'intrigue repose sur un malentendu qu'un crétin pareil ne peut pas intégrer : quand McMahon/McChrystal arrive en Afghanistan, il croit que c'est pour gagner une guerre, sauf que l'administration en place veut au contraire préparer le retrait des troupes car c'est devenu un bourbier et une ruine.
Malgré sa conviction qu'il peut se débarrasser des talibans et des insurgés, McMahon commet une erreur fatale : les afghans en ont assez de ce qui est devenue une armée d'occupation et plus une force de paix ou même de médiation. La sortie de cette guerre sera un camouflet complet, un échec militaire, politique et une catastrophe humaine. Les talibans reprendront le pouvoir et les américains comme toute la coalition repartiront la queue entre les jambes.
Rétrospectivement, et avec la rapidité qu'on connaît au cinéma américain pour examiner son Histoire et ses failles, il apparaît que Obama a été un Président aussi calamiteux que George W. Bush et guère meilleur que Trump puis Biden ensuite. Comme le dit le major général Greg Pulver au journaliste Sean Cullen, Obama est un excellent orateur mais un mauvais chef.
Ce n'est pas être un supporter du Parti Républicain de l'admettre : Trump est un bouffon délirant et incompétent, mais Obama n'a pas été un bon Président. Qu'a-t-il laissé ? Rien de notable. Il a gagné un Prix Nobel de la paix immérité. C'était surtout une caricature de politicien cool, aimable, qui a eu la tête de Ben Laden. Mais son bilan est misérable. Il n'a ni réglé les tensions raciales, ni assaini son parti et la vie politique en général et il a livré les Etats-Unis à Trump, un démagogue dangereux et crétin.
Ces critiques, elles étaient déjà présentes, en sourdine, dans Cogan : Killing Them Softly, déjà avec Pitt (dont j'ai parlé il y a peu). Et j'y vois le dépit du comédien, qui doit être un Démocrate comme beaucoup de ses confrères, envers le Centre-Gauche américain. Le bide Biden et le retour de Trump ont dû, comme beaucoup, achever de le dégoûter.
Pendant les deux tiers de sa durée, War Machine est donc abominablement drôle, grâce à son écriture impitoyable et sa star déchaînée (impossible de ne pas éclater de rire en le voyant faire son footing ou en observant sa main droite crochu, comme paralysée par un tic d'ancien fumeur de cigare). Puis le film bascule dans sa dernière ligne droite, lors de la visite de McMahon à Paris.
Là, il rencontre un journaliste de "Rolling Stone", Sean Cullen (Scoot McNairy, implacable), qui veut écrire un article sur son équipe, sa stratégie, et McMahon accepte sur les conseils de Matt Little, son spécialiste en relations publiques. Le résultat sera dévastateur. Puis, lors d'une conférence de presse, où il expose, avec morgue, son plan infaillible pour gagner la province de Helmand, il rencontre un obstacle encore plus inattendu.
Face à une représentante allemande (Tilda Swinton, royale comme d'hab') qui pointe que son exposé en dit plus long sur son ambition personnelle, son moment de gloire rêvé, que son envie de libérer réellement les afghans, McMahon est décontenancé. Le masque tombe. En voix off, Cullen note que si les généraux ont des cheveux blancs, c'est moins à cause des décisions dramatiques qu'ils prennent qu'à cause de la crainte d'échouer à la face du monde.
Le dénouement est à la fois pathétique, triste et absurde. L'Amérique se retirera bien mais c'est Biden qui ramènera les "boys" au pays en... 2021 ! Ce serait risible si ce n'était pas aussi tragique. Mais bien sûr, il n'y a plus personne pour se désoler du sort des afghans à nouveau sous le joug des talibans.
Michod lâche donc délibérément la bride à Pitt, qui est prodigieux drôle et affligeant à la fois. Il l'entoure de comédiens solides mais dirigés pour rester sobres en contrepoint : Topher Grace, Lakeith Stanfield (fabuleux en bidasse dépassé), Wil Poulter, Emory Cohen, Anthony Michael Hall, Meg Tilly (merveilleuse en épouse délaissée)... Et Ben Kingsley, formidable dans la peau de Hamid Karzaï.
War Machine porte bien son nom mais ce n'est pas un film à la gloire de la guerre : au contraire, c'est une charge d'autant plus ravageuse qu'elle est grotesque sur les guerres entamées sans rationalité et bouclées sans humanité.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire