lundi 18 août 2025

L'ANGLAIS (Steven Soderbergh, 1999) - Hommage à Terence Stamp


Tout juste sorti de prison, Wilson se rend à Los Angeles pour enquêter sur la mort, dans un accident de la route, de sa fille unique, Jenny. Lui est convaincu qu'elle a été assassinée et il interroge à ce sujet ses amis, Eduardo (qui l'a averti de la triste nouvelle) et Elaine, qui acceptent de l'aider. Le principal suspect se nomme Terry Valentine, un riche producteur de disques qui vit sur les hauteurs de la ville dans une somptueuse villa et avec qui Jenny avait une relation sexuelle.


Mais ce qui rend Valentine vraiment trouble, c'est qu'il a été récemment mêlé à un trafic de drogue pour lequel il blanchissait l'argent des dealers. La came était gardée dans un entrepôt où descend Wilson pour interroger le responsable. Mais il se fait tabasser et expulser. Amoché mais enragé, il rentre dans le bâtiment et flingue tous les employés et leur boss, sauf un jeune garçon à qui il dit d'aller prévenir qui de droit qu'il arrive.


La nouvelle parvient aux oreilles d'Avery, le bras-droit de Valentine. Wilson est identifié après qu'il se soit incrusté, avec Eduardo, dans une fête organisée chez le producteur et qu'il a tué un garde du corps venu le congédier. Avery embauche un tueur à gages pour trouver et descendre Wilson mais des agents de la D.E.A. l'en empêche et questionne Wilson sur ses liens avec Valentine. Finalement, ils le laissent poursuivre sa mission qui ne gêne pas la leur...


Terence Stamp nous a quittés ce week-end à l'âge de 87 ans et si beaucoup citeront essentiellement ses rôles dans Priscilla, folle du désert ou dans Superman 2 où il incarnait le général Zod, ce sont les arbres qui cachent la forêt pour ce comédien qui a été révélé dans les années 60 et qui fut récompensé du Prix d'interprétation masculine au Festival de Cannes en 67 pour son rôle dans L'Obsédé (Joseph Losey).


Stamp avait un credo : ne rien se refuser. Il était un authentique aventurier dans son métier et il l'exerça jusqu'au bout, prêtant même ses traits, sa silhouette et sa voix à des jeux vidéos conçus en motion capture. Il était moderne, inclassable. Il était aussi très beau, avec des yeux bleus perçants, et même dans son grand âge, il avait encore une sacrée allure, à la fois fascinante et inquiétante.


En 1999, Steven Soderbergh va lui offrir un de ses meilleurs rôles avec The Limey ("l'angliche"). Le cinéaste sort du succès, l'année précédente, de Hors d'atteinte (avec George Clooney et Jennifer Lopez). Il a un script très brut écrit par Lem Dobbs qu'il va "pimper" avec des idées visuelles et sonores extraordinaires.


La plus fameuse de ses trouvailles, c'est d'utiliser des scènes du film Pas de larmes pour Joy (Poor Cow, de Ken Loach, 1967), dans lequel Stamp jouait un voleur condamné à une lourde peine de prison après que ses complices l'aient balancé et qui voit sa vie de famille brisée alors qu'il file le parfait amour avec une jeune femme et qu'il est père d'une fillette.

Pas besoin d'effets spéciaux pour rajeunir l'acteur qui apparaît tel qu'il était à l'aube de sa carrière. Soderbergh fait tellement bien son travail qu'on accepte que le film de Loach (un réalisateur pourtant tellement différent de lui) soit une sorte de préquelle du sien. Génial.

L'autre idée de Soderbergh, c'est donc de sublimer le script par la forme. L'Anglais s'appuie sur une intrigue très simple (du moins en surface), alors le cinéaste va tout faire pour le rendre étonnant. Le montage est incroyable, qui brouille la temporalité des scènes, leur chronologie, en déplaçant le son, les dialogues.

Mais ce décalage quasi permanent n'est pas gratuit : d'une part, il traduit la bizarrerie que représente cet ancien malfrat à l'accent cockney à Los Angeles, et d'autre part, il souligne la démarche du personnage, qui fonce tête baissée, sans réfléchir, avance, s'arrête, recule, fantasme sur le meurtre d'un homme, revient à lui, se souvient de son passé.

L'Anglais est une sorte de polar mental, où c'est ce qui se passe dans la tête de Wilson qui est le plus important. Une des interprétations possibles de ce récit, c'est que tout y est inventé. Plus sûrement, ce n'est pas un film noir classique, un revenge movie banal. D'ailleurs, Terry Valentine a-t-il tué Jenny ? Ou est-ce vraiment un accident ? 

Il semble bien, à plusieurs moments, que tuer Terry Valentine ne soit qu'un prétexte pour Wilson. Il a décidé que c'était lui, le coupable, et qu'il fallait l'éliminer. Mais le spectateur s'interroge : la douleur, le chagrin n'égarent-ils pas Wilson ? Ne cherche-t-il pas un coupable pour oublier ses propres erreurs, ses propres manquements ?

Il le reconnaît d'ailleurs en échangeant avec Elaine : ses cambriolages mettaient en danger sa femme et sa fille, il était souvent absent, insouciant. Sa fille menaçait de le dénoncer aux flics pour qu'il se range et reste avec elle. Il en rigolait. Jusqu'à ce que la blague ne fasse plus rire personne et qu'il ait été arrêté, emprisonné, séparé de sa femme et sa fille. Sa femme mourra du cancer sans qu'il l'ait revue.

D'une certaine manière, la véritable héroïne de L'Anglais, c'est Jenny, ce fantôme du passé qui hante Wilson, le culpabilise, l'accable, le met en colère. Il est autant en colère contre Valentine, ce qu'il incarne (vieux beau, californien, riche, inconséquent), que contre lui-même (mauvais mari, mauvais père, mauvais voleur, mauvais assassin, mauvais vengeur).

Soderbergh rend donc une histoire simple bien plus complexe que prévu. Pas difficile. Complexe. C'est un film sur le temps qui passe, le temps assassin, le seul qui est sûr d'avoir votre peau. Les protagonistes sont âgés, périmés, ce sont des morts en sursis, qui le savent, mais s'entêtent. Ils sont pathétiques. Et pourtant Soderbergh les rend aussi parfois encore beaux, dignes.

Terence Stamp est fabuleux dans ce rôle. Son charisme est impressionnant. Il joue à l'économie, ce qui rend ses explosions de rage si saisissantes. Peter Fonda est la personnification de ce qu'il joue, au point que le film rend trouble la frontière entre son rôle et lui-même. Lesley Ann Down est touchante. Luis Gusman, un habitué du cinéaste, apporte une touche comique bien dosée. Et Melissa George, sans jamais qu''on l'entende, traverse l'histoire comme le fantôme des jours passés.

Si vous connaissez mal Terence Stamp, découvrez-le dans L'Anglais. C'était un type vraiment à part. Un acteur tout aussi atypique. Et ce film le montre tel qu'il était.

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