Ancien prodige de la Formule 1, Sonny Hayes a vu sa carrière stoppée net après un grave accident lors du Grand Prix d'Espagne en 1993. Depuis, il a divorcé plusieurs fois, dilapidé sa fortune et court là où on veut encore de lui. Ce qui ne l'empêche pas de briller comme quand il effectue un relais lors des 24 h. de Daytona. C'est après cette course que son ancien partenaire et rival Ruben Cervantes lui propose de devenir deuxième pilote de son écurie, APXGP.
Ce n'est pas un cadeau : l'équipe n'est jamais montée sur un podium de toute la saison et le premier pilote est un débutant aussi ambitieux qu'arrogant. S'il ne gagne pas au moins une course d'ici à la fin de la saison, les investisseurs fuiront et APXGP sera liquidé avec Ruben. Sur la piste de Silverstone, Sonny fait un essai dans le baquet d'une voiture et s'il n'est pas à l'aise avec ce véhicule plus moderne que ceux qu'il a pilotés jadis, il détecte vite ce qui peut être amélioré.
Joshua Pearce, l'autre coureur, pense déjà à l'avenir et demande à son agent de lui trouver une place ailleurs. Il rate d'ailleurs complètement sa course lors du Grand Prix de Grande-Bretagne. Sonny ne lui en tient pas rigueur et au Grand Prix de Hongrie, il exploite les failles du règlement en entrant volontairement en collision avec un autre pilote, obligeant l'intervention de la voiture de sécurité et permettant, quand la course reprend, à Joshua de réduire l'écart avec les leaders...
F1 - The Movie (en vo) est le pur produit d'une recette éprouvée trois ans auparavant par le duo formé par le producteur Jerry Bruckheimer et le réalisateur Joseph Kosinski avec Top Gun : Maverick. Durant le tournage, il fut question d'un caméo avec le septuple champion du monde Lewis Hamilton, mais qui ne se concrétisa pas, faute de temps pour ce dernier.
Hamilton invita Kosinksi au Grand Prix d'Austin et ce fut une sorte d'épiphanie pour le cinéaste, impressionné par la puissance et la technique des bolides. Il pitcha une histoire à Bruckheimer qui dit "banco !" et développa un script avec l'aide de Ehren Kruger. Mais restait un défi de taille : comment attirer un public en masse pour un film sur la Formule 1 ?
D'autres, et pas des moindres, s'y sont essayés : Le Mans (Lee Katzin, 1971, avec Steve McQueen), Grand Prix (John Frankenheimer, 1966), ou plus récemment Days of Thunder (Tony Scott, 1990) ou Rush (Ron Howard, 2013) - liste non exhaustive. Surtout, Netflix a produit une série de documentaires, Formula 1 : Pilotes de leur destin, depuis 2019, énorme carton et expérience immersive.
Comment lutter contre le récit d'authentiques champions élevés au rang de vedettes grâce à la plateforme de streaming ? Comme je le disais plus haut : en reproduisant une recette éprouvée, celle de Top Gun : Maverick, en remplaçant les avions de chasse par des F1 et Tom Cruise par Brad Pitt. Seulement ça ?
Il y a en quelque sorte deux films en un ici : le premier, c'est effectivement une sorte de version de Top Gun : Maverick sur piste. Un vétéran reprend du service pour sauver une écurie appartenant à un vieil ami et rival tout en formant un débutant au circuit et aux courses. En 150', l'affaire est pliée avec une efficacité redoutable.
On ne voit pas le temps passer. Le film enchaîne les clichés comme la bande son enfile les morceaux rock et la partition de Hans Zimmer. Toutes les cases sont soigneusement cochées : la différence de philosophie entre le coureur sur le retour et son partenaire ambitieux et vaniteux, la romance avec la directrice technique, l'anxiété du patron d'écurie, les Grands Prix spectaculaires, etc.
Mais franchement il faut être de mauvaise foi pour ne pas apprécier F1 - Le Film. C'est extrêmement divertissant, merveilleusement filmé. Bruckheimer, qui a refusé de communiquer le budget du film (prêtant ainsi le flanc aux rumeurs les plus extravagantes), a convaincu Apple de signer un énorme chèque pour constituer une écurie fictive plus vraie que nature.
Le tournage a eu lieu lors d'authentiques courses, avec zéro image de synthèse, et des acteurs formés à la conduite à grande vitesse (coachés par Lewis Hamilton himself, qui est co-producteur). Les voitures d'APXGP sont des Formule 2 modifiées avec quinze caméras embarquées et développées par Mercedes. C'est bluffant. Et grisant.
Les courses ont une intensité incroyable et même si le tout est très prévisible, on sait que ça fait partie du contrat passé entre le cinéaste et le public, venu pour goûter un plat en particulier, qu'il a déjà adoré. Mais Kosinski est assez malin pour ne pas reproduire tout à l'identique : une équipe de F1 n'est pas un groupe d'aviateurs militaires. Ici, ce qui doit capter notre attention, ce sont deux pilotes.
Le second film, c'est celui qui fera le plus parler les critiques. Est-ce que F1 - le film est autre chose qu'une adaptation de Top Gun : Maverick ? Autrement dit : est-ce que ce ne serait pas quand même un peu une arnaque qui se fiche de la gueule du public en re-racontant la même chose ? Est-ce que décliner une formule, ce n'est pas le degré zéro de la création ?
Toutes ces interrogations sont légitimes et donc je ne reproche à personne de penser que F1 - le film ne vaut pas grand-chose. Que nous apprend-t-il qu'on ne saura pas en regardant d'autres films sur cet univers ou des docus ou même des retransmissions d'essais ou de vraies courses automobiles ? Effectivement : rien.
Kosinski ne va jamais plus loin que ce qu'il promet : des sensations fortes, un blockbuster estival. Certes, nous faire croire au comeback d'un pilote qui aurait l'âge de la star qu'il incarne (61 ans), c'est déjà beaucoup (même si, au début, on cite quelques vétérans qui ont couru face à des concurrents qui auraient pu être leur fils). Mais on n'est justement pas dans du docu, dans le réalisme.
F1 - le film a pour lui une honnêteté indéniable : il ne cherche pas à nous faire croire à l'incroyable. Il veut juste nous distraire. Le scénario produit des péripéties et des rebondissements improbables et prévisibles. Le marché qu'on passe avec ce genre de productions, ce n'est pas d'y croire, mais d'embarquer. Et ce n'est pas méprisable.
Par ailleurs, on peut quand même y lire une sorte de message, de métaphore. Brad Pitt, qui incarne avec une coolitude absolue Sonny Hayes, est lui-même devenu un vétéran. Il a encore ce physique incroyable pour un sexagénaire qui fait de lui un sex symbol comme à ses débuts. Mais ces dernières années, l'examen de sa filmographie révèle quelque chose de troublant.
Pitt s'est comme qui dirait fait une spécialité des rôles d'homme du passé qui observe avec un mélange de détachement et de mélancolie l'époque où il a été révélé et aujourd'hui. Et en plus de trente ans de carrière, il s'en est passé des choses, si bien qu'il a l'air d'une sorte de survivant, comme Tom Cruise ou Keanu Reeves.
Du coup, le voir camper Sonny Hayes devient plus profond qu'il n'y paraît. En 1993, Aerton Senna courait encore (plus pour longtemps, il mourra un an après), et les conditions dans lesquelles les coureurs s'affrontaient paraissent insensées aujourd'hui, avec des véhicules blindés d'électronique, des règlements plus stricts, encore plus d'argent en jeu, etc.
Ce qu'incarne Sonny, ce n'est pas seulement un temps révolu, c'est une certain romantisme sportif, qu'on peut éprouver dans d'autres disciplines (le foot, le tennis, etc.). Quand Sonny regarde Joshua Pearce toujours pendu à son téléphone portable, en quête de like, courant pour la gloire plus que pour le plaisir, l'ivresse même, c'est exactement comme si Pitt regardait Damson Idris.
Pitt est encore très bel homme mais il a désormais des rides, une silhouette plus massive. En revanche son jeu s'est nuancé - en fait c'est à peine s'il joue encore : il n'a plus à composer un personnage, c'est au personnage de se mouler sur Pitt. Mais tout ça en fait un acteur bien meilleur, plus attachant, plus séduisant encore, plus subtil aussi.
Damson Idris est lui aussi comme son personnage, on le devine ambitieux mais devenant sympathique, et on lui souhaite le meilleur. Toutefois, sa manière d'interpréter Joshua Pearce est fidèle à ce qu'on peut en attendre : c'est une composition. Il fait des efforts pour exister à l'écran quand Pitt n'a qu'à être là, apparaître, dire ses répliques, et ça suffit. C'est la différence entre une star et un rookie.
Javier Bardem est sobre dans le costume du patron en détresse et Kerry Condon réussit à donner chair à un rôle fin comme une feuille de papier. C'est peut-être ce qui manque le plus à ce film : des seconds rôles soignés (dans Top Gun : Maverick, les jeunots qui entouraient Tom Cruise formait une troupe plus consistante).
F1 - le film n'est sûrement pas un grand film, mais c'est de l'entertainment très abouti, parfaitement huilé, et le véhicule impeccable pour sa star, au sommet de son art. Et c'est parce qu'il remplit la mission qu'il s'est fixé, comme son héros, qu'il mérite le respect.
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