Le futur proche. De mystérieuses tempêtes cosmiques en provenance de Saturne affectent le système solaire et la survie de l'humanité. Le Major Roy McBride, un astronaute émérite, est informé lors d'une réunion confidentielle que la source de ces surtensions proviendraient de la station Lima envoyée il y a 29 ans aux confins de l'univers connu à la recherche de formes de vie intelligentes et dont le chef de projet, le Dr. Clifford McBride, est son père. Tout contact avec lui a été rompu depuis 16 ans.
Roy accepte donc de se rendre sur Mars, le poste de communication le plus avancé, pour tenter de contacter son père. Sa mission est supervisée par un ancien co-équipier de ce dernier, le Colonel Pruitt, qui, une fois sur la Lune, dans l'incapacité physique de poursuivre le voyage, lui confie des informations top secrètes sur la station Lima, révélant que la compagnie SpaceCom, à son origine, veut la détruire.
Après avoir rallié Mars à bord du vaisseau Cepheus, Roy enregistre des messages vocaux dans l'espoir qu'ils parviennent à son père. Mais il s'éloigne du texte officiel pour s'adresser plus intimement à lui. Ce qui lui vaut d'être renvoyé sur Terre. Avant d'être congédié, la directrice de la station martienne, Helen Lantos, lui révèle que ses parents faisaient partie de l'équipage de Lima et que le Cepheus va partir pour détruire la station. Elle l'aide à embarquer en espérant qu'il trouve une solution alternative...
Les films sur l'espace et la conquête spatiale sont entrés dans une espèce de nouvelle ère, plus intellectuelle - ou du moins qui aspire à l'être. Cette nuance est importante car lorsqu'on voit Gravity ou Interstellar, malgré leurs qualités respectives, on reste quand même dans une dimension spectaculaire, même si les histoires se veulent solides sur le plan scientifique (ce qui n'est pas évident).
En vérité, par un étrange mouvement de balancier, le cinéma américain et ses auteurs lorsqu'ils abordent l'espace ambitionnent de rivaliser avec ce qu'accomplit le russe Andrei Tarkovski avec Solaris - d'ailleurs Steven Soderbergh tenta, sans réussite, d'en tirer un remake. C'est-à-dire que le voyage dans l'espace devient le cadre d'une réflexion intimiste sur ceux qui l'effectuent.
Aussi doués soient Alfonso Cuaron, Christopher Nolan ou Soderbergh donc, pas un n'a obtenu ce que James Gray fait avec Ad Astra. Voilà un film américain qui soutient la comparaison avec Solaris de Tarkovksi. Un voyage intérieur et cosmique à la fois. Et, surprise, le résultat a eu l'heur de plaire au grand public puisqu'il a connu un joli succès commercial.
Au début du film, pour nous présenter son héros, on le voit effectuer une sortie extra-véhiculaire dans le vide sidéral pour réparer une antenne sur une sorte de pylône géant. Une tempête lui fait perdre l'équilibre et le voilà chutant de plusieurs km. Pourtant il ne perd pas son sang froid et réussit à se stabiliser et ouvrir son parachute.
Ce sera sans doute la scène la plus haletante de tout le film. Mais elle est chargée en symboles : c'est comme la chute d'un ange, ou d'un simple homme. C'est aussi la chute d'un mari, d'un fils, et peut-être un jour d'un père. Ces références religieuses vont traverser le récit, mais sans lourdeurs, sans pathos, avec grâce et suggestivité.
Après cela, Roy McBride va être envoyé en mission : l'origine de ces surtensions proviendraient d'une station spatiale en orbite autour de Saturne dont le commandement était tenu par son père, Clifford, un pionnier de l'exploration cosmique, dont on est sans nouvelles depuis 16 ans et que son fils pense, légitimement, mort.
Roy rejoint la Lune d'où il partira pour Mars, le dernier poste avancée de la conquête spatiale, pour tenter de rentrer en contact radio avec son père. Son périple, son odyssée même, sont ponctués de rencontres avec des individus qui semblent d'abord là pour lui rappeler qu'il s'aventure dans une expédition où il risque de perdre toute notion du temps, d'humanité.
Il y a ce vieux colonel, ancien collègue de son père, qui a fait carrière dans le privé (une trahison pour Clifford). Il y a la directrice de la station martienne, dont les parents ont été tués par Clifford au motif qu'ils se seraient mutinés contre lui. Et il y a Eve, l'ex-femme de Roy, qui le hante, qu'il a abandonné comme Clifford a abandonné sa famille.
Ad Astra parle en fait de la manière dont nous devenons nos pères. L'écrivain et scénariste Pascal Jardin disait que les mères nous façonnaient affectivement, et nos pères intellectuellement. Roy, qui en veut à son père et redoute de le retrouver, a reproduit ce que Clifford a commis : il a négligé sa femme, l'a délaissé au profit de son métier-passion. Il est devenu son père.
La mission devient psychanalytique : durant son trajet, Roy réfléchit à ce qu'il est devenu et le regrette. Il souhaite et craint en même temps que son père soit toujours vivant. S'il l'est, a-t-il vraiment tué son équipage qui s'est mutiné ? Ou a-t-il perdu la raison après tant d'années loin de tout ? Finalement, revoir son père ne permettra-t-il pas à Roy de ne pas devenir comme lui ?
Le film prend son temps, mais n'est jamais ennuyeux. La voix off de Roy commente de manière décalée son périple. L'espace est aussi bien géographique que mental ici. Ad Astra aurait pu être un western, un film de guerre, un film d'aventure. Il est tout cela à la fois, mais dans l'espace. Et son dénouement est à la fois chargé de mélancolie et d'apaisement. Parfois, il faut simplement partir ses parents pour vivre enfin, pour continuer à vivre.
La mise en scène de James Gray est atypique, inattendue : il nous gratifie de quelques plans, de quelques scènes spatiales sublimes, avec une photo magnifique de Hoyte Van Hoytema (partenaire fidèle de Nolan justement). Mais il préfère souvent filmer les visages, et particulièrement celui de son acteur principal.
Après avoir failli être dirigé par Gray dans The Lost City of Z, cette fois Brad Pitt s'est investi devant sa caméra pour une de ses meilleures compositions (la même année, il a brillé dans Once Upon a Time... In Hollywood qui lui a valu l'Oscar du meilleur second rôle). Le cinéaste capte la plus infime de ses expressions, dans son jeu économe, intense, minéral. On y lit à la fois de la tristesse et du calme, c'est envoûtant et ça permet de constater à quel point Pitt est un comédien subtil.
Les autres acteurs ne font que passer : Donald Sutherland, Ruth Negga, Liv Tyler... Et puis Tommy Lee Jones lui-même apparaît le plus souvent sur des écrans. Cela lui confère une dimension quasi-mythologique. Quand il partage enfin l'écran avec Pitt, on est saisi par l'alchimie entre eux, mais aussi par la véracité de ce duo père-fils aux rapports si complexes, lourds de non-dits.
C'est en déjouant les attentes du spectateur que James Gray réussit si bien à raconter Ad Astra. Ce cinéaste prodigieux a compris qu'un visage, un regard, étaient aussi profonds qu'une nuit étoilée, insondables que les anneaux de Saturne, aussi émouvants et énigmatiques que l'univers.
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