lundi 17 juin 2024

A VIF (Neil Jordan, 2007)


Erica Bain est l'animatrice d'une émission de radio dans laquelle elle parle de ses explorations dans des coins peu fréquentés de New York. Elle partage sa vie avec David Kirmani, un médecin urgentiste. Un soir, ils se promènent dans Central Park et passent sous un pont où des voyous les prennent à parti et les agressent en les filmant. Après les avoir roués de coups, ils s'enfuient en retirant sa bague de fiançailles à Erica.
 

Admis à l'hôpital, David meurt peu après des suites de ses blessures tandis que Erica est plongée dans le coma pendant trois semaines. A sa sortie, elle apprend que David a été enterré sans attendre qu'elle soit disponible. Traumatisée, elle ne sort plus de chez elle que pour faire quelques courses et enregistrer son émission depuis son domicile. Mais incapable de reprendre une vie normale, elle veut se procurer une arme pour se défendre.


N'ayant pas de permis de port d'arme, elle se procure un pistolet automatique au marché noir. Un soir, dans une épicerie, elle assiste à un braquage et au meurtre de la caissière. Elle abat le voleur. Peu après la police arrive sur les lieux et les inspecteurs Mercer et Vitale trouvent deux types de douilles sur le sol.


Cette expérience a redonné des forces à Erica qui revient en studio pour travailler et transforme son émission en libre antenne pour évoquer l'insécurité en ville. La nuit, elle parcourt toujours les rues mais cette fois en cherchant des malfrats à exécuter et des innocents à sauver. L'inspecteur Mercer la revoit par hasard et lui assure que l'enquête sur son agression et la mort de David suit son cours...


Les occasions d'apprécier l'immense talent d'actrice de Jodie Foster sont devenues rares, même si récemment elle a tenu l'affiche de la saison 4 de True Detective (que je j'ai pas vue). Il n'en reste pas moins qu'il est surprenant de la découvrir dans ce film noir sur le thème de l'auto-défense, qui ne peut qu'évoquer Un Justicer dans la Ville de Michael Winner avec Charles Bronson sorti il y a déjà 50 ans.


Jodie Foster dans un rôle à la Charles Bronson ? Oui et non. Car bien entendu, tout n'est pas si simple : pour cette actrice exigeante, on imagine mal qu'elle se soit engagé dans un tel film pour soutenir la justice expéditive. Mais ce qui est encore plus troublant, c'est à quel point The Brave One (en vo) semble boucler une boucle ouverte en 1976 pour elle.


1976 : l'année de la sortie de Taxi Driver, chef d'oeuvre de Martin Scorsese, Palme d'or à Cannes. Jodie Foster y jouait Iris "Easy" Steenma, une prostituée mineure que Travis Bickle se mettait en tête de sortir du caniveau au terme d'une descente sanglante dans l'hôtel de passe où elle travaillait.

L'histoire écrite par Paul Schrader observait la lente dérive d'un vétéran du Vietnam dans New York, examinant au volant de son taxi le spectacle de la dépravation dans les bas quartiers. Après avoir tenté de séduire Betsy, l'assistante d'un politicien en campagne électorale, il dévisse complètement et accomplit sa mue en justicier qui lui vaudra la reconnaissance des parents d'Iris.

Tout comme Schrader, les scénaristes de A Vif, Roderick et Bruce Taylor (le père et son fils), s'intéressent davantage à l'impact psychologique de la violence sur l'héroïne qu'au glamour de cette même violence. Ce que subit Erica est présenté comme totalement arbitraire, c'est tombé sur elle (et con compagnon) par hasard, cruellement, comme ça aurait pu tomber sur d'autres, la même nuit, au même endroit.

Elle souffre d'abord dans sa chair et Neil Jordan montre d'ailleurs en parallèle les urgentistes prenant en charge le corps meurtri de la femme et l'étreinte partagée avec David dans l'intimité. Le contraste est saisissant entre la mort et l'amour, Thanatos et Eros. De fait, en perdant David, Erica perd son amour, mais surtout toute forme de compassion, et une bonne part de sa propre humanité. On sera troublé que ce soit la même actrice qui joue dans A Vif et Les Accusés (Jonathan Kaplan, 1988) dans lequel là aussi son humanité était mise en lambeaux à la suite d'un viol collectif.

Souffrant de stress post-traumatique, Erica se cloître d'abord chez elle. Puis franchit une étape en se procurant une arme à feu. La première fois qu'elle s'en sert, dans un mouvement de panique, contre un voleur minable, a valeur d'épiphanie pour elle : le pistolet devient pour elle un instrument de pouvoir, de reprise en main. Désormais, elle ne sera plus une victime. Elle s'enhardit, exécutant des voyous dérangeant des passagers dans la rame de métro où elle est. Puis carrément en allant au devant du Mal, fréquentant des coins mal famés où sévissent des prédateurs et où échouent leurs proies (comment, là encore, ne pas faire de lien entre le sauvetage de Chloé, une jeune prostituée, et la croisade de Travis Bickle ?).

Mais le film ne laisse pas défiler les exécutions d'une justicière. Il met aussi en scène un flic (et son co-équipier, plus en retrait, mais le seul personnage à avoir un peu d'humour dans cette histoire très noire) qui finit par enquêter sur ces exécutions. Bien entendu, vous vous en doutez, il finit par suspecter Erica, mais je vous laisse découvrir comment : le scénario est suffisamment intelligent pour ne pas tomber dans les écueils classiques, cela s'accomplit lentement, progressivement, logiquement.

Tout film sur l'auto-défense suscite une part de malaise, c'est inscrit dans son ADN. Le dénouement de A Vif est donc forcément discutable. Je ne prétendrai pas que le studio qui a produit le film a exigé deux fins afin de pouvoir choisir au montage ou que le script a été réécrit. Je n'en sais rien. Neil Jordan s'est souvent intéressé à des intrigues et des héros complexes (Mona Lisa, The Crying Game, Entretien avec un Vampire, Michael Collins), donc ça m'étonnerait fort que la fin de The Brave One le satisfasse complètement. Toutefois, sa réalisation est impeccable, tendue, sensible aussi.

Jodie Foster est bien entendu magistrale, elle ne cherche pas à défendre son personnage dans ce qu'il a de plus controversé, elle l'embrasse avec sa souffrance et ses débordements. Ce qui impressionne toujours autant, c'est la manière dont elle traduit le tiraillement de Erica, constamment au bord de la paralysie et en même temps électrisée par ce qu'elle commet. Pour tenir le choc face à une composition au cordeau comme la sienne, il faut un partenaire solide et Terrence Howard fait mieux que de lui tenir le crachoir : lui aussi fait de Mercer un personnage qui se contient difficilement mais résiste à la tentation. Lorsque, par exemple, Erica et Mercer échangent sur le justicier, les failles du système judiciaire, l'impuissance de la police, Foster et Howard n'ont pas besoin de grands effets de manche pour convaincre le spectateur de leurs différences et de leurs ressemblances.

A Vif n'est pas facile à traiter, c'est un morceau consistant, qui de plus ne livre pas de réponses toutes faites. Et pour cela il mérite d'être (re)découvert.

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