jeudi 13 juin 2024

SIERRA TORRIDE (Don Siegel, 1970)


Hogan, un ancien soldat nordiste, sauve une jeune femme sur le point d'être violée par trois bandits ivres morts. Il les tue puis découvre que leur victime est en vérité une nonne, Soeur Sara. Elle l'implore de l'escorter jusqu'au campement de rebelles juaristes qu'elle soutient, ce qui lui vaut d'être traquée par l'armée française.
 

Lorsqu'il la questionne sur sa destination, Hogan comprend qu'elle a rendez-vous avec le colonel Beltran, celui-là même avec qui il a fait affaire au Texas pour lui fournir des explosifs en échange de la moitié du trésor des français. Hogan et Sara entament un long périple en devant être sur place avant le 14 Juillet, date de la fête nationale française au cours de laquelle la nonne assure que les soldats seront vulnérables car ils s'y enivrent.


Durant le trajet, Hogan est de plus en plus troublé par Sara, dont il déplore qu'elle soit rentrée dans les ordres alors qu'elle est séduisante, mais aussi parce qu'à l'occasion, en cas de forte émotion elle jure et boit même si, comme elle le dit, "la règle permet quelques accommodements". Ils doivent faire face ensemble à des indiens yaqui qui blessent Hogan puis saboter une ligne de voie ferrée par laquelle passe un train rempli de munitions pour les français.


Mais c'est quand ils rejoignent Beltran et ses hommes que Hogan va avoir la surprise de sa vie...


L'histoire originale de Two Mules for Sister Sara (en vo) provient du cinéaste Budd Boetticher qui voulait également en signer la réalisation. Mais en 1970, le cinéaste est considéré comme un has-been et sa conception du western est passée de mode après la révolution venue d'Italie. Il accepte donc que son idée soit développée par un autre scénariste, Albert Matz, et la mise en scène confiée à Don Siegel.


Boetticher n'a pas fini d'avaler son chapeau car lui qui voulait Robert Mitchum et Deborah Kerr dans les rôles principaux, après les avoir vus ensemble dans Dieu seul le sait (John Huston, 1957), doit accepter Clint Eastwood dans la peau de Hogan. L'acteur est alors au fait de sa gloire mais lui déplaît car il le trouve trop nonchalant et sarcastique. Le script est passé dans les mains d'Elizabeth Taylor que Eastwood a rencontré sur le tournage de Quand les Aigles attaquent (Brian G. Hutton, 1968) où elle accompagnait son mari, Richard Burton, et elle est un temps pressenti pour lui donner la réplique.
  

Finalement, c'est Shirley MacLaine qui héritera du rôle et là, c'est Siegel qui devra composer avec ce choix qu'il n'approuve pas (il aurait préféré une actrice mexicaine), jugeant la comédienne "trop couillue" (normal pour celle qui traîne avec le Rat Pack, la bande de Sinatra, où elle est la seule fille).

Le tournage a lieu sur les lieux de l'action, au Mexique, comme le voulait Siegel, bien que son producteur ne supporte pas le climat. Les deux hommes, malgré la chaleur, sont en froid et Siegel, pour s'assurer que son film ne sera pas mutilé au montage (car il n'a pas le final cut), ne se "couvre" pas. Il tourne très peu de prises de chaque scène et toujours avec un minimum d'angles de vue différents. De plus il a le soutien de Eastwood (qu'il a déjà dirigé dans Un Shérif à New York, et qu'il retrouvera pour Les Proies, L'Inspecteur Harry et L'Evadé d'Alcatraz), qui le considèrera toujours comme son mentor quand à son tour il passera derrière la caméra.

Quid du résultat ? Sierra Torride (quel titre idiot !) est un drôle d'objet qui emprunte au western, mais également à la screwball comedy. Et alors qu'on pourrait croire que ce mélange improbable va accoucher d'un film bâtard, c'est tout le contraire : il en tire toute sa singularité et régale le spectateur. Les dialogues sont savoureux, les répliques fusent, on rit beaucoup.

Les rebondissements sont certes mécaniques (mention à l'attaque des indiens), mais on ne s'ennuie pas alors même que Siegel semble s'amuser à musarder en route pour mieux mettre en valeur les paysages sauvages du Mexique. Il faut dire que Hogan se déplace avec deux chevaux (dont l'un transporte ses explosifs, sa nourriture, ses bouteilles d'alcool) et Sara chevauche d'abord une mule puis un bourricot, l'un comme l'autre peu rapide.

La dernière partie offre tout de même une bataille épique, ponctuée d'explosions de dynamite. Et surtout Hogan comme le spectateur découvre vraiment qui est Sara (mais je ne vais pas vous gâcher la surprise, qui est hilarante). Boetticher avait eu une autre idée à ce sujet mais je pense que Albert Matz a eu le nez creux en la modifiant car c'est bien plus étonnant et tordant.

Clint Eastwood joue donc Hogan avec son flegme habituel, mais il faut surtout apprécier son incroyable sens du timing dans la comédie : jamais il ne cherche à faire de son personnage un type sympathique, empathique, ni même particulièrement malin. Il est cynique, désabusé, porté sur la bouteille, grivois : revenu de tout. Et c'est pour ça que sa réaction à la fin, en découvrant qui est Sara, est impayable. Cette dernière est génialement campée par Shirley MacLaine, dont l'abattage légendaire est parfaitement mis en valeur : on ne sent jamais que Siegel ne l'a pas appréciée et elle, en tout cas, jubile visiblement à incarner cette nonne révolutionnaire, s'arrêtant devant chaque calvaire pour prier et tapotant le cul de son bourricot pour avancer. Dommage que les deux acteurs n'aient jamais été réunis.

Il est impossible de se lasser de ce film, même quand on connaît son secret et sa genèse contrariée. Don Siegel est peut-être un "petit maître", mais Sierra Torride est un de ses opus les plus irrésistibles.

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