lundi 3 juin 2024

WIND RIVER (Taylor Sheridan, 2017)


Agent du service des eaux et forêts dans la réserve indienne de Wind River, Cory Lambert trouve le corps de Natalie Hanson, 18 ans, membre de la tribu des Arapahos du Nord. Le F.B.I. prévenu envoie l'agent Jane Banner sur place. La victime est autopsiée mais le médecin légiste établit une hémorragie pulmonaire due au froid intense mais ne peut affirmer avec certitude qu'elle a été assassinée même si elle a été violée.


Normalement, ce genre de conclusion empêche le FBI de poursuivre une enquête mais Jane décide de la mener en demandant l'assistance de Cory et du shérif de la réserve, Ben Shoyo. Le père de Natalie, Martin, sait que sa fille fréquentait un homme mais il ignore son identité et son adresse. Jane, Cory et Shoyo se rendent chez Chip, le frère de la victime, un toxicomane, qui leur donne le nom de l'amant de sa soeur, Matt Rayburn, employé sur un site de forage pétrolier voisin.


Avant de se rendre là-bas le lendemain, Cory raconte à Jane qu'il a lui aussi perdu sa fille, alors âgée de 16 ans, dans ces circonstances restées non élucidées et sans avoir retrouvé son corps. Jane comprend que cette affaire lui tient donc spécialement à coeur. La journée suivante, avec des renforts, Shoyo et Jane se rendent sur le site de forage où Curtis, le contremaître, et ses hommes leur réservent un accueil glacial, surtout après que l'agent du FBI demande à inspecter la caravane de Rayburn...


Quand Wind River sort en 2017, Taylor Sheridan est d'abord le scénariste qui monte : en effet, c'est lui qui a écrit le script de Sicario (Denis Villeneuve, 2015) et de Comancheria (David McKenzie, 2016), deux formidables polars, que leur auteur considère comme les deux premiers d'une trilogie sur la frontière américaine moderne. 


De l'aveu même de Sheridan, ce qui l'a inspiré, c'est le nombre effarant de personnes indiennes portées disparues et jamais retrouvées, car jamais vraiment recherchées par la police. Il plante sa caméra dans une réserve indienne où plusieurs affaires non résolues ont eu lieu, comme pour légitimer sa démarche (même si, après sa sortie, le film sera critiqué par des habitants du coin au prétexte que le cinéaste a cherché à exploiter la situation).


L'intrigue est poignante dès le début : cette jeune femme que Cory Lambert trouve morte gelée, les pieds nus, et comme l'autopsie le révélera battue et violée, a succombé au froid glacial qui a fait exploser des vaisseaux dans ses poumons après avoir marché pendant des heures et sur plusieurs kilomètres dans la neige.


De manière plus classique, Sheridan établit une correspondance entre ce drame et celui vécu par Lambert, qui, lui-même, a perdu sa fille, quasiment du même âge, mais sans avoir retrouvé son corps. Lambert est un chasseur, il régule la faune dans une réserve indienne où rôdent loups et lions des neiges (des pumas), un gars taiseux, divorcé (son couple n'a pas résisté au décès de sa fille), père d'un garçon métis.

Quand débarque Jane Banner, agent du FBI, celle-ci est accueillie avec méfiance. Ses manières sont brutales, elle ignore tout du contexte et n'a jamais côtoyé d'indiens. Pour elle, c'est une affaire à résoudre, qui plus elle en a héritée parce qu'elle était la plus proche des lieux quand on l'a appelée, et en plus la météo est exécrable, elle n'est pas équipée pour enquêter dans ces conditions.

C'est donc tout autant la résurgence d'un drame familier pour Lambert que la laborieuse mise en condition de Banner qui occupe le premier tiers du film. Très vite, les soupçons se portent sur des ouvriers du site de forage pétrolier et un certain Rayburn, amant de la victime. Sheridan ne construit pas son intrigue en s'appuyant sur une énigme compliquée, ce qui l'intéresse ce sont d'abord les personnages, les causes du décès, le contexte.

Avec ses paysages immaculés et sauvages, Wind River est ce qu'on pourrait appeler, pour reprendre la formule de William Irish, une "série blême". Sheridan fait surgir la violence de manière soudaine et fulgurante. Plus qu'un polar, on pense surtout à un western (comme ce sera ensuite le cas pour sa série à succès, Yellowstone). 

Lorsque la vérité éclate, un flashback, sans préavis, nous dévoile ce qui s'est passé : le spectateur est donc plus informé que ne le seront les héros, pour qui l'important devient ensuite de coincer le(s) coupable(s), mort(s) ou vif(s). C'est exactement la morale de moult westerns. Sheridan applique à sa mise en scène le même laconisme : quand viendra le temps de punir l'assassin, ce sera d'une manière plus cruelle qu'une exécution. Il mourra comme il a fait mourir. C'est littéralement glaçant. Mais les dernières scènes en réaction montreront surtout à quel point tout cela a bouleversé Jane, Cory et Martin.

Le film s'appuie sur casting formidable : Elizabeth Olsen est remarquable en agent qui met les pieds dans le plat. Graham Greene est superbe en vétéran désabusé. Jon Bernthal et Kelsey Asbille sont d'émouvants amants sacrifiés. Et puis il y a Jeremy Renner, futur héros de The Mayor of Kingstown (autre création télé de Sheridan, dont la saison 3 approche) : acteur prodigieux, à la présence intense et au jeu électrique, il incarne son rôle avec une sobriété impressionnante. Aujourd'hui, son statut a complètement changé puisque, plus que d'avoir été Hawkeye dans le MCU, il a survécu à un abominable accident et il en est revenu. Ce type est un miraculé et on ne peut plus le regarder comme un simple comédien : il est devenu un héros dans la vraie vie.

Pour toutes ces raisons, il faut voir Wind River, chef d'oeuvre de son auteur, qui est certainement un des scénaristes et metteurs en scène les plus passionnants à l'heure actuelle.

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