mercredi 5 juin 2024

COMANCHERIA (David MacKenzie, 2016)


Dans l'Ouest du Texas, deux frères, Toby et Tanner Howard, braquent successivement deux succursales de la Texas Midlands Bank. Ils ne commettent pas ces méfaits pour s'enrichir mais parce que leur mère, décédée des suites d'une longue maladie, leur a laissés des dettes importantes, obligeant à hypothéquer le ranch familial que la Texas Midlands Bank espère bien saisir. 


S'ils arrivent à sauver la propriété, la fortune leur tend les bras car ils ont découvert un gisement pétrolier sur leurs terres. Deux Texas Rangers, Marcus Hamilton et Alberto Parker, mènent l'enquête. Hamilton, près de la retraite, cerne rapidement les méthodes et les personnalités des deux voleurs. Cependant, Tanner, qui a déjà fait un séjour derrière les barreaux, prend des risques que désapprouve Toby comme lorsqu'il dévalise une banque pendant que son frère déjeune dans un restaurant tout proche.


Pour blanchir l'argent volé, les frères Howard vont dans un casino dans l'Oklahoma, convertissant leurs "gains" en un chèque à l'ordre de la Texas Midlands Bank. Ainsi, la source de l'argent est introuvable. Encore une banque à braquer et ils auront réuni la somme nécessaire pour empêcher la banque de saisir le ranch. Sauf que les deux Texas Rangers pensent avoir deviner quel établissement ils vont attaquer...


Comme pour Sicario, Tyler Sheridan a dû laisser à un autre le soin de réaliser son script. Ce scénario a d'ailleurs mis longtemps à convaincre un studio et, pour une fois, son titre français est celui que lui avait originellement donné son auteur alors qu'aux Etats-Unis il a été rebaptisé Hell or High Water.


Avec Sicario et Wind River, Comancheria forme donc la trilogie de "la frontière américaine moderne" qu'ambitionnait d'écrire Sheridan. Comme le dit Stephen King dans son ouvrage Ecriture, Mémoires d'un Métier, la priorité d'un écrivain doit être d'écrire sur ce qu'il connait le mieux, au moins pour commencer. Et on sent que Sheridan connaît parfaitement ce qu'il raconte.


Si Sicario a un fond politique fort et que Wind River est plus humaniste, Comancheria est le plus social des films de la trilogie. Ses deux héros sont des braqueurs de banque mais ils ne font pas cela par plaisir ou pour s'enrichir, ils le font pour récupérer le ranch familial hypothéqué pour couvrir les dettes laissées par leur défunte mère.


Pour Toby Howard, c'est même devenu une sorte de mission : comme il l'explique à la toute fin du film, il a été pauvre toute sa vie, comme ses parents et leurs parents avant eux. "C'est comme un virus" qui se transmet de génération en génération, mais lui a voulu que ses enfants ne soient pas comme lui et ses prédécesseurs. C'est aussi une promesse qu'il a faite à sa mère sur son lit de mort : sauver le ranch car un gisement pétrolier y a été découvert, qui mettra à l'abri du besoin ses enfants jusqu'à la fin de leurs jours.

Dès lors, c'est un compte à rebours car le banque est sur le point de saisir la maison et le terrain sur laquelle elle est construite avec son puits de pétrole. Tanner Howard sort de prison et Toby lui demande de l'aider dans un projet fou : braquer des banques pour empêcher ça. Mais pas n'importe quelle banque, les succursales de celle qui vont récupérer le ranch.

Il y a une ironie certaine et jubilatoire dans ce twist narratif, d'ailleurs le conseiller bancaire ami des frères Howard sait pertinemment ce qu'ils font et, écoeuré par le cynisme de sa hiérarchie, il se réjouit que Toby et Tanner dépouille la Texas Midlands Bank pour rembourser ce qu'elle leur réclame.

Puis, en parallèle, il y a les deux Texas Rangers à la poursuite des deux voleurs. En tout et pour tout, il n'y aura que quatre braquages dans le film. Le caractère impulsif de Tanner traduit sa nervosité tandis que Toby est plus discipliné, c'est d'ailleurs lui qui planifie chaque attaque. Cela permet aux deux Rangers de dresser facilement un profil des malfrats, surtout quand ils s'aperçoivent que leurs cibles sont uniquement des succursales de la même banque.

Il faut savoir ne pas en trop en dire sur l'histoire, et c'est particulièrement vrai dans le cas de Comancheria. Non pas parce que le film repose sur un suspense insoutenable, mais parce que le film est court (100'), va vite, et que le spectateur devine rapidement que ça ne finira pas bien pour tous les protagonistes. Il y a toujours chez Sheridan le poids du destin, la fatalité, et ici à l'issue potentiellement dramatique que peut avoir le fait de braquer des banques, s'ajoute celle, plus sociale donc, de savoir si le ranch sera sauvé, et à quel prix (le prix humain plus que financier).

En définitive, quand on regarde les trois volets de la trilogie de Sheridan, on se rend compte des similitudes : dans les trois cas, le(s) héros sont tout sauf des héros, ils sont constamment dépassés par ce qui leur tombe dessus, mais y font face, tout en n'en sortant pas (au moins mentalement) indemne. Par ailleurs, les trois histoires se situent dans un environnement sauvage, hostile, renvoyant aux codes du western, valorisant les efforts des petites gens face à des forces supérieures. Il y a de la casse humaine, mais aussi une volonté farouche de ne pas être écrasé, la notion de sacrifice, le deuil nécessaire. Et surtout le sentiment très fort laissé chez le spectateur qu'à la fin du film, la route est loin d'être finie pour les protagonistes. 

David MacKenzie n'a pas le talent visuel de Villeneuve mais c'est un réalisateur avec un sens du cadre indéniable, comme en témoignent les innombrables plans où il se sert de la ligne d'horizon comme repère pour traduire la situation des personnages (comme disait Howard Hawks, vous pouvez filmer avec l'horizon en haut de l'image ou en bas de l'image, jamais au milieu car alors ça signifie que vous n'avez rien compris au décor et à ce qu'il dit des personnages). Ici, quand les frangins sont plein d'espoir, l'horizon est en bas, le ciel leur appartient, et inversement quand la situation n'est pas encourageante, et que le ciel occupe une place mineure dans le cadre.

Enfin, le casting, comme souvent avec les histoires de Sheridan, mise plutôt sur des acteurs solides que sur des stars : en l'occurrence, Chris Pine et Ben Foster incarnent les frères Howard avec beaucoup de naturel mais aussi une sorte de pesanteur mélancolique poignante. Face à eux, Jeff Bridges cabotine énormément et n'a peut-être jamais autant ressemblé physiquement à son père, mais son personnage, têtu, reste toujours profondément humain.

Comancheria est peut-être le plus modeste des films écrits par Sheridan, mais pas le moins attachant.

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