lundi 10 juin 2024

LE BAGARREUR (Walter Hill, 1975)


Louisiane, 1933. Chaney, un chômeur itinérant, assiste à un combat de boxe à mains nues clandestin dans un entrepôt. Un des combattants est soutenu par Speed et prend une correction sans appel. Plus tard, Channey aborde Speed à la table d'une gargote et lui demande de lui trouver un adversaire et de parier les six dollars qu'il lui reste. D'abord sceptique, Speed se débrouille et Chaney affronte l'homme qui a vaincu le précédent champion du manager. 
 

Moqué pour son âge, Chaney ne fait pourtant qu'une bouchée de son vis-à-vis en l'envoyant au tapis d'un seul coup de poing. Convaincu qu'il tient un champion, Speed emmène Chaney à la Nouvelle-Orléans où il vit et a des contacts. Chaney le prévient cependant qu'une fois qu'il aura empoché assez d'argent, il arrêtera tout et repartira. Mais avant cela il accompagne Speed sur les docks pour regarder le combat de Jim Henry, le poulain invaincu de Chick Gandil, un gros parieur qui a fait fortune dans la poissonerie.


En attendant son premier combat, Chaney aborde Lucy Simpson, une jolie jeune femme, dans un bar où il boit un café. Elle accepte qu'il la raccompagne mais refuse de le laisser entrer chez elle. Il loue une chambre dans le même quartier pour un loyer modique et un confort sommaire. Le lendemain, Speed présente Poe, un ancien médecin opiomane, qui vient compléter leur équipe, puis il l'informe qu'il lui a trouvé un premier adversaire. Direction : un repas de famille dans le bayou.


A nouveau, Chaney fait parler sa technique et sa puissance. Mais Petitbone, qui a organisé la rencontre, refuse de payer. Chaney convainc Speed de filer quand il voit des hommes armés les encercler. La nuit venue pourtant, Chaney obtient ses gains en corrigeant par surprise Petitbone et sa garde rapprochée qui font la fête dans un bar. Avec l'argent récolté, Speed va pouvoir négocier avec Gandil pour que Chaneu affronte Jim Henry...


Hard Times (en vo) est le premier film réalisé par Walter Hill. Il a seulement 33 ans et peu d'expérience, même s'il fait remarquer pour avoir signé les scripts de deux longs métrages, Guet-Apens de Sam Peckinpah et Le Voleur qui vient dîner de Bud Yorkin, tous deux en 72. Fort de cela, il convainc la Columbia de financer son premier effort derrière la caméra.


Le premier jet du Bagarreur équivaut à un long métrage de deux heures, jugé trop long. Hill accepte d'en couper une demi-heure en le remaniant avec Bryan Gindoff (qui a eu avec lui l'idée originale de l'histoire) et Bruce Henstell. Loin d'être contrarié par ces corrections, l'auteur dira plus tard que cela a amélioré le résultat car il désirait faire oeuvre d'économie, concevant son intrigue quasiment comme un haïku - une technique qu'il conservera ensuite.


Par contre, il doit accepter des concessions plus difficiles au sujet du casting : il avait imaginé un héros plus jeune et désirait engager Jan Michael Vincent (31 ans à l'époque). Le projet intéresse Charles Bronson, alors au fait de sa gloire mais qui a déjà 54 ans. Pourtant Hill se ravise vite : comme il le racontera ensuite, "Bronson était dans un condition physique encore exceptionnelle, son corps était sculpté et son charisme indéniable". Seul problème : c'était aussi un gros fumeur et il n'était pas endurant, ce qui obligea le metteur en scène à abréger les scènes de combat ou à les découper (alors qu'il aurait souhaité les filmer en plans-séquence).

Le Bagarreur est, je dois le dire, un de mes films cultes : je l'ai vu très jeune car, comme j'ai déjà eu l'occasion de le dire (en parlant de Mister Majestik), j'étais un fan de Bronson que mon père m'avait fait connaître en regardant Les Sept Mercenaires, La Grande Evasion et Il était une fois dans l'Ouest. Même si je ne l'ai pas aussi souvent revu que ces derniers, le film de Hill m'a toujours enthousiasmé car c'est un des meilleurs de sa vedette.

Bronson en impose naturellement, avec son jeu minimaliste et sa présence incroyable. Il lui suffit d'apparaître pour qu'on ne voit que lui, et il donne au personnage de Chaney une humanité bouleversante, une mélancolie qui contraste avec ce drôle de métier qui est le sien. Taciturne, voire ombrageux, il ressemble en fait aux multiples versions de l'homme sans nom immortalisé par Clint Eastwood, cette figure surgi de nulle part et qui y retourne à la fin du récit, véritable énigme insondable pour ceux qui le croisent.

La romance, très pudique, que Chaney partage avec Lucy Simpson est d'autant plus étonnante que c'est Jill Ireland, l'épouse de Bronson, qui incarne cette femme démunie mais fière, qui, par provocation, raconte au boxeur qu'elle a fini par trouver un riche homme prête à l'entretenir, juste pour tester les sentiments de ce quasi-inconnu. On peut alors interpréter de bien des façons la réaction laconique de Chaney après cela mais c'est aussi singulier qu'inoubliable.

Par ailleurs, Hill, malgré un budget dérisoire, retranscrit à merveille à l'image la Grande Dépression des années 30 avec ces millions d'américains dans la plus grande précarité suite au krach boursier de 1929, quand d'autres, authentiques fripouilles profitant de cette débâcle trouvaient le moyen de prospérer sur la misère de leurs contemporains. De ce point de vue, les combats clandestins fournissent une matière idéale pour le commentaire sociale du film : tous les coups y sont permis, on se frappe à mains nues et avec les pieds, y compris en dessous de la ceinture, jusqu'au k.o..

Hill filme ces affrontements sans chichi, on ressent l'impact des coups, la violence des échanges, le désespoir des participants, l'exutoire que fournit ce spectacle pour ceux qui y assistent. Le personnage de Speed est conscient que Chaney est un champion très coriace mais il se montre vite ingrat avec lui, estimant que c'est lui qui prend tous les risques, alors qu'en vérité c'est évidemment le contraire.

James Coburn a hérité du rôle prévu à l'origine pour Warren Oates et ses relations avec Hill ont été tendues. Contrairement à Bronson, avec qui il avait déjà joué (dans Les Sept Mercenaires et La Grande Evasion), sa carrière déclinait et in n'appréciait pas de jouer un personnage aussi antipathique. Pourtant, à l'écran, ça ne se voit pas : il compose un margoulin insolent, flambeur impénitent, mauvais coucheur, avec beaucoup de gouaille et d'énergie. Son duo avec Bronson fonctionne merveilleusement.

Au premier regard, il est donc facile de considérer avec snobisme ce long métrage. Mais plus on le voit, plus on mesure ses qualités, sa profondeur, sa personnalité. Walter Hill débutait en beauté une longue et belle carrière, au sommet pendant quasiment dix ans.

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