jeudi 20 juin 2024

ROCKET : THE BLUE RIVER CORE (Al Ewing / Adam Gorham)


Entre deux aventures avec les Gardiens de la Galaxie, Rocket Raccon boit seul un verre dans un bar bondé et rumine sa misérable existence. Soudain, une vieille connaissance vient se rappeler à son souvenir : Otta Spice. Son premier amour. Son premier chagrin d'amour.


Otta ne souhaite pas renouer avec Rocket mais vient lui demander de l'aider. Les ressources naturelles de sa planète nataale, Tarka, sont exploitées jusqu'à épuisement par une industrie et la population est en danger si elle ne récupère pas une graine qui pourrait tout arranger.


Il se laisse attendrir mais il lui faut des renforts. Pas ses amis Gardiens. Des mercenaires. Il débauche la moitié de l'équipe des Technets en rupture de ban avec leur patronnne et les embarque dans un casse audacieux contre la promesse d'une jolie récompense. Mais c'est sans compter sur Gatecrasher, la leader des Technets, disposant de l'autre moitié de ses effectifs et qui compte bien arrêter Rocket contre une prime...
 

En 2017, soit trois ans avant de prendre en main la série Guardians of the Galaxy, Al Ewing se voit proposer d'écrire une mini-série en six parties sur Rocket Raccoon. Le raton-laveur génétiquement modifié créé par Bill Mantlo et Keith Giffen est un personnage que tout le monde adore et dont James Gunn a fait le coeur de sa trilogie des adaptations des comics sur Les Gardiens de la Galaxie (en particulier dans le dernier film).


Pourtant, au fil des années, notamment dans la série que lui a consacré Skottie Young, Rocket est devenu indissociable de Groot, l'arme vivant humanoïde qui ne s'exprime que par une phrase ("I am Groot", dont seul Rocket saisit la signification). Au point d'ailleurs que Groot lui vole désormais presque la vedette.


Ewing va donc prendre une décision drastique pour commencer : composer une intrigue sans Groot. Ce qui n'a l'air de rien mais permet de ne plus être distrait et de recentrer toute la série sur Rocket. Et quand le premier épisode débute, il est au comptoir d'un bar bondé en train de siffler des verres en ayant visiblement le blues. Jusqu'à ce que...


... Otta Spice surgisse et vienne lui demander de l'aider. "Cherchez la femme", comme dit la formule dans les récits policiers. Et c'est précisément ce que va proposer Ewing : un polar. En respectant les codes, les clichés même du genre, saupoudrés d'humour et de pas mal de mélancolie et d'action.

Car pour le scénariste, le personnage de Rocket est comme un vétéran, brisé, cassé, seul. Il a vécu des choses atroces, a été trahi, abandonné, s'est fait une place au sein des Gardiens mais sans vraiment ls considérer comme sa famille ou des amis - plutôt des partenaires. Et tout ce spleen prend sa source dans une romance qui a mal tourné et l'a laissé amer, cynique, mais aussi risque-tout, hâbleur, ne tenant pas en place. Ne résistant pas à l'appel de l'aventure, quitte encore à y laisser beaucoup de lui-même.

Au fond, semble nous dire Al Ewing, comme tous les durs (ou ceux qui veulent se faire passer comme tel), Rocket est un sensible qui le cache, un sentimental qui ne veut pas que ça se voit. Revoir Otta ler amène en arrière, avec ce que ça a de douloureux, mais aussi de romantique. Et on peut se demander ce qui, entre l'argent ou un retour de flamme, l'emporte quand il accepte de commettre un braquage périlleux pour elle.

Le scénario est admirablement construit, ouvragé par un auteur qui maîtrise parfaitement ses classiques et les adapte à ce drôle de héros, dans un contexte cosmique, épique, parfois délirant, parfois cruel. La présence des Technets, ces mercenaires créés par Chris Claremont et Alan Davis dans les pages de Excalibur, donne une bonne idée de ce qui attend le lecteur dans la mesure où Rocket s'allie à la moitié d'entre eux qui ont tourné le dos à leur patronne, Gatecrasher, qui souhaite accrocher le raton-laveur à son tableau de chasse contre une belle récompense.

Rocket arrêté et livré à la justice, Ewing ose tout, comme ces avocats qui parodient allègrement Matt Murdock et Foggy Nelson (rebaptisés pour la circonstance Murd Bludorck et Froggy Frelson), ou conviant Deadpool le temps d'un numéro pour une opération commando contre Cordyceps Jones.

Mais à la fin, sans spoiler, attendez-vous à une douche froide : le dénouement est particulièrement triste. Là encore comme toute bonne série noire, il n'y a pas de gagnant, pas de vainqueur, pas de happy end. D'ailleurs, la série s'achève comme elle a commencé, au comptoir d'un bar, cette fois vide. C'est vraiment touchant, d'autant plus qu'on ne s'y attend pas, anticipant plutôt une morale acerbe de la part de Rocket.

Le dessin de Rocket a été confié à l'excellent mais sous-estimé Adam Gorham, qui est toujours impeccable quel que soit sa production (lisez The Blue Flame ou Punk Mambo). Son style s'adapte merveilleusement à ce récit avec un trait vif et un découpage précis, qui fait la part belle à des planches bien composées, où le texte en off vient non pas répéter ce que dit l'image mais la compléter, l'enrichir, la nuancer.

Gorham profite aussi du talent du coloriste Michael Garland (celui-là même qui collabore avec Tomm Coker sur Black Monday Murders dont je vous ai récemment parlé). La palette qu'il utilise privilégie les tonalités vives et simples pour respecter la lisibilité et l'efficacité du dessin de Gorham, qui s'encre lui-même avec beaucoup d'expertise. Des effets de pinceau sec donnent de la texture aux personnages et aux décors, une sorte de patine un peu old school très sympa, avec une grande expressivité sur les visages et dans les attitudes, la langage corporel.

Cette petite série, par le format et l'ambition, vaut vraiment le détour et prouve encore une fois la polyvalence de Al Ewing et la solidité de Adam Gorham. A quand une réunion de ces deux-là ?

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