mardi 25 juin 2024

PERSONAL SHOPPER (Olivier Assayas, 2016)


Maureen Cartwright est une jeune femme qui vient de perdre Lewis, son frère jumeau, mort d'un infarctus à cause d'une malformation cardiaque qu'elle a aussi. Avant ce décès, le frère et la soeur ont scellé un pacte : le survivant devra attendre une signe de l'au-delà de l'autre. Maureen passe donc la nuit dans maison vide de son frère qu'elle a mise en vente et pour laquelle un couple est intéressé à condition qu'elle ne soit pas hantée.


Les acquéreurs potentiels la rejoignent le lendemain matin et la femme mentionne l'artiste Hilma af Klint dont les peintures étaient inspirées par ses séances de spiritisme. Maureen parle de la vente avec son petit ami, Gary, qui travaille actuellement au Maroc et qui l'invite à l'y rejoindre. Mais pour l'instant, Maureen travaille comme personal shopper pour la top model Kyra Gelman afin d'économiser.


Ce boulot ne lui plait pas et quand elle rencontre Ingo, rédacteur en chef d'un magazine de mode et amant de Kyra, elle se voit proposer un poste dans ce mensuel. L'homme pense par ailleurs que Kyra va le quitter par peur que son mari ne découvre son infidélité. La nuit venue, Maureen retourne dans la maison de Lewis et cette fois elle assiste, terrifiée, à l'apparition d'une forme spectrale féminine qui quitte les lieux ensuite.


Malgré tout, Maureen, fidèle à sa promesse, décide de rester en Europe pour s'occuper de Kyra. Mais c'est alors qu'elle se met à recevoir des textos anonymes  l'interrogeant intimement. Elle se demande s'il s'agir d'un signe de Lewis...


C'est véritablement avec ce film-là que Kristen Stewart a commencé à me taper dans l'oeil, que j'ai compris qu'elle n'était pas comme les autres actrices. En y repensant, c'est assez curieux car, quand je la voyais sur des plateaux télé, je la trouvais agaçante, comme si elle minaudait ou se fichait ouvertement du monde. Ce dont elle finit par s'excuser dans une interview accordée durant la promo de Personal Shopper en expliquant à quel point Maureen était proche d'elle : farouche, timide, mal à l'aise.


Mais l'essentiel est ailleurs parce que, rétrospectivement, ce qu'on retient, c'est que c'est grâce non pas au cinéma américain, à un cinéaste américain, qu'elle a trouvé son premier vrai grand rôle. Ce bond en avant, elle le doit à Olivier Assayas, un des réalisateurs les plus ouverts qui soient, et qui a écrit ce film spécialement pour elle, après l'avoir dirigée dans le superbe Sils Maria, qui valut à Stewart le César du meilleur second rôle féminin.


Parfois, il suffit d'être au bon endroit au bon moment avec la bonne personne en somme. Et à l'évidence Assayas a vu chez Stewart quelque chose de spécial et a su le porter à l'écran. Ce quelque chose de spécial, c'est comment justement sublimer, transcender l'attitude farouche, mal à l'aise, timide de cette jeune femme de 26 ans à l'époque en un rôle de composition suffisamment puissant pour que le spectateur ne s'arrête pas/plus aux apparences et voit quelle grande actrice elle est.

Assayas a défini Personal Shopper comme un "film de fantômes". C'est exactement ça. L'héroïne, Maureen, est en deuil de son frère jumeau avec lequel elle partagent deux caractéristiques peu communes : une malformation cardiaque et un don de médium (entendre : la capacité à ressentir des présences surnaturelles). Au moment où le film débute, elle attend un signe de Lewis qui lui avait promis de le lui envoyer depuis l'au-delà.

Ne vous attendez pas à quelque chose de spectaculaire (même si la scène avec le spectre est tout de même assez scotchante). Le récit fonctionne sur la frustration de Maureen et celle du spectateur : on n'est pas à proprement parler dans un film fantastique, ou même horrifique, les effets spéciaux sont sobres et rares. Non, c'est davantage l'ambiance et la manière dont Maureen traverse les événements qui saisissent.

C'est dire si, en permanence, Assayas est sur la corde raide. Mais comme un équilibriste virtuose, jamais il ne tombe dans la caricature, le ridicule. Maureen s'accroche donc à un signe, même infime, et oublie complètement de vivre. D'ailleurs, son boulot de personal shopper, c'est-à-dire qui consiste à trouver des vêtements et accessoires pour une cliente fortunée (ici une top model capricieuse) dans des boutiques de luxe, la conduit à vivre en quelque sorte par procuration, à essayer ces habits, ces bijoux, etc. Quand bien même, si et parfois quand son employeuse l'apprend, elle le lui reproche (car évidemment, nul ne doit porter avant elle ces toilettes hors de prix).

Dans la deuxième partie du film, Maureen commence une étrange et flippante correspondance par sms avec un inconnu qui semble très bien la connaître et l'interroge de manière troublante. Notamment sur ce qu'elle désire mais s'interdit, comme justement d'être dans la peau de Kyra, la top model, en essayant ses vêtements. Ce correspondant la provoque et elle se laisse entraîner, enfilant des robes de grands couturiers, des chaussures, des bijoux. Se masturbant dans le lit de sa patronne. Jusqu'à ce que l'histoire bascule dans son dernier tiers dans une intrigue criminelle, après un meurtre particulièrement sanglant...

On pourrait croire qu'entre ses histoires de fantômes, de shopping, de textos bizarres, de meurtre, le film n'a aucune direction, part dans tous les sens. Il est indéniable que ce mélange, ces ruptures de ton sont d'abord déroutantes. Mais tout cela est tout de même cohérent. Maureen est toujours dans la peau d'une autre : c'est la soeur en deuil, l'employée, la correspondante, celle qui découvre un cadavre... Toutes ces situations la mettent en danger parce que sa malformation cardiaque est incompatible avec des émotions fortes. Et aussi parce qu'elle subit constamment les événements. Mais c'est un récit initiatique qui se dessine : celle d'une jeune femme qui aimerait être une autre, plus légère, plus heureuse, délivrée du poids du chagrin, des exigences d'une mannequin, des messages intrusifs d'un inconnu.

La réalisation ne quitte pas Kristen Stewart d'une semelle, elle est de tous les plans. Parfois dans des actions anodines, qui auraient pu être zappées, comme quand elle traverse Paris sur son scooter avec des sacs remplis de fringues. Sauf que non : ces plans ne sont pas inutiles, ils illustrent des passages, des transitions, des déplacements, préfigurant celui que devra accomplir Maureen pour se libérer.

Stewart exprime si bien cette jeune femme qu'on a du mal à croire qu'elle ne joue pas une partie d'elle-même, elle qui a été propulsée au rang de star grâce à la saga Twilight (2008-2012) et devenue une figure de la presse people, des tabloïds (pour sa romance avec son partenaire Robert Pattinson), et qui a ensuite consacré tous ses efforts pour s'en détacher, en s'engageant dans du cinéma indépendant, en assumant son homosexualité. Comme Maureen Stewart ne s'est pendant longtemps pas/plus appartenue, et elle aurait pu rester Bella Swan et devenir une has-been, prisonnière de l'image de l'adolescente amoureuse d'un vampire.

Grâce à Olivier Assayas, elle a échappé à ce destin tout tracé pour devenir une actrice captivante, fascinante, unique. Comme Maureen, elle a réussi à traverser tout ça. Personal Shopper est devenu une sorte de portrait de Kristen Stewart et est restée un de ses plus beaux rôles, dans une filmographie qui ne compte pas beaucoup de déchets.

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