dimanche 23 juin 2024

J.T. LEROY (Justin Kelly, 2018)


Savannah Knoop arrive à Los Angeles pour emménager chez son frère ainé, Geoffrey, musicien. Ce dernier vit avec Laura Albert, romancière et chanteuse, qui vient de publier "Sarah", un premier livre qui est un gros succès, inspiré de sa propre jeunesse. Elle y narre les abus sexuels qu'elle a subis, sa toxicomanie, son expérience de sans domicile fixe.


Mais Laura a signé son ouvrage sous le pseudo de J.T. (Jeremiaah Terminator) Leroy car elle refuse de s'exposer publiquement et tient à entretenir le mystère sur ce qui est vrai ou inventé dans ses écrits. Savannah décroche un job de serveuse dans un restaurant où elle rencontre Sean, un client, avec lequel elle entame une liaison. 


Geoffrey, lui, supporte mal le fait que Laura passe son temps pendue au téléphone à répondre à des interviews au lieu de se consacrer à leur groupe de rock. Laura a lors une idée extravagante : que Savannah personnifie JT Leroy en se faisant passer pour un garçon androgyne au passé trouble que les médias pourront enfin rencontrer tandis qu'elle incarnera son attachée de presse, Speedy.


Le subterfuge fonctionne au-delà des espérances de Laura mais elle veille au grain et contrôle chaque prise de parole, chaque apparition de sa créature, quitte à étouffer Savannah et à agacer les interlocuteurs de JT Leroy. Bientôt, Hollywood veut adapter son roman et l'actrice-réalisatrice Eve Avalon cherche à en acquérir les droits en séduisant Savannah/JT...
 

Chez nous, la plus grande (et plus belle) imposture littéraire a été celle imaginée par Romain Gary pour décrocher un second Prix Goncourt, après celui remporté en 1956 pour Les Racines du Ciel. Il signe en 1975 La Vie Devant Soi sous le pseudonyme d'Emile Ajar et demande à son petit-cousin, Paul Pavlovitch de jouer le rôle d'Ajar et le jury Goncourt lui décerne le Prix sans se doter de rien. La supercherie ne sera révélée qu'après la mort de Gary en 1980.


Aux Etats-Unis, l'affaire JT LeRoy a un retentissement quasiment équivalent au début des années 2000 après six ans à rouler dans la farine tout le milieu culturel et médiatique. Le film qui s'inspire de cette affaire est sorti après le documentaire qu'a consacré Jeff Feueirzeg sur cette histoire vraie. Des célébrités citées alors exprimèrent leur mécontentement d'être présentées comme les dindons de la farce (à l'instar de l'actrice-réalisatrice Asia Argento) quand d'autres prirent ça avec plus de détachement (comme Courtney Love, d'ailleurs présente dans le film qui nous intéresse aujourd'hui).


Si Romain Gary voulut mystifier le milieu littéraire, Laura Albert avait des motivations plus troubles et son stratagème finit par lui éclater à la figure et lui valut un procès en bonne et due forme. Quant à sa complice, Savannah Knoop, il est évident qu'elle a profité de ce film pour donner sa version de l'histoire puisqu'elle a co-écrit le script avec le réalisateur Justin Kelly.


Ci-dessus, de gauche à droite : Savannah Knoop/J.T. LeRoy, Geoffrey Knoop, Laura Albert.

Ce qui est le plus divertissant aussi bien dans le film que dans la véritable histoire, c'est à quel point une ruse aussi grossière ait pu tromper autant de monde, dans de telles proportions. Car le personnage de JT LeRoy et son incarnation étaient tellement grotesques qu'on a du mal à croire qu'il a fallu six années pour qu'on en démasque les auteurs/acteurs. Même si Albert et les Knoop se sont défendus d'avoir voulu arnaquer qui que ce soit, on peut penser que leurs manigances ont duré assez longtemps et leur ont rapporté assez d'argent pour être plus qu'un innocent amusement.

Malheureusement, il est des sujets parfois jubilatoires sur le papier qu'un metteur en scène est incapable de traduire à l'écran. C'est le cas de Justin Kelly qui n'arrive jamais à nous faire ressentir le vertige pathétique de cette affaire. Peut-être parce que, finalement, ce n'était pas un si bonne idée de l'adapter avec celle qui personnifia JT LeRoy. Peut-être, surtout, parce que Kelly ne parvient jamais à nous prouver à quel point tout cela relevait d'une imposture miraculeuse.

Le film met d'ailleurs franchement plus en avant Laura Albert que Savannah Knoop, alors qu'à mon sens, l'ensemble aurait gagné à être plus équilibré, pour ne serait-ce que montrer à quel point jouer quelqu'un qui n'existe pas mais qui est entièrement façonné, dirigé, muselée par un auteur peut être destructeur. Les quelques fois où Savannah se rebelle, excédée par l'emprise de Laura, sont trop estompées. Et Geoffrey apparaît également trop comme celui qui laisse faire, alors qu'il est profondément agacé par Laura et inquiet pour sa soeur.

L'autre erreur, à mon avis, est d'avoir changé les noms. Pourquoi avoir créé de toutes pièces cette Eve Avalon (par ailleurs parfaitement jouée par Diane Kruger), qui s'inspire ouvertement d'Asia Argento ? Par crainte d'un nouveau procès ? Si c'est le cas, c'est dommage car depuis la fille de Dario Argento a depuis elle-même eu maille à partir avec la justice (accusée de harcèlement sexuel). Idem pour Courtney Love qui joue ici Sasha, une productrice hollywoodienne : sa présence est sympathique, puisqu'elle a été dupée par JT Leroy, mais alors pourquoi ne pas directement lui avoir fait interprété son propre rôle ?

Le manque évident de moyens financiers d'un tel film l'empêche de lever le voile sur la folie médiatique née après l'apparition publique de JT Leroy et donc de reconstituer certaines scènes, de convoquer certains visages connus (en leur demandant d'apparaître ou en les faisant jouer par des comédiens). En l'état, on a surtout l'impression que cela ne s'est produit que dans des cercles restreints, auprès de quelques people, happy few.

Le dernière erreur, et c'est la plus exaspérante, a été de confier le rôle de Laura à Laura Dern, et non à Helena Bonham Carter comme c'était initialement prévu (tout comme Jim Sturgess a hérité du rôle de Goeffrey Knoop à la place du beaucoup plus charismatique James Franco). Dern est en totale roue libre et dès sa première scène, on sait déjà que ça va être pénible tout du long. Certes, elle ressemble physiquement à la vraie Laura Albert, mais il n'empêche, sa prestation est insupportable.

Qu'y a-t-il alors à sauver ? Hé bien, je ne l'ai pas fait exprès, même si en ce moment je me fais un petit cycle sur sa carrière, mais encore une fois Kristen Stewart. J'ai lu un article sur le site du magazine "Première" recensant ses meilleurs rôles (de Panic Room à Love Lies Bleeding). Et si JT Leroy n'y figure pas, c'est un oubli car elle est formidable. A bien des égards, cette composition synthétise beaucoup de la propre vie de Stewart, qu'on a souvent prise pour ce qu'elle n'était pas (une star de blockbusters avec la saga Twilight, une fille qui aimait les garçons alors qu'elle est homosexuelle - alors qu'ici elle joue une fille jouant un garçon - , une nana arrogante alors qu'elle est timide, une actrice moyenne alors qu'elle a prouvé l'étendue de son registre). Elle est une fois de plus bluffante dans ce film, ce rôle, auquel elle donne à la toute fin un éclat malicieux après le malaise ambigu qu'elle subit durant la majeure partie de l'histoire.  

Comme je le dis plus haut, parfois il y a des histoires trop fortes pour certaines cinéastes. Et des actrices trop grandes pour le film dans lequel elle joue. Cela résume ce qu'est JT Leroy pour Justin Kelly et Kristen Stewart pour ce film.

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