vendredi 21 juin 2024

SEBERG (Benedict Andrews, 2019)


Mondialement connu pour ses rôles dans Bonjour Tristesse, Jeanne d'Arc et A Bout de Souffle, Jean Seberg rentre en 1968 aux Etats-Unis tourner La Kermesse de l'Ouest de Joshua Logan avec Lee Marvin. Elle a laissé à Paris son mari, l'écrivain Romain Gary, et leur fils Diego.


Dans le vol pour Los Angeles, elle assiste à un esclandre entre un passager noir, qui réclame une place en première classe pour la femme qu'il accompagne, la veuve du leader noir activiste Malcolm X, et une hôtesse de l'air qui lui commande de rester à sa place. Jean s'interpose, proposant de payer pour ce que réclame l'homme. A leur descente d'avion, elle remarque qu'il est attendu par des photographes en compagnie de membres des Black Panthers et, contre l'avis de son agent, elle va poser à leurs côtés.


La scène ne passe pas inaperçue pour Jack Solomon et Carl Kowalski, deux agents du F.B.I., qui surveillent l'homme et identifient l'actrice. Renseignant leur supérieur, ils reçoivent l'ordre de suivre Jean pour savoir si elle est liée aux Black Panthers et l'homme, Akim Jamal. Le soir même, elle va en effet frapper à sa porte pour lui proposer de financer l'organisation. Ils finissent la nuit ensemble, bien qu'ils soient tous les deux mariés.


Un ordre venu d'en haut ordonne alors de se servir de cette liaison pour discréditer Jamal auprès des Black Panthers, qui ne lui pardonneront pas de coucher avec une blanche, et Jean, dont le public refusera de la soutenir car elle couche avec un "nègre"...


La vie de Jean Seberg est une des histoires les plus tristes qui soient. Celle qui était surnommée "la petite fiancée de l'Amérique", révélée à 19 ans par Otto Preminger dans son film Jeanne d'Arc puis devenue l'égérie de la Nouvelle Vague en France dès la sortie de A Bout de Souffle de Jean-Luc Godard, est morte à 40 ans dans sa voiture, après dix jours sans donner de nouvelles d'elle, probablement d'une overdose.
 

Ce film de Benedict Andrews n'est pas à proprement parler un biopic, il ne couvre pas toute l'existence et la carrière de l'actrice mais principalement trois années décisives, de 1968 à 1971, quand elle a fait son retour sur les plateaux de tournage hollywoodiens et a commencé à soutenir le mouvement des Black Panthers contre la ségrégation raciale et pour la lutte pour les droits civiques des noirs américains.


Cet engagement, le film le montre très bien, a coûte très cher à Jean Seberg puisque, en devenant la maîtresse du militant Akim Jamal et un des mécènes des Black Panthers, elle est devenue la cible d'une campagne de persécution orchestrée par le FBI, alors dirigé par le terrifiant J. Edgar Hoover. 

Le scénario écrit par Joe Schrapnel et Anna Waterhouse est découpé en deux parties assez distinctes et suit de manière quasiment égale les parcours de Jean Seberg et de l'agent Jack Solomon. Dans un premier temps, l'actrice est présentée comme une femme qui cherche à donner un second souffle à sa carrière et prend conscience de l'activisme dans son pays natal. De son côté, Solomon est un fonctionnaire du renseignement qui se montre très professionnel et convainc sa hiérarchie de surveiller l'actrice pour mieux suivre Akim Jamal.

Sans perdre son temps, le récit montre la liaison entre Seberg et Jamal et il est bon de la replacer dans le contexte de l'époque : Jean Seberg est une belle femme blanche qui couche avec un "nègre" dont le mouvement appelle à l'insurrection civile. En 1969, alors que la guerre du Vietnam est déjà un bourbier, que les frères Kennedy et le pasteur Luther Ling ont été assassinés, un tel couple, qui plus est adultérin, puisque tous deux son mariés chacun de leur côté, est scandaleux.

Mais pour le FBI, qui traque les communistes, les homosexuels, les noirs, bref tous les éléments de la société qui refusent d'être alignés, c'est de la dynamite. Il ne faudra pas bien longtemps pour décider su sort à leur réserver car Jamal peut porter préjudice à Seberg comme Seberg à Jamal.

Lorsque leur romance est rendue publique, le film bascule dans sa seconde partie, réellement cauchemardesque. Solomon s'oppose d'abord mollement à cette manipulation puis se rend compte des ravages que cela va causer. Lorsque sa femme découvre les clichés qu'il a pris de Seberg lors de sa surveillance, elle se méprend d'abord, connaissant mal l'actrice elle croit qu'il l'a trompe. Il lui révèle péniblement la vérité sur son métier et ce qu'il a contribué à déclencher. Le réflexe de l'épouse est de le convaincre de demander un changement d'affectation. Mais il est trop tard.

Solomon sait que ce qui va suivre sera terrible. Et ça le sera en effet. Jamal est effectivement ostracisé dans son propre mouvement. Romain Gary, le mari de Jean, encaisse la trahison de cette dernière mais craint pour leur sécurité, à elle, à lui et pour leur fils Diego. Il la supplie d'arrêter de soutenir les Black Panthers, de rentrer avec eux à Paris, pour éviter d'être littéralement crucifiée, broyée par la machine. Elle refuse d'abord. Puis ce sera le drame : une tentative de suicide, la mort d'un bébé, la paranoïa permanente, l'alcool, les calmants... Elle ne tournera plus jamais en Amérique mais continuera à aider les Black Panthers depuis la France, jusqu'à ce que Gary la quitte...

Si le script ménage un peu trop Akim Jamal, dont on sait qu'il a beaucoup profité de Jean Seberg, alors qu'il est ici montré sous un jour plus avantageux, plus flatteur, en revanche le calvaire de cette dernière est atroce. On ne peut que compatir. La mécanique impitoyable du FBI est détaillée et le spectateur peut se rendre compte que Seberg a été un instrument pratique pour le Bureau. Je n'en sais pas assez sur le rôle éventuel de Solomon, qu'on voit tenter in fine de se repentir, ou du moins de s'excuser, mais je serai étonné que cela se soit produit de manière aussi franche, aussi sincère.

Le film doit énormément en tout cas à son casting : d'abord avec des seconds rôles nombreux mais bien caractérisés et interprétés par Vince Vaughn (absolument odieux), Margaret Qualley, Yvan Attal (très bien en Romain Gary), Zazie Beetz. En première ligne, Anthony Mackie est exemplaire dans la peau de Jamal, quand bien même le personnage était beaucoup moins aimable. Jack O'Connell est remarquable dans le costard de Jack Solomon, gagné par un trouble puis un malaise grandissant. Et enfin Kristen Stewart est juste exceptionnelle : elle ne ressemble pas à Jean Seberg, mais produit une composition qui ne sombre jamais dans l'excès, le surjeu. C'est vraiment une actrice phénoménale quand elle dispose d'une telle partition, d'une séduction insensée, et transmettant une émotion vibrante.

Alors que va bientôt sortir en salles Maria (au sujet de Maria Schneider, autre figure du cinéma des années 60-70, brûlée sur l'autel de la gloire), se souvenir de Jean Seberg, à l'heure où #metoo commence enfin à faire effet en France, est d'autant plus poignant.

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