dimanche 9 juin 2024

MISANTHROPE (Damian Szifron, 2023)


Baltimore. La nuit du Nouvel-An. Un sniper abat 29 personnes sur les toits d'immeuble alors qu'ils étaient en train de fêter le passage à la nouvelle année. Pour couvrir les détonations, il se sert de l'explosion des feux d'artifice. La police est débordée jusqu'à ce qu'un signalement provienne d'un bâtiment. L'agent en patrouille Elenaor Falco se rend sur place et inspecte un appartement où il y a eu une victime. Un expert en balistique arrive ensuite et détermine l'angle de tir, pointant un building en face au 17ème étage.


Elenaor se précipite lorsqu'une déflagration au 17ème étage provoque un mouvement de panique et que les habitants sortent, affolés. Elle a la présence d'esprit de filmer tous ces gens qui fuient au cas où le sniper se trouverait parmi eux. Les pompiers pénètrent dans l'immeuble et Eleanor les suit avec le S.W.A.T. (Special Weapons And Tactics). L'appartement présumé du tireur est désert mais complètement dévasté. Le FBI rejoint tout ce beau monde et l'agent Lammarck réunit les forces de police au commissariat central pour déclencher la chasse à l'homme.
 

Le lendemain, Elenaor est convoqué par Lammarck à qui il présente son second, Jack McKenzie, et à qui il demande de devenir l'agent de liaison entre le Bureau et la police de Baltimore. Un premier rapport tombe : l'explosion dans l'appartement a été provoquée par une grenade et une fuite de gaz, les tirs proviennent d'un fusil automatique de l'armée mais retiré du service depuis 40 ans. La police lance un appel radio : un suspect a été localisé. Lammarck, McKenzie et Falco se rendent sur place - fausse alerte : le jeune homme retranché chez lui se suicide et aucune arme n'est retrouvé à son domicile.


Le lendemain, nouveau drame : le tueur commet un massacre dans la galerie marchande d'un hypermarché. Mais les caméras de surveillance l'ont filmé en train de se débarrasser de ses habits, bien qu'on ne voit pas son visage. La mairie s'impatiente, la pression est mise sur Lammarck dont le recrutement de Elenaor pose problème à cause de ses antécédents psychologiques. Il va être déssaisi du dossier...
 

Voilà une excellente surprise, et pas seulement parce que, encore une fois, le titre en vf est celui prévu initialement par les scénaristes (Damian Szifron, également réalisateur du film, et Jonathan Wakehan), stupidement rebaptisé To Catch a Killer par les producteurs.


Vous avez peut-être remarqué que, souvent, pour attirer l'attention du public, les publicistes résument l'histoire avec une formule qui mentionne d'autres oeuvres. C'est un moyen de solliciter la mémoire collective des spectateurs et de rendre l'objet plus familier, même si ces raccourcis peuvent être tirés par les cheveux. Dans le cas de Misanthrope, on pourrait dire ainsi que c'est "Seven rencontre Les Dents de la Mer."
 

Seven parce qu'il est question d'un tueur (mais un serial killer) insaisissable. Les Dents de la Mer parce que la psychose qui gagne Baltimore à la suite de deux tueries provoque les mêmes réactions dans la population et les officiels. L'homme chargé de résoudre l'affaire en arrêtant le tueur est également un agent en fin de carrière à qui personne ne fait confiance et qui s'entoure d'adjoints discutables (et discutés) mais correspondant à ses méthodes peu orthodoxes.

Le sniper de Misanthrope est comme le requin du chef d'oeuvre de Steven Spielberg : on ignore constamment quand il va frapper et cette imprévisibilité le rend aussi menaçant que l'animal. On ne sait pas jusqu'au bout quel est son mobile (et bien entendu, je ne vais pas vous le révéler, mais c'est atypique).

Pourtant, ne nous y trompons pas, le vrai héros de ce film n'est pas l'agent Lammarck mais une jeune agent de police, Elenaor Falco. Le personnage est fortement caractérisé : elle a candidaté pour entrer au Bureau mais a échoué à cause de son attitude jugée peu sociable et surtout à cause d'une tentative de suicide (dont elle garde la trace sur ses poignets). Elle a intégré la police pour reprendre sa vie en main mais ne fait que surnager - d'ailleurs, on la voit souvent pratiquer des longueurs dans une piscine sur son temps de repos (pas super subtil, je vous le concède, mais limpide).

Si elle attire l'attention de Lammarck, c'est surtout parce qu'elle a une théorie sur le tueur : il ne cible personne, il considère ses victimes comme des "moustiques", il tue comme un toxico, pour l'adrénaline, pour se faire un fix, jusqu'à la prochaine dose. Par ailleurs, quand elle est arrivée en bas de l'immeuble où il a tiré la première fois, elle a eu le réflexe de filmer les habitants qui en sortaient au cas où il se serait mêlé à eux. Alors que le FBI accumule les rapports, collecte les indices, Elenaor, elle, cherche d'abord à comprendre, à chercher dans les angles morts, à se concentrer sur les détails (par exemple, comment retrouver un fusil employé par l'armée mais retiré de la circulation depuis 40 ans).

Le trio qu'elle forme avec Lammarck, qui joue sa place et sa réputation, et McKenzie, qui est surtout un homme de terrain, d'action, de soutien, agit comme une cellule miniature quand le reste des forces de l'ordre est un essaim, une ruche, et que le maire songe d'abord à préserver son image auprès de ses électeurs en les rassurant. Lorsque Lammarck se voit retirer l'affaire, c'est attendu, prévisible - il le reconnaît lui-même, il est un fusible.

Pourtant, alors que le film pourrait s'arrêter là, ou continuer avec d'autres personnages, ou montrer le trio observant les enquêteurs qui les remplacent, le scénario rebondit de manière inattendue et intelligente jusqu'au dénouement, intense et cruel à la fois. C'est là vraiment que Misanthrope gagne à être vu et distingué, par cette capacité à poursuivre son intrigue et la rigueur de sa réalisation.

Aussi pour son casting car Damian Szifron a préféré s'appuyer sur trois interprètes principaux qui ne sont pas des vedettes mais des acteurs résolus à défendre leurs personnages. Jovan Adepo est l'archétype de la force tranquille, peut-être le moins spectaculaire des protagonistes mais aussi celui qui empêche tout le monde de partir en vrille. Ben Mendelsohn est remarquable en type usé (malade du coeur, malade de sa hiérarchie) mais tenace. Enfin, Shailene Woodley effectue un comeback retentissant : celle qui fut révélée par la saga Divergente puis The Spectacular Now avait disparu des écrans, accaparée par ses actions militantes en faveur de l'écologie et des natifs américains (ce qui a dû lui porter plus de tort que de respect à Hollywood). Ici, elle joue cette jeune flic aux prises avec ses vieux démons et compose son rôle avec une intensité formidable, sans surjouer, sans maquillage non plus. Cette mise à nu lui va bien et rappelle son talent sous-exploité.

Si vous êtes passé à côté de ce polar électrisant, corrigez ça, vous ne le regretterez pas.

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