mardi 4 juin 2024

SICARIO (Denis Villeneuve, 2015)


Chandler, Arizona. Un raid du F.B.I. est lancé dans une planque du cartel de Sonora. Les agents Kate Macer et Reggie Wayne y découvrent des dizaines de cadavres en état de décomposition emmurés. A l'extérieur, deux policiers trouvent une trappe dans le garage et déclenchent une explosion qui leur coûte la vie.
 

Suite à cette opération, Kate est recommandée par ses supérieurs pour intégrer une force d'opération conjointe entre les Etats-Unis et le Mexique sous les ordres de l'agent de la C.I.A. Matt Graver et d'un ancien procureur mexicain, Alejandro Gillick. Leur mission : débusquer Manuel Diaz, bras (droit du baron de la drogue Alfonso Alcaron.


L'équipe est composé de soldats de la Deltaa Force, d'agents de la CIA, de marshalls américains et de forces de l'ordre mexicaines, et se rend à Juarez au Mexique pour extrader Guillermo Diaz, le frère de Manuel. En repassant la frontière, le convoi est pris dans une embuscade menée par les hommes de Diaz et une fusillade éclate. Kate, dans le feu de l'action, abat accidentellement un agent fédéral. 


De retour à leur base, Matt et Alejandro interrogent et torturent Guillermo qui leur révèle l'emplacement d'un tunnel près de Nogales qui sert à faire passer de la drogue aux Etats-Unis. Kate, de plus en plus perplexe, confronte Matt pour connaître son rôle dans tout ça et il lui révèle que leur véritable objectif est de frapper un grand coup en ciblant Alcaron. Elle accepte de poursuivre la mission mais demande à ce que Reggie la rejoigne en appui qui se demande ce qui se passera une fois Alcaron détrôné...


Après avoir écrit sur Wind River, je me suis dit que j'avais bien envie de revoir Sicario (et peut-être d'enchaîner avec sa suite ou Comancheria), histoire d'analyser le travail de scénariste de Taylor Sheridan. La première fois que j'ai vu Sicario, j'avais été très impressionné mais j'ignorai alors tout du reste de l'oeuvre de Sheridan.


En revanche, j'en savais un peu plus sur Denis Villeneuve, le réalisateur, puisque j'avais été bluffé par Prisoners et ensuite par Blade Runner 2049 (mais je n'ai toujours pas trouvé la motivation nécessaire pour me pencher sur Dune 1 et 2). Pour résumer : Sicario a très bien vieilli et figure en bonne place dans ce que Sheridan comme Villeneuve ont fait.


Dans Sicario (comme à Wind River), il y a dans l'histoire qu'il raconte au moins un personnage qui est comme nous, c'est-à-dire qui intègre les événements en même temps que nous, qui n'a pas un temps d'avance sur ce qui se passe. C'est par ses yeux qu'on voit ce qui se passe. Ici, sans Sicario, c'est l'agent du FBI Kate Mercer.

Pendant la quasi intégralité du film, on sent comme elle que quelque chose ne tourne pas rond dans cette affaire, qu'on (soit Matt Graver et Alejandro Gillick) nous cache des choses, qu'on la manipule. Quand elle pose des questions, on lui dit d'observer (donc de la fermer et de suivre le mouvement). Et quand, excédée, à la fin, elle sort des rails qu'on lui a indiquée de suivre, elle est brutalement remise à sa place parce qu'elle menace alors de dénoncer les méthodes employées, leur illégalité.

Le risque avec ce type de narration, c'est que le spectateur (comme le lecteur d'un roman) peut perdre patience. Mais si on joue le jeu, si on accepte d'être embarqué, alors la récompense est au bout du chemin parce qu'alors on se rend compte que ce qu'on nous a cachés prend effectivement une dimension qui nous dépasse, contre laquelle on ne peut rien, mais qui est (peut-être) plus efficace à grande échelle.

Et c'est le cas dans Sicario : Kate Mercer est inquiète, fébrile, énervée, excédée, en colère, frustrée, puis résignée et lucide. Oui, on l'a utilisée, on l'a abusée, mais non, elle n'aurait rien pu y faire de toute façon. Elle a été un pion dans une partie d'échecs jouée par des maîtres plus vicieux qu'elle. Au départ, elle a voulu en être, convaincue que c'était dans l'intérêt supérieur. A la fin, elle se rend compte qu'on l'a menée en bateau, mais finalement elle est plus en colère contre elle-même, contre le fait de ne pas l'avoir senti, deviné, compris plus tôt que contre le fait que ça s'est passé. Elle n'a jamais été aux commandes, elle ne l'était déjà pas avant. On l'a prise pour ce qu'elle est : un soldat. Et un soldat exécute les ordres, soutient les autres soldats, participe au combat : il ne planifie pas la bataille.

Denis Villeneuve est un réalisateur avec le sens de l'espace : souvent il s'autorise de longs plans vus du ciel pour montrer des routes, des étendues désertiques, la nature hostile, dangereuses, des villes avec leurs bidonvilles, des routes embouteillées. Cette insistance à topographier l'action est une manière de dire, sans mots, tout en images, que, comme pour Kate, les enjeux nous dépassent, le champ d'action est démesuré.

Idem quand il s'engage dans des scènes d'action : il alterne plans larges et serrés, sans transition, donc rarement des plans moyens. Ainsi il impose dès la réalisation une sorte de montage organique, qui adopte la façon d'écrire de Sheridan où l'action  toujours, précède la révélation, au point que la révélation est d'abord communiqué au spectateur avant de l'être aux héros. Ici, par exemple, dans la scène d'ouverture, on suit un raid dans une maison. Kate manque de peu d'être fauchée par un tir de fusil automatique avant d'abattre le tireur. Puis Reggie, son binôme, remarque alors l'impact fait par une des balles du fusil dans un mur et ce trou lui montre quelque chose d'intriguant. Il arrache des pans de la cloison et découvre alors de cadavres emmurés. Action, révélation. Les agents du FBI ignoraient ce qu'ils allaient trouver dans cette maison - sans doute plutôt de la drogue, mais sûrement pas des cadavres emmurés.

Et alors qu'on croit que le pire a été révélé dans cette maison, une explosion terrible a lieu. Le garage attenant cachait une bombe destinée à effacer ces horreurs et peut-être d'autres éléments en cas de découverte par les autorités. Cette fois, c'est plus suggéré qu'avéré, mais ça revient au même : les héros ne savaient pas pour cette bombe et on été surpris, pris en défaut. Ce n'est qu'en introduisant Matt Graver et Alejandro Gillick que Sicario entraîne Kate (donc nous) dans quelque chose de plus grand et complexe. Et là pour le coup, non seulement, le but est de nous surprendre, mais même carrément de nous perdre.

Les rôles de Graver et Gillick ont été confiés à deux acteurs parfaits pour les incarner : Josh Brolin, odieux en macho sournois, et Benicio del Toro, impressionnant en loup solitaire et ombrageux (le comédien espagnol domine de la tête et des épaules tout le film par son charisme). Daniel Kaluuya est excellent également en agent qui sent que tout ça n'est vraiment pas réglo. Jon Bernthal, toujours dans les bons coups, est flippant en ripou.

Après, je ne veux pas avoir l'air de m'acharner sur elle, mais j'ai été moins convaincu par Emily Blunt. Certes elle joue très bien la tension, l'inquiétude. Mais je ne la trouve pas super crédible en agent du FBI décrite comme toujours la première à s'engager dans une fusillade. Physiquement déjà, elle ne paraît pas s'être entraînée pour le rôle comme le serait une telle femme d'action. Ensuite, sa composition manque cruellement de présence face à des interprètes sûrs d'eux comme Kaluuya, Brolin et surtout del Toro. Il y a quelques années, Jodie Foster aurait été impeccable pour ce personnage par exemple, avec son air buté et futé. Mais Blunt n'est vraiment pas du même bois que Foster.

Ce bémol mis à part, Sicario est un très grand film, et confirme à la fois le talent de Denis Villeneuve et surtout celui de Sheridan.

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