mercredi 19 juin 2024

BLUE & COMPAGNIE (John Krasinski, 2024)


Bea, 12 ans, emménage chez sa grand-mère Margaret pendant que son père, hospitalisé, attend d'être opéré du coeur. Elle a perdu sa mère d'un cancer quelques années plus tôt et s'agace des pitreries de son paternel, insistant sur le fait qu'elle n'est plus une enfant et qu'elle peut supporter la situation.


Un soir, elle surprend le voisin du dessus avec une fillette et les suit jusqu'à une maison où ils s'introduisent dans une maison et la chambre d'un enfant. Quand Bea en voit sortir une énorme créature velue et bleue, elle s'évanouit.
 

Lorsqu'elle revient à elle, elle est dans l'appartement de Calvin, le voisin qui habite l'étage au-dessus de sa grand-mère, veillée par la créature violette, Blue, et Blossom, une fillette tout droit sortie d'un dessin animé. Calvin lui explique que ce sont des amis imaginaires à qui il essaie de trouver un enfant depuis que leurs propriétaires d'origine les ont oubliés.


D'abord méfiante et hésitante, Bea va accepter d'aider Calvin et ses amis qui, en attendant d'être casés, ont trouvé refuge dans une foire foraine abandonnée...


Si vous êtes diabétique, cynique ou si vous êtes à ce point fan de Monstres et Cie, ne lisez pas la suite et n'allez pas voir IF (pour Imaginary Friends, en vo). Ce n'est tout simplement pas fait pour vous. Est-ce que c'est fait pour moi ? En tout cas, j'ai été assez curieux et ouvert d'esprit pour tenter l'expérience.
 

John Krasinski a été révélé par la série humoristique The Office (2005-2013). Ce n'est pas être injuste de dire que sa carrière n'a jamais décollé depuis au cinéma. Il a incarné l'espion Jack Ryan dans la série télé du même nom de 2018 à 2023. Mais il surtout concentré ses efforts dans le domaine de la réalisation à partir de 2016 (La Famille Hollar) et surtout 2018 (avec le premier volet de la franchise qu'il a créée : Sans un Bruit).


Fort du succès de ce dernier opus et de sa suite, Krasinski s'est trouvé face à ce qui travaille tous les cinéastes : que faire après ? Continuer à exploiter un filon ? Ou tenter autre chose ? Le mari de l'actrice Emily Blunt a décidé de changer de direction pour s'adresser à un public familial avec Blue & Compagnie.

Le thème des amis imaginaires a souvent été exploré au cinéma et Pixar en a même tiré un de ses chefs d'oeuvre, Monstres et Cie. On ne peut pas ne pas le citer après avoir vu Blue & Compagnie, ne serait-ce que pour l'apparence de Blue, ce monstre aussi énorme que gentil, qui ressemble tant à Sullivan. Evidemment, ce n'est pas un bon point pour le scénariste-réalisateur Krasinski qu'on peut facilement accuser d'avoir allègrement pompé la concurrence.

C'est d'ailleurs tout le problème du film : son histoire est cousue de fil blanc, sirupeuse jusqu'à l'écoeurement, prévisible. On voit tout venir à des km, si bien qu'au moment d'en rédiger la critique, on se demande ce qui peut encore relever du spoiler car c'est comme si on agitait en permanence une pancarte devant le spectateur en lui demandant s'il avait deviné ce qui allait se passer ou qui est réellement quel personnage.

La volonté de Krasinski de s'adresser à un jeune public est louable et il n'y a pas lieu de la moquer. Puisque c'est dans le cahier des charges, dans l'intention originale de l'auteur. Mais par contre on peut se demander au-delà de quel âge les grosses ficelles du film fonctionnent encore. Et là c'est un souci parce que, à part les tous petits, j'ai bien peur qu'on atteigne la limite. L'héroïne, avec ses douze ans, me paraît déjà trop vieille pour ça.

Si vous êtes attentif, au début du film, on voit passer à la télé un vieux film méconnu, Harvey, de henry Koster (1950), dans lequel James Stewart incarne Elwood, un quadragénaire, affirme avoir pour ami imaginaire un lapin, ce qui ruine sa vie sociale et pousse sa soeur à le faire interner. C'est un film absolument divin, avec Stewart dans un rôle impossible mais qu'il réunit à jouer avec sa subtilité habituelle, touchant, drôle. En somme tout ce que voudrait être Krasinski ici.

Mais IF n'arrive jamais à la cheville de Harvey. Pour plein de raisons. La première est d'ordre esthétique : créés en images de synthèse, les amis imaginaires manquent cruellement de ce qui les rendraient attachants. Si Jim Henson, le créateur du Muppets Show, ou Michel Gondry ou Spike Jonze (qui avait si bien réussi Max et les Maximonstres avec des créatures confectionnées "en dur") s'étaient occupés de mettre en scène cette histoire, le résultat aurait été tout autre, peut-être moins beau, moins fluide, mais plus naturel, moins artificiel. Ce look "pixarisé" est devenu insupportable pour moi, c'est aseptisé au possible, et ça ne fonctionne absolument pas dans ce mélange d'animation et de prises de vue réelles (Blossom par exemple aurait gagné à n'être pas dessiné en 3D car elle provient d'une époque, celle de la grand-mère de Bea, où cela n'existait pas).

La seconde raison tient à son casting : la petite Cailee Fleming est choupinette mais elle minaude tellement qu'elle ne transmet aucune émotion. Elle est fade au possible. C'est sans doute rude de qualifier ainsi une jeune actrice mais elle traverse chaque plan de manière transparente. A ses côtés, Ryan Reynolds a une partition tellement misérable qu'on a de la peine pour lui : voilà un comédien qui n'a objectivement rien de génial, mais un capital sympathie indéniable et un vrai sens de l'auto-dérision. Si seulement Krasinski l'avait laissé participer à l'écriture (ce que Reynolds fait très bien par ailleurs), son film aurait gagné en fantaisie et en humour au lieu de se complaire dans le lacrymal. Et par pudeur, je ne vous parlerai pas du gâchis d'employer la grande Fiona Shaw dans le rôle de la grand-mère : c'est tellement mal torché que c'en est risible (elle passe la majeure partie du film endormie devant sa télé, et quand elle est réveillée, son personnage ne s'inquiète jamais de voir sa petite fille sortant toute la nuit - à 12 ans ! - ni passer son temps chez le voisin).

Ne vous laissez pas appâter par les voix prestigieuses des amis imaginaires (en vo : Steve Carrell, George Clooney, Matt Damon, Awkwafina, Pheobe Waller-Bridge, Bradley Cooper, Blake Lively, Emily Blunt...). Krasinski a un beau carnet d'adresses et une jolie petite idée, mais c'est bien tout.

Tout ça, au fond, ne nous renseigne que sur une chose essentielle : Sans un Bruit était une idée maline, mais Krasinski ne paraît pas en avoir d'autres, au moins pour l'instant, d'aussi bonnes. Je disais qu'il ne fallait pas être diabétique, cynique et fan de Monstres et Cie pour voir Blue & Compagnie (parce que trop sucré, trop gnan-gnan, trop copié sur Pixar). J'ajouterai surtout qu'il ne faut pas y emmener les enfants : ils méritent mieux (tout comme nous, adultes).

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