samedi 4 octobre 2025

VOTEZ McKAY ! (Michael Ritchie, 1972)


Après la défection du candidat Démocrate dans la course à l'élection sénatoriale de Californie, Marvin Lucas, consultant politique, doit lui trouver un remplaçant pour affronter le sortant Républicain, Crocker Jarmon, en poste depuis 18 ans et toujours aussi populaire. Il se tourne du côté d'un ami qu'il a eu à l'université, l'avocat Bill McKay, dont le charisme peut faire l'affaire, même s'il est brouillé avec son père, John J. McKay, ancien gouverneur de l'Etat.


Bill accepte le marché que lui propose Marvin : il pourra faire campagne en disant ce qu'il veut puisque Jarmon est imbattable. Séduit à l'idée de répandre ses valeurs, il se lance donc dans la course et est investi sans problème par le parti Démocrate où il s'est inscrit entre temps. Toutefois son enthousiasme est douché quand les derniers sondages parus le donnent non seulement battu mais écrasé. Le parti s'y attendait mais refuse d'être humilié et Bill doit modérer son discours pour plaire davantage.


Bill, flanqué d'un cabinet de campagne que dirige Marvin, sillonne l'Etat mais son message, au début radical et sincère, devient de plus en plus aseptisé. Il tourne des clips dans lequel ses idéaux sont morcelés. Pourtant l'opinion change positivement à son sujet. Il lui faudrait à présent se réconcilier avec son père dont l'influence est encore grande et dont l'absence à ses côtés passe pour un soutien implicite à Jarmon...


The Candidate (en vo) était le film préféré de Robert Redford dans toute sa filmographie. Sans doute parce qu'il a pu y exprimer ses convictions politiques tout en racontant lucidement comment le système politique aboutit à faire en sorte qu'un homme ne doit pas dire ce qu'il pense mais dire ce que les électeurs veulent entendre pour lui confier des responsabilités.


De ce point de vue, le marketing du film, lors de sa sortie, illustrait de façon presque méta textuelle cette manipulation de l'opinion puisque Votez McKay ! (en vf) fut vendu comme une comédie satirique et que l'affiche montrait d'ailleurs le héros, Bill McKay, en train de faire une bulle avec un chewing gum comme si tout ça n'était pas très sérieux.


Au début du film, McKay nous est présenté comme un homme immédiatement séduisant, pas seulement physiquement, mais moralement : il est avocat mais à l'aide juridique, il défend donc des gens sans moyens et priorise la justice à la loi. C'est aussi un bon mari, qui vit avec une très belle femme qui le soutient absolument, et entouré d'une équipe de fidèles.


Si on fait alors un saut dans le temps, Bill McKay est le Robert Redford de la série Watchmen de Damon Lindelof (2019) dans lequel il était devenu le 39ème Président des Etats-Unis, modèle de probité dans un monde bien déréglé, au point qu'il en était déjà à son quatrième mandat d'affilée. Lindelof avait d'ailleurs demandé son approbation à l'acteur (qui l'a lui avait donné, mais avait refusé d'apparaître dans un épisode).

Revenons en 1972 (même si on ne va pas quitter pour autant l'époque actuelle). Le film a été conçu dans l'urgence : Redford voulait absolument le sortir avant les élections présidentielles de 1972 dont Richard Nixon, candidat Républicain, était l'archi-favori pour un second mandat. Troublant quand on sait que Redford jouera ensuite Bob Woodward dans Les Hommes du Président, récit de la chute de Nixon suite au scandale du Watergate.

Jeremy Larner, le scénariste, fut rédacteur de discours et écrivit le script en trois mois, avec l'aide de Robert Towne (même s'il n'est pas crédité au générique). Il connaissait donc parfaitement son sujet, tout le réalisateur Michael Ritchie qui venait du documentaire et avait couvert les élections présidentielles de 1968.

A eux deux, ils ont su retranscrire l'espèce d'hystérie que représente une campagne électorale. Souvent les dialogues se chevauchent, la caméra est très mobile, on se croirait presque dans un reportage, avec des figurants qui n'étaient pas des comédiens professionnels mais des anonymes présents sur les décors extérieurs où avait lieu le tournage.

Même quand le film se concentre sur les réunions, avec le casting "normal", il conserve cette véracité et cette fièvre. Tout va très vite, c'est un tourbillon. Et quand ça se calme, ce qui est décrit, montré, n'est pas forcément flatteur, même avec un héros Démocrate et intègre comme Bill McKay. La communication, déjà en 72, prend une place prépondérante, aux dépens des convictions et de la sincérité.

Ainsi, donc, on passe d'un candidat choisi pour perdre en beauté à un prétendant sérieux à la victoire, mais au prix de compromis incessants, de sollicitations permanentes, de frustrations croissantes, et de résignation quasi-complète. Il est même suggéré que McKay entretient une liaison avec une de ses supportrices, qui lui glisse à plusieurs reprises un mot à l'oreille et dont il prend soin que cela reste discret.

L'impact est aussi considérable dans le couple McKay : sa femme, Nancy, est prête à lui apporter toute l'aide nécessaire, mais quand elle accepte de poser pour un magazine en croyant lui faire plaisir et qu'il rentre chez eux en trouvant une équipe de reporters dans leur salon, il annule tout et rappelle à l'ordre son épouse sur ce spectacle, avant de s'excuser de l'avoir fait pleurer.

Le personnage du père McKay est aussi fort bien caractérisé : ex-gouverneur encore influent, il est brouillé avec son fils qui ne veut pas être accusé d'être pistonné et dont on devine qu'il ne partage pas les opinions de son paternel. Mais quand l'absence sur la photo de ce géniteur gênant suggère qu'il soutient le rival Républicain, alors Bill cède et lui demande de le rejoindre.

Marvin est très finement établi dans l'histoire : initialement il recrute Bill pour perdre, croyant que Jarmon est imbattable. En laissant Bill dire ce qu'il veut durant sa campagne, il espère juste déstabiliser le Républicain. Bill, autrement dit, ne prêche que pour des convaincus, des acquis à sa cause. Mais son discours commence à prendre, surtout dans la classe populaire (déjà négligée, avant d'être abandonnée par les Démocrates).

Voyant que son candidat peut peut-être créer la sensation, Marvin reprend les choses en main et polisse les propos de Bill, afin d'élargir son socle. C'est alors que tout s'emballe. Il ne s'agit plus de perdre, mais bien faire perdre des voix à Jarmon, puis de gagner contre lui. On peut juger que McKay se laisse un peu trop facilement faire, lui qu'on a d'abord introduit comme un libre penseur...

Et puis, lors d'un débat entre McKay et Jarmon, au terme duquel ils n'ont fait qu'effleurer les sujets, sous les yeux ravis de leurs conseillers respectifs, Bill doit conclure en une minute de libre expression. A ce moment, las ou irrité, il sort des clous, du scénario qu'on lui a écrit, et redit tout ce qu'il pense et a tu. Les conseillers voient rouge. Pourtant, c'est le tournant de sa campagne, où il renoue avec lui-même et convainc les électeurs qu'il peut être l'homme du changement.

Bill McKay n'est pas une pure invention : Larner et Ritchie se sont inspirés du sénateur John V. Tunney et de Jerry Brown, des outsiders comme lui, mais qui ont su forcer le destin, et qui se distinguaient par leur honnêteté. Tout en composant avec les règles du système médiatique, en se pliant aux consignes, mais sans aller jusqu'à sacrifier leurs idéaux. A la lumière de ce qu'est devenue la politique actuelle, aussi bien aux Etats-Unis que chez nous, ça fait forcément réfléchir...

Robert Redford joue moins qu'il n'incarne Bill McKay, on sent qu'il défend ce personnage tout en voulant montrer sans ambiguïtés comment un politicien se faire élire. Peter Boyle est également remarquable en conseiller opportuniste. Karen Carlson en impose par sa classe en femme de. Don Porter fait de Crocker Jarmon l'archétype de l'apparatchik. Melvyn Douglas est savoureux en père embarrassant.

On remarquera, le temps d'une scène, Natalie Wood, dans son propre rôle, qui joue les groupies de McKay. Redford et elle étaient très amis et avaient joué ensemble dans Propriété Interdite (Sydney Pollack, 1966).

Votez McKay ! est étonnamment d'actualité. Rien, ou si peu (et pas en bien), n'a changé. Mais le film est nuancé, intelligent, tout autant que trépidant. 

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