La disparition de Tom Gruneman, le chef d'une entreprise en Pennsylvanie, amène la police à découvrir dans son bureau des lettres obscènes qu'il a envoyées à une call-girl de New York, Bree Daniels. Mais après six mois d'enquête infructueuse, la famille confie la mission de le retrouver à John Klute, un ami détective. Il se rend donc à New York et s'installe dans un studio au rez-de-chaussée de l'immeuble où habite Bree qu'il met sur écoute et suit avant de frapper à sa porte un soir pour lui poser des questions auxquelles elle refuse d'abord de répondre.
Bree monnaye donc ses charmes mais passe aussi des auditions comme mannequin et comédienne. Elle se confie à une psychanalyste sur son envie de changer de vie tout en appréciant de contrôler la situation avec ses clients sans pourtant jamais de prendre de plaisir à coucher avec eux. Finalement, elle accepte de parler à Klute mais lorsqu'il lui présente une photo de Gruneman, elle ne le reconnaît pas. En revanche, elle se souvient d'un client venu de Pennsylvanie qui l'a brutalisée deux ans avant et cela l'a traumatisé durablement.
Depuis que la police est venue l'interroger, elle se sent suivie et épiée, entend de drôles de bruits depuis son domicile. Klute la convainc de l'aider et elle lui présente son ancien souteneur, Frank Ligourin, qui s'occupait de deux autres prostituées : la première, Jane McKenna, avait recommandé Bree à ce client violent, puis elle s'est suicidée ; et la seconde, Arleen Page est devenue toxicomane. Klute et Bree cherche Arleen qui, elle non plus, ne reconnait pas Gruneman. Le lendemain, le corps de la jeune femme est repêchée dans la baie de l'Hudson...
Hier, je vous parlai de Steelyard Blues dont les vedettes étaient Donald Sutherland et Jane Fonda. Ces deux-là s'étaient connus (y compris intimement) un an auparavant durant le tournage de Klute, dont je vais vous parler aujourd'hui. Avec le temps, c'est devenu un film culte, inscrit dans la "trilogie de la paranoïa" (Klute/A Cause d'un assassin/Les Hommes du Président) de son réalisateur, Alan J. Pakula.
Il serait cependant faux de croire que cette trilogie a été préméditée par le cinéaste. Disons qu'elle a pris corps parce que, durant les années 70, ce genre de thrillers allait devenir populaire et que Pakula en a signé trois. Mais Klute n'était que le deuxième long métrage du réalisateur, qui, avant de passer derrière la caméra, était d'abord un producteur (notamment pour Robert Mulligan).
A l'origine, il y a le scénario écrit par deux frères, Andy et Dave Lewis, qui l'ont rédigé à distance (puisqu'ils habitaient dans deux Etats différents, ils échangeaient leurs notes par courrier ou téléphone). Le studio Warner l'acquit et le confia à Pakula en pensant qu'il s'agirait d'un film noir classique. Le résultat déjoua les attentes de tout le monde.
D'abord parce que le film fut un énorme succès commercial, bien que la critique l'ait d'abord accueilli avec tiédeur (avant de retourner sa veste...) et ensuite parce qu'il récolta quantité de récompenses, dont l'Oscar de la meilleure actrice pour Jane Fonda. Mais aussi, surtout, parce que, plus qu'un film noir, Klute était un portrait de femme et de l'époque.
En effet, le titre est trompeur : Klute, ce drôle de nom, est celui du personnage de détective joué par Sutherland, mais c'est bien celui de Bree Daniels, incarnée par Fonda, qui est au centre de l'intrigue. En préparant le film, Pakula revit quelques Hitchcock mais décida d'en détourner les codes, en faisant du personnage féminin le coeur de l'affaire.
Bree est donc un call-girl mais c'est surtout une comédienne frustrée : elle auditionne pour du mannequinat ou du théâtre sans jamais être retenue, mais par contre elle est le metteur en scène et la vedette de ses rendez-vous avec ses clients à qui elle se soumet mais aussi à qui elle dit qu'elle a une imagination sans limites et qu'elle dirige finalement vers ce que elle consent à faire.
Quand Klute l'aborde, elle semble d'abord prendre sa revanche sur tous les directeurs de casting qui la refoulent, en n'acceptant pas de répondre à ses questions et en ne l'invitant pas à entrer dans son appartement (lui vit dans un studio au sous-sol de l'immeuble où elle réside). Puis quand elle accepte de lui parler, elle choisit son moment et joue un rôle de femme sûre d'elle.
Quand elle et Klute finissent par coucher ensemble, cela démarre comme une manière pour Bree de se donner à cet homme qui la protège. Mais après qu'ils aient fait l'amour, elle le toise avec arrogance et savoure le fait qu'il n'ait pas pu lui résister alors que jusque-là il semblait insensible. C'est tout à fait fascinant parce qu'on a a là une femme réellement complexe, avec laquelle on ne sait pas sur quel pied danser.
C'est encore plus flagrant lorsqu'elle se confie à sa psy. Pakula a, semble-t-il, laissé Fonda improviser une bonne partie de son texte dans ces scènes et le spectateur a effectivement l'impression que Bree tombe vraiment le masque, qu'elle cherche ses mots, qu'elle n'est plus du tout dans le jeu. Et c'est aussi troublant de voir Fonda ainsi car cela bat en brèche ce qu'elle donnait à voir d'elle-même à l'époque.
En effet, en 1971, l'actrice va bientôt divorcer de Roger Vadim (avec lequel, dira-t-elle plus tard, elle eut des expériences insensées) et sa carrière est éclipsée par ses engagements citoyens en faveur du féminisme, contre la guerre au Vietnam (qui lui vaudra le surnom de "Hanoï Jane" et des volées de bois vert) et pour les Black Panthers. Bref, Fonda incarne cette femme contestataire, qui ne s'en laisse pas conter.
La voir vulnérable dans Klute, particulièrement dans ces scènes de séances chez le psy, l'humanise à nouveau et a sûrement dû beaucoup jouer auprès du public pour le succès du film. Elle n'aura en tout cas pas volé son Oscar, pour son interprétation subtile et intense, quand bien même elle a failli passer à côté du rôle.
La Warner voulait en effet Barbra Streisand pour jouer Bree et Fonda elle-même, que voulait absolument Pakula, hésita longuement, au point de conseiller au cinéaste de prendre plutôt Faye Dunaway. Ce n'est qu'en rencontrant d'authentiques prostituées, en changeant de coiffure, en s'habillant avec sa propre garde-robe, qu'elle se persuada de jouer Bree.
L'intrigue donne une idée de que les frères Lewis avaient en tête : dans leur scénario originel, Klute venait à New York pour enquêter sur la disparition de son frère, mais Pakula trouvait que cela ressemblait trop à Un Shérif à New York (Don Siegel, 1968) et fit procéder à des changements. C'est là que le thriller devint plus mystérieux, plus étrange, plus glauque. Plus sensuel aussi.
Klute ne met pas à jour une conspiration mais piège un individu proche de celui qu'il recherche et qui le manipule en effaçant les preuves de ses méfaits. Toutefois, l'étude de caractère domine l'intrigue policière et le spectateur comprend qui est le coupable en même temps que le détective. Entre temps surtout il s'est davantage concentré sur Bree et Klute que sur la disparition de Gruneman.
Sutherland, avec sa longue silhouette, son regard perçant et sa drôle de gueule, fait de Klute non pas un séduisant enquêteur ni même un personnage attachant, voire aimable. Ainsi la romance qui nait entre lui et Bree échappe au cliché de la demoiselle en détresse se réfugiant dans les bras de son sauveur - et comme je l'ai dit plus haut, elle se joue de lui quand elle se donne à lui.
Klute est un homme patient, discret, courtois mais têtu, pugnace. Il y a aussi une couche de vernis sous cette apparente impassibilité car on le voit dérouté lorsque Bree, bouleversée par la mort d'Arleen, retourne vers son ancien souteneur (Roy Schieder), se jetant littéralement à ses pieds. Et, quand à la fin elle quitte New York, on l'entend, en off, dire à sa psy que la ville finira certainement par la reprendre.
Le film bénéficie d'une photo extraordinaire de Gordon Willis, qui sera ensuite responsable de celle du Parrain de Coppola, mais aussi d'une musique flippante à souhait de Michael Small, et les deux hommes suivront ensuite souvent Pakula sur d'autres projets.
Klute est un très grand film, qui transcende son genre. Il rappelle aussi à quel point Pakula fut un grand cinéaste. Et le couple Donald Sutherland-Jane Fonda demeure un des plus iconiques et atypiques du cinéma US des 70's.
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