Joe Stefanos s'arrête à la station-service de Bridgport, une bourgade dans les montagnes de Californie, et interroge l'employé sourd muet au sujet du propriétaire, Jeff Bailey. Ce dernier est sorti pêcher en compagnie de sa petite amie, Ann. Il est averti par son employé qu'on lui donne rendez-vous dans une villa près du lac Tahoe. Ann accompagne Jeff qui en profite pour lui avouer son passé, quand il s'appelait Jeff Markham, qu'il était détective privé à New York, associé à Jack Fisher...
Les deux enquêteurs rencontrent Whit Sterling, un affairiste louche, qui leur demande de retrouver Kathie Moffatt, la femme qu'il aime mais qui s'est enfuie après lui avoir tiré dessus et dérobé 40 000 $. Jeff accepte l'affaire et la retrouve facilement à Acapulco. Ils deviennent amants et projettent de partir loin ensemble. Mais Whit débarque avec son homme de main, Stefanos, et le détective leur raconte avoir perdu la trace de la fille.
Les amants se cachent à San Francisco où Jack Fisher les aperçoit et les file jusqu'à la maison dans les bois où ils vivent. Lorsqu'il veut les faire chanter pour ne pas les dénoncer à Sterling en échange du butin volé par Kathie, celle-ci le tue puis disparaît. Jeff trouve le livret bancaire qu'elle a abandonné et qui prouve qu'elle avait bien dépouillé Whit alors qu'elle prétendait le contraire. Markham refait sa vie sous le nom de Bailey à Bridgeport... Il arrive chez Whit et laisse Ann rentrer en ville. Sterling le reçoit, en compagnie de Kathie...
Tout d'abord, avant d'aller plus loin, La Griffe du passé n'est qu'un des titres français de Out of the Past (en vo). Le film est aussi connu par chez nous sous le nom de Pendez-moi haut et court, mais je préfère l'autre intitulé, à défaut de l'original anglais. Ne me demandez pas pourquoi tous ces titres, je n'en sais rien, mais ça n'aide pas les curieux à connaître ce grand classique du film noir.
Et pourtant c'est bien ce dont il s'agit : découvrir Out of the Past, c'est faire connaissance avec un des sommets de la série noire. Jacques Tourneur, plus connu pour ses longs métrages d'épouvante (La Féline en 1942 ; Vaudou en 43) et maître de l'expressionnisme, s'empare du genre avec un tel brio qu'il semble le maîtriser depuis toujours (et il s'illustrera encore dans des registres différents par la suite).
Réalisateur emblématique du studio RKO, Tourneur reçoit le script de Geoffrey Homes qu'il adore. Homes est le pseudonyme de Daniel Mainwaring, un auteur placé sur la liste noire durant le maccarthysme, qui a adapté son propre roman. Son manuscrit a été révisé par James Cain puis finalisé par Frank Fenton (même si Tourneur a dit qu'il ne restait rien de leur travail dans la version finale).
Le cinéaste tourne dans un coin qu'il connaît bien puisqu'il y passe ses vacances à pêcher, comme lorsque le personnage de Jeff Bailey est introduit. Il emploie comme figurants des gens des environs et, après qu'on lui ait suggéré successivement John Garfield, Dick Powell et Humphrey Bogart pour le rôle principal, il obtient Robert Mitchum, déjà le héros de série noire par excellence.
La star, connu ensuite pour son détachement absolu vis-à-vis de sa carrière et du 7ème Art, affirmera qu'il n'a jamais vu le film mais gardait un souvenir agréable du tournage, ce qui n'était déjà pas un petit compliment de sa part. Tourneur louera son talent et celui de sa partenaire, Jane Greer. Pour compléter l'affiche, on notera que c'était seulement le deuxième film de Kirk Douglas.
Le film noir est un genre qui par principe ne réserve pas de surprise sur le déroulement de ses intrigues : ça se finira mal, c'est inscrit dans son principe même. Mais cette fatalité a rarement été aussi puissamment illustrée que dans La Griffe du passé. Et Tourneur a trouvé pour cela une astuce à la fois classique (puisque déjà à l'oeuvre sur Les Tueurs de Robert Siodmak, sorti en 46) et culottée.
En effet, le film, qui dure 90', comporte un flashback qui dure 40', durant lequel Jeff explique à Ann, la femme qu'il aime, son passé alors qu'il roule de nuit vers la villa de l'homme par qui tout est arrivé. Avant d'être le gérant d'une station-service dans ce patelin de Bridgeport, il était détective privé et on l'avait chargé de retrouver Kathie Moffatt.
Whit Sterling, son client, lui avait expliqué qu'il se fichait des 40 000 $ qu'elle lui avait volé et même du fait qu'elle lui ait tiré dessus. Ce qu'il voulait, c'est qu'elle revienne. Et pas pour se venger, mais parce qu'il l'aimait. "Vous comprendrez quand vous la verrez", dit-il à Jeff. Et effectivement, c'est ce qui va se passer : Jeff tombe amoureux instantanément de Kathie.
Plus question de la ramener, il veut l'accompagner dans sa fuite, la protéger, la garder pour lui. Sauf que, en vérité, c'est elle qui le garde, et pire encore. On peut supposer que Jeff le sait dès le moment où ses yeux sur posent sur elle : Kathie Moffatt est cette femme qu'on suit jusqu'en enfer, qui vous en fera baver, mais qu'on ne quitte pas.
Même quand c'est elle qui l'abandonnera, elle ne quittera pas l'esprit de Jeff. Certes, il la revoit avec d'autres sentiments, la haine a fait place à l'amour, la trahison est consommée. Pourtant il ne réussira pas complètement à lui résister. Et la fin de leur aventure se soldera comme tout film noir dans le sang et la poudre.
Ce qui est étonnant et encore novateur aujourd'hui, c'est que Out of the Past n'est pas un récit policier comme les autres, avec des gangsters, des détectives, une femme fatale, un butin, etc. Non, c'est l'histoire d'hommes dominés par une femme. C'est elle, le coeur, l'âme, le rôle principal du film. Elle n'est pas la demoiselle en détresse à sauver. C'est la mort en marche, l'amour poison.
Et surtout, presque sans rien faire, elle assiste à la déchéance des hommes qui la désirent, qui croient la posséder - en fait, c'est elle qui les possède, au propre comme au figuré : elle est leur propriétaire, non leur propriété, et elle les berne, les manipule. Sa détermination, son sang-froid, n'a d'égale que son charme et sa puissance érotique.
Le film est en deux actes bien distincts (le passé, le présent). Le premier est virtuose, le second plus classique, avec un piège qui se referme sur Bailey mais aussi Sterling. Jusqu'à quel point ces deux-là sont conscients du sort que Kathie Moffatt semble leur jeter ? Tourneur prend soin de ne pas répondre à cette interrogation, concluant sur une note ambigüe (quand Ann demande à l'employé de Jeff si celui-ci voulait vraiment partir avec Kathie, la réponse est cruelle mais sujette à caution).
Magnifiquement filmé, avec une photo splendide de Robert Musuraca, et interprété par Mitchum (plus désabusé que jamais), Douglas (tendu à l'extrême malgré une décontraction de façade) et Greer (magnétique à chaque fois qu'elle apparaît), Out of the Past est un perle noire. Son éclat a quelque chose d'à la fois envoûtant et terrifiant, à l'image du traitement du genre par un spécialiste de l'horreur.
P.S. : Un remake, Contre Toute Attente, a été réalisé par Taylor Hackford, avec Jeff Bridges et Rachel Ward, en 1984. Est-ce nécessaire de préciser qu'il n'arrive pas à la cheville du chef d'oeuvre de Tourneur ?







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