Années 1930, Dodson (Mississipi). Une adolescente, Willie Starr, raconte à son ami Tom, le long d'une voie ferrée abandonnée à proximité de l'ancienne pension tenue par sa mère, Hazel, l'histoire de sa soeur aînée, Alva. Celle-ci était la plus fille de la région et faisait tourner la tête de tous les clients de sa mère, laquelle n'avait aucun scrupule à la pousser dans les bras d'hommes riches susceptibles de les arracher à leur misérable condition, comme Mr. Johnson, un homme d'affaires de Chicago dont la femme était malade.
Un jour débarqua à Dodson Owen Legate qui prit une chambre à la pension Starr pour une semaine. Il ne montrait pas d'intérêt particulier pour Alva, ce qui la motiva à attirer son attention car elle voulait connaître la raison de sa présence. Le lendemain, il se présentait au contremaître de la station ferroviaire avec son ordre de mission : la ligne n'était plus assez rentable et il devait licencier une dizaine de cheminots. J.J. Nichols, l'amant de Hazel mais qui convoitait Alva, se chargea de le dénoncer à cette dernière.
Owen confirma l'information à la jeune femme et précisa qu'ensuite il regagnerait la Nouvelle-Orléans, la ville où elle rêvait d'aller pour échapper à son quotidien sordide. Mais Hazel avait d'autres plans puisque Mr. Johnson était disposé à leur offrir, à elle et ses filles un logement à Chicago en échange des faveurs d'Alva...
"Ce désir fou de vivre une autre vie" : si vous aimez Michel Berger, alors peut-être avez-vous reconnu ce vers de Quelque chose de Tennessee, chanson qu'il avait écrite pour Johnny Hallyday. This Property is Condemned (en vo) est l'adaptation d'une pièce en un acte du dramaturge américain, qui connut souvent les honneurs du cinéma (Soudain l'été dernier, La Nuit de l'iguane, etc.).
Pourtant quand il fut question de porter à l'écran Propriété Interdite (en vf), Tennessee Williams se montra plus perplexe. Le texte initial était bref et mettait en scène Willie Starr et son ami Bob à qui elle racontait l'aventure d'Alva, quand le script, écrit par Francis Ford Coppola avec Edith Sommer et Fred Coe, se servait de cela comme prologue et épilogue.
Le film, réalisé par Sydney Pollack, dont c'était seulement le deuxième long métrage, détaille par le menu ce qui est arrivé à la troublante (et troublée) Alva Starr, jeune femme jetée en pâture par sa mère dans les bras des clients les plus fortunés de sa pension pour améliorer leur quotidien et fuir le patelin de Dodson en pleine Dépression.
C'est là un grand classique de l'oeuvre de Williams : la description d'individus dans une grande détresse sociale avec ses exploiteurs et ses exploités, dans une ambiance sexuelle très chargée qui confine à l'hystérie, et dans un décor souvent unique (hérité justement du théâtre). Alva est l'esclave d'une matriarche sans scrupules et Willie est le témoin de leur relation toxique.
Puis, comme souvent chez Williams, un inconnu surgit et va bouleverser l'ordre des choses, un personnage ambigu et séduisant mais clairvoyant, parfois cruellement lucide, dont on pense qu'il va assainir la situation avant qu'il ne la précipite vers une fin tragique. C'est ce qui se produit avec Owen Legate, employé d'une compagnie qui utilise les transports ferroviaires et juge leur rentabilité.
Il est là pour procéder aux licenciements de cheminots dans une station mais il va aussi perturber la pension Starr, en séduisant Alva et en braquant sa mère. Legate est un jeune homme très beau mais qui sait qu'il exerce une fonction antipathique (il n'aime pas son job mais fait ce qu'on lui paie pour le faire dans une époque compliquée).
C'est justement parce qu'il considère les choses et les gens implacablement qu'il suscite à la fois l'exaspération d'Alva mais aussi qu'il l'attire - parce qu'il ne lui montre aucun égard. Pire : il ose lui dire qu'elle se comporte comme une traînée et que sa mère est une maquerelle. La seule personne qui lui inspire de la sympathie, voire de la compassion, est la jeune Willie, encore innocente mais déterminée.
Pendant les deux tiers du récit, c'est-à-dire le temps qu'on passe à Dodson, Williams a tort de s'en faire : le scénario respecte l'esprit de son oeuvre. Ce n'est pas aussi puissamment mis en scène que lorsque des génies comme Joseph Mankiewicz ou John Huston s'en charge, mais la qualité est tout de même au rendez-vous. Le classicisme élégant de Pollack est impeccable, même si on sent bien que c'est un exercice pour lui.
En revanche, le dernier tiers, qui voit l'action se déplacer à la Nouvelle-Orléans, est franchement pénible, tire en longueur et manque d'intensité. J'ai même cru (espéré) que le film se termine quand Alva quitte Dodson, seule, sans doute pour un destin guère plus heureux mais moins sordide. Hélas ! Ce n'est pas le cas et ça gâche un peu l'ensemble.
L'épilogue suggère le sort d'Alva plus qu'il ne l'explicite, mais, et c'est là le cliché le plus répandu chez Williams, la tragédie semble forcée. Cet auteur avait du talent mais se complaisait souvent, à mon goût, dans des dénouements mélodramatiques grotesques, renvoyant dos à dos les pauvres, condamnés à mal finir, et les mieux lotis, qui étaient forcément méprisants ou aveugles.
Natalie Wood, immense vedette à cette époque, tient le premier rôle, mais elle en fait des tonnes pour composer à la fois une Alva sensuelle et fragile. Wood est trop jolie, trop lisse, et pas assez vulgaire, et ses fantasmes puérils sont vite horripilants (d'ailleurs c'est ce qu'essaie de corriger Legate, en vain). Ce film marque, après Daisy Clover (1965), ses retrouvailles avec...
Robert Redford était encore ce jeune premier en quête du rôle qui allait l'imposer (on est juste un an avant Butch Cassidy et le Kid), mais au moins, lui, a un jeu beaucoup plus sobre et de fait plus efficace. Il ne cherche pas à être aimable mais en même temps son côté plus pragmatique, réaliste, lucide, empêche Owen Legate d'être antipathique.
On trouve dans le second rôle de JJ Nichols Charles Bronson dont la présence minérale fait merveille dans la peau de ce type rustre et rusé à la fois. Robert Blake (qui a donné la réplique à Redford dans Willie Boy) est également là. Kate Reid campe magistralement Hazel Starr et Mary Badham est touchante dans le rôle de Willie, vêtue de la robe préférée de sa soeur, trop grande pour elle.
Prévue pour Liz Taylor dans le rôle principal et Richard Burton à la réalisation, Propriété Interdite est un film bancal, parfois excellent, plus souvent maladroit et poussif.
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