Catherine "Cat" Ballou croupit dans la cellule du bureau du shérif de Wolf City en attendant son exécution par pendaison pour le meurtre de Sir Harry Percival. A l'extérieur, deux troubadours, Sam the Shade et Sunrise Kif, chantent comment la jeune femme a atterri là... Tout commence quelques mois auparavant lorsque Catherine Ballou, aspirante institutrice, rentre chez elle après avoir terminé ses études.
Elle va aider, bien involontairement, le voleur de bétail Caly Boone à échapper à la vigilance d'un marshal avec la complicité de son oncle Jed, déguisé en prédicateur. Lorsqu'elle descend à Wolf City, elle est attendue par son père, Frankie Ballou, et Jackson two-bears, un jeune indien qui travaille au ranch familial pour lequel Clay et Jed offrent leurs services (même si Clay veut surtout rester avec Cat).
La situation n'est pas fameuse sur place : Sir Harry Percival, propriétaire de la Wolf City Development Corporation, qui emploie la majorité des hommes du coin, veut exproprier Frankie et a engagé le tueur à gage Tim Strawn pour le supprimer si besoin est. Clay, Jed et Jackson craignent le pire, alors Cat écrit à Kid Shelleen, un célèbre pistolero dont elle a lu les aventures, et lui envoie 50 $ pour se payer ses services. Lorsqu'il débarque à Wolf City, une mauvaise surprise attend Cat...
Classé dans le top 10 des meilleurs westerns américains et énorme succès populaire à sa sortie, Cat Ballou a été méprisé par la critique française (et c'est encore le cas aujourd'hui), qui n'a absolument pas supporté l'adaptation du roman La Ballade de Cat Ballou de Roy Chanslor ni compris comment elle avait pu valoir l'Oscar du meilleur acteur pour Lee Marvin.
Je ne cherche pas à jouer le rôle du sauveur de films mal aimés, mais je ne partage pas du tout l'avis des critiques français. Cat Ballou est même un des meilleurs westerns comiques que j'ai vu et revu, avec deux acteurs que j'adore (et l'un est la plus actrice américaine de tous les temps). Et, évidemment ai-je envie de dire, rien n'était gagné au départ.
Les bons films ont deux histoires : celle qui est projeté sur l'écran, et celle qui s'est jouée en coulisses. Cat Ballou ne fait pas exception. Le livre de Chanslor était un récit dramatique qui fut transformé en une parodie pour séduire à la fois les amateurs de western et de comédie. Walter Newman et Frank Pierson se sont lâchés en le truffant gags, en tournant en ridicule le sérieux de l'intrigue originale.
Pourtant les producteurs du film voulaient pousser le bouchon encore plus loin en confiant les rôles principaux à des comédiens que personne n'attendait dans ce registre. Ainsi le double rôle de Kid Shelleen et Tim Strawn fut prévu initialement pour... Kirk Douglas ! Certain qu'il ne ferait rire personne, il déclina. On proposa ensuite l'affaire à Dick Van Dyke, qui, lui, ne se pensait pas crédible en cowboy.
Mais là où on tient une anecdote terrible, c'est pour le personnage de Cat Ballou lui-même : Elliott Silverstein en pinçait pour Ann-Margret et désirait sans doute lui plaire en lui offrant le rôle. Le manager de cette dernière, en lisant le script, décida de ne pas lui en parler et répondit qu'elle n'était pas intéressée ! Avec un agent comme ça, pas besoin de rivales !
Ce furent donc Lee Marvin et Jane Fonda qui campèrent les deux héros de l'histoire et on ne peut que s'en féliciter (non pas parce que Douglas ou Van Dyle ou Ann-Margret n'auraient pas été bons mais parce qu'ils sont tout simplement parfaits). Elliott Silverstein ne dragua pas Jane Fonda, trop occupé à canaliser Lee Marvin.
En effet ce dernier mit tant de coeur à l'ouvrage que pour incarner Kid Shelleen, ex-as de la gâchette devenu un clochard alcoolique, qu'il vidait lui-même des bouteilles de whisky pour mieux entrer dans la peau de son personnage. Avec ça, il fallait qu'il accomplisse lui-même ses cascades à cheval et l'entraîneur du canasson n'eut qu'une semaine pour le former.
Chose amusante : quand il était sobre, Marvin était un type raffiné et exquis sous ses airs bourrus et quand il reçut l'Oscar, il s'empressa de féliciter le cheval qui, dit-il, avait la moitié de son travail à lui. Si ça, c'est pas la classe américaine... Les seules prises où Marvin n'était pas complètement saoul sont celles où Kid Shelleen retrouve sa superbe : la fiction rejoignait la réalité.
Encore une dernière petite histoire pour la route, plus triste celle-ci : Nat King Cole, qui joue le rôle du troubadour Sam the Shade, fumeur invétéré à la voix d'or, mourut d'un cancer du poumon quatre mois avant la sortie du film.
Le film, que vaut-il vraiment ? Hé bien, il est extrêmement drôle et parfaitement immoral. Tout le récit s'inscrit dans un long flashback où on revient sur les circonstances qui ont envoyé Cat Ballou en prison et sur le point d'être pendue. Destinée à être institutrice, elle rejoint son père sous la menace d'une expropriation par un homme d'affaires impitoyable.
Quand Frankie Ballou est assassiné et que le shérif de Wolf City refuse d'arrêter Tim Strawn, Cat et sa bande, chassés du ranch familial, se réfugient dans un repaire d'anciens bandits à la retraite et se font hors-la-loi en attaquant le train qui convoie la paie des ouvriers du coin. Mais cette initiative déplaît à ceux qui les cachent car ils craignent des représailles de la milice de Sir Percival.
Cat va donc confronter ce dernier en usant d'autres armes et cela va mal tourner pour elle... Pour comprendre à quel point l'histoire finit de manière amorale, je devrai vous spoiler le dénouement et ce serait dommage. Mais en même temps vous devez bien vous douter que dans une comédie on ne pendra pas Jane Fonda...
Le personnage de Cat passe donc de la jeune fille rangée à la fille en détresse face à aux difficultés de son père à l'outlaw, et dans ce dernier rôle, elle montre des dispositions inattendues. La légèreté avec laquelle tout cela est traitée implique que les méfaits de Cat et son gang se déroulent toujours dans une bonne humeur insouciante, contrebalancée par la présence inquiétante de Tim Strawn.
Celui-ci porte un faux nez en argent (car son appendice nasale a été arraché lors d'une fusillade). C'est censé être flippant mais cet accessoire est surtout étrange et permet de dissimuler au spectateur que c'est Lee Marvin qui l'interprète. Le contraste entre Strawn, glaçant, et Kid Shelleen, ivrogne, est saisissant et justifie que l'acteur ait été récompensé (face quand même à Laurence Olivier et Richard Burton).
Le personnage secondaire de Jackson two-bears est également savoureux car il échappe au cliché de l'indien : c'est un jeune homme dévoué, instruit, intelligent, et qui manie l'ironie de façon imparable (quand il doit rosser Clay, coupable de lâcheté, il justifie sa participation en expliquant que ce n'est pas une question de race, de couleur ou de religion... Alors que lui, en tant qu'indien, a dû subir ça pour ces trois raisons).
On regrettera juste que le duo Clay-Jed n'ait pas été aussi bien développé et surtout que les deux acteurs n'aient pas eu une plus grande différence d'âge et des physiques plus distincts (après tout Jed est présenté comme l'oncle de Clay). Mais bon, on ne peut pas tout avoir, et de toute façon, le meilleur est ailleurs.
Elliott Silverstein n'a réalisé que trois longs métrages dans sa carrière, dominée par des séries télé, mais il ne manquait pas de variété (son autre grand succès au cinéma fut Un Homme nommé Cheval, avec Richard Harris, en 1970). Il a dirigé ses acteurs avec certainement beaucoup de patience et de soin et les a filmés en leur laissant toute la liberté requise.
Lee Marvin est donc grandiose dans ce double rôle : il en fait des tonnes mais il est franchement hilarant, sachant aussi rester très mesuré dans une scène comme celle où Jackson l'habille après l'avoir sevré. Jane Fonda est magnifique : sa beauté subjugue (ah cette robe rouge moulante...), la caméra la saisit avec amour, et son jeu est un parfait contrepoids aux outrances de son partenaire.
Tant pis pour les cinéphiles français grincheux qui n'ont pas aimé, mais pour moi, Cat Ballou reste un bonheur.
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