Ellie est une jeune femme envoyée en cure de désintoxication. Depuis toujours elle voue une admiration aux artistes toxicomanes, convaincue qu'ils ont produit leurs meilleures oeuvres quand il se droguaient. Elle participe à des séances thérapeutiques en groupe où le responsable encourage les patients à parler de manière positive de leur séjour et ses bienfaits tout en restant lucides et honnêtes sur leurs expériences.
Ce groupe comprend Todd, un mythomane qui s'invente des aventures criminelles avec des dealers ; Lois, une femme accro aux médicaments depuis une opération chirurgicale ; Ken, un cocaïnomane qui a été condamné à une peine de travail d'intérêt général, et enfin Skip, dont les raisons de la présence ici ne sont pas claires. Ellie drague Skip et l'entraîne, la nuit venue, dans le parc du centre de désintox pour des conversations plus personnelles. Ils deviennent amants.
Un soir ils sont surpris par les gardiens et sont réprimandés par le docteur Patti. Ellie en a assez et, après avoir couché avec Skip, le persuade de s'échapper en volant la voiture de Mitch, le responsable de la thérapie de groupe à qui elle a volé ses clés. Ils taillent la route et s'installent dans une maison dont les habitants sont partis en vacances puis repartent quand ils craignent que leur présence éveille les soupçons du voisinage. Mais une voiture avec deux hommes les suivent...
Après le tome 7 de Criminal, Ed Brubaker et Sean Phillips, motivés par leur expérience sur un nouveau format pour la série, franchissent un nouveau pas : ils signent My Heroes are always been junkies, un roman graphique de plus de 60 pages, qui, a priori, n'entretient aucun rapport avec la mythologie mise en place sur le titre mais en fait quand même partie.
C'est aussi à ce moment-là qu'entre en piste Jacob Phillips, le fils de Sean, comme coloriste en lieu et place d'Elizabeth Breitweiser. Le fiston va contribuer à donner une nouvelle esthétique, plus lumineuse et audacieuse, aux histoires, avec une palette qui tranche complètement avec celles de ses prédécesseurs au poste, tout en débutant une carrière de dessinateur (sur la série That Texas Blood, écrite par Chris Condon).
Ce récit est peut-être le plus beau, le plus romantique et le plus cruel qu'ait écrit Brubaker. L'héroïne, Ellie (ce n'est pas son vrai prénom comme on le découvre à la fin), est une jeune toxicomane qui suit une cure dans une clinique. Elle voue depuis toujours une admiration aux artistes qui ont produit sous l'influence de stupéfiants, estimant qu'ainsi ils ont donné le meilleur d'eux-mêmes.
Régulièrement, l'histoire est ponctuée de flashbacks en noir, blanc et gris sur l'enfance d'Ellie et sa découverte de la musique. Elle subit son premier choc en écoutant Billie Holliday, puis Gram Parsons, et évoque David Bowie, Lou Reed, et Keith Richards à qui elle emprunte une théorie selon laquelle, même sevré, on ne pense qu'à replonger et une fois à nouveau drogué, on essaie de décrocher.
Elle rencontre Skip, un séduisant et mystérieux jeune patient dont elle devient l'amie puis l'amante, et qu'elle convainc de fuir. Ils logent dans des maisons dont les propriétaires sont absents (pour en être sûr, il suffit que du courrier n'ait pas été ramassé depuis longtemps et déborde de la boîte aux lettres). Ils fument, boivent, font l'amour, puis partent plus loin avant d'éveiller les soupçons du voisinage.
Progressivement Brubaker sème des indices qui troublent le lecteur. Où vont-ils ainsi ? Jusqu'à cette cavale peut-elle durer ? Ellie dit-elle la vérité sur son passé traumatisant (elle a perdu ses parents dans des circonstances terribles) ? Jusqu'à ce que Skip se confie à son tour : son père est un enfoiré, aujourd'hui placé sous le régime de témoin protégé par le FBI pour avoir dénoncé les magouilles de son patron.
Et puis il y a cette voiture avec deux hommes qui suivent de loin le couple, qu'a repéré Ellie sans rien dire à Skip - Pourquoi ? La tension monte subtilement et le lecteur tourne les pages, accroché par ces interrogations et la certitude que quelque chose cloche, que tout n'est pas ce qu'il semble être. On en arrive même à se demander si toute cette fugue n'est pas qu'un rêve sous l'influence de stupéfiants.
Contrairement à ce qu'on a lu de Crminal précédemment, il n'y a pas de violence graphique ici, pas de coup de feu, pas de braquage. Brubaker écarte tout ce folklore et prouve, s'il en était besoin, qu'il sait raconter une histoire en la dépouillant de ces éléments. A la place, il fait ressentir au lecteur l'amour juvénile de ce couple, leur déraison, leur insouciance, leur passé difficile, les cicatrices qu'ils en gardent.
C'est d'autant plus beau que Sean Phillips soigne ses planches comme jamais. Il laisse de côté ses à-plats noirs pour jouer avec le blanc même de la page, ses personnages ont des traits délicats, Ellie et Skip font vraiment leur (jeune) âge, ils sont touchants, on a envie de croire à leur fuite, à un avenir meilleur pour eux deux.
Et quand il doit représenter les épisodes du passé d'Ellie, il produit des planches en noir et blanc rehaussées de gris absolument sublimes, où sont convoqués donc les artistes préférés d'Ellie. Ces passages n'ont pas de dialogues, juste un texte en off, sensible, à la première personne du singulier. Sans aucun doute un tournant dans le travail de l'artiste et de la série.
Puis, dans la dernière partie, le lien avec Criminal se fait jour, subrepticement, poignant, implacable. Le secret de Skip provoque un vrai déraillement dans l'histoire et Ellie tombe le masque. On comprend qu'elle a trahi ce garçon pour sauver quelqu'un qui lui est cher et dont la vie était en jeu. Mais ça ne détourne pas le récit de son intérêt essentiel : avoir emprunté un chemin de traverse.
Ce tome 8 qui ne dit pas son nom et qui mérite d'être une sorte de numéro spécial, de hors série, est une réussite éblouissante, sans nul doute le plus beau des albums produits par le duo Brubaker-Phillips, qui, désormais, va privilégier ce format, qui lui permet une plus grande liberté sans perdre leur public fidèle.
On peut retrouver ce roman graphique dans la troisième Intégrale traduite par Delcourt (couverture ci-dessous).







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