mercredi 22 octobre 2025

LE DEMON DES ARMES (Joseph H. Lewis, 1950)


Barton "Bart" Tare, un adolescent, est surpris en train de briser la vitrine d'une quincaillerie pour voler un revolver. Comparaissant devant le juge, et malgré les témoignages en sa faveur de sa soeur aînée Ruby, de ses deux meilleurs amis Dave et Clyde, de son institutrice et du shérif, il est envoyé en maison de redressement. Après ça, il s'engage dans l'armée où il devient instructeur de tir, puis son service terminé, il rentre chez chez lui.


Pour fêter ça, ses deux amis, Clyde, devenu shérif à son tour, et Dave, devenu journaliste dans la gazette locale, l'invitent dans une fête foraine où ils assistent au numéro de tir de Laurie Starr. Elle défie quiconque réussira un de ses numéros. Encouragé par ses copains, Bart monte sur scène et gagne le concours. Le patron du cirque ambulant, Packett, l'embauche et observe avec jalousie Bart et Laurie devenir amants. Ne pouvant avoir la fille pour lui, il les vire. Eux se marient dans la foulée et partent en lune de miel.
 

Mais ils n'ont bientôt plus d'argent et Laurie n'est pas femme à se contenter d'une vie modeste. Elle convainc Bart de dévaliser des stations-service. Leur butin est maigre et ils s'attaquent à des banques. Toutefois Bart se refuse à tuer des innocents alors que Laurie perd vite ses nerfs sous la pression. Une fois ils sont poursuivis par une voiture de police et Bart préfère tirer dans les pneus qu'abattre les flics. Il veut renoncer à cette existence et fuir au Mexique mais pour cela ils ont besoin d'argent et donc de commettre un dernier gros coup...


Gun Crazy (en vo) est sans doute un des films noirs les plus fameux de toute l'histoire du genre. La réalisation de Joseph H. Lewis a transformé cette série B en une petite révolution technique et sa production fut possible grâce à d'anciens gangsters qui possédaient des machines à sous et qui investirent dans le projet.
  

Pourtant tout démarra par une brouille entre MacKinlay Kantor, auteur de l'histoire originale, qui écrivit un script de plus de 300 pages et que remanièrent Lemis avec Millard Kaufman pour le ramener à une longueur plus raisonnable. Kaufman était un nom d'emprunt de Dalton Trumbo, placé sur la liste noire d'Hollywood par la commission MacCarthy.


Kantor ne pardonna jamais à Lewis cette trahison et ne lui parla plus jamais. Le réalisateur choisit pour acteurs principaux John Dall qu'il avait remarqué dans La Corde de Hitchock et Peggy Cummins qui venait d'être évincé du tournage d'Ambre de Preminger (au profit de Linda Darnell), après avoir songé à Veronica Lake.


Il ne put que se féliciter de ce concours de circonstances car l'alchimie entre Dall et Cummins fut immédiate. Peu enclin à verser dans la psychologie, Lewis ne leur donna en tout et pour tout qu'une seule indication de jeu. A Dall, il dit : "Votre bite n'a jamais été aussi dure !". A Cummins : "Vous êtes une chienne en chaleur et vous voulez cet homme. Mais ne semblez pas trop pressé, laissez-le attendre."

Lorsqu'on sait ça, tout apparaît plus intensément encore que ce qu'on voit à l'écran : Bart et Laurie se tournent autour dès leur première scène ensemble comme deux animaux. Le concours de tirs qui scelle leur union et les armes qu'ils tiennent sont autant de symboles érotiques, sexuels, qui courent ensuite tout le long du film.

Leurs rapports sont ambivalents : Laurie est incontrôlable un revolver au poing et préférerait ne pas laisser de témoin vivant tandis que Bart, s'il est un tireur émérite depuis son plus âge, éprouve une aversion profonde à l'idée de tuer une créature vivante, quelle qu'elle soit. Laurie est une affolante et inquiétante psychopathe. Bart un gamin affolé qui ne sait plus ce qui compte vraiment, elle ou les autres.

Cela influencera le script jusqu'à la fin du tournage : ainsi le dénouement ne devait pas initialement se dérouler dans un marais mais dans la voiture des fugitifs. Mais Lewis ne sentait pas cette conclusion. Pour lui, Le Démon des Armes (en vf) était davantage une histoire d'amour qu'un film de gangsters et méritait donc, à cet égard, un épilogue plus passionnel et tragique, moins commun.

Par effet de contraste, c'est donc au petit matin dans le froid que se termine la cavale de Bart et Laurie, comme, auparavant, ils s'enfuient, après leur dernier et audacieux braquage, en traversant une usine frigorifique remplie de quartiers de viande - comme une sorte d'avertissement à ce qui risque de les attendre. Un film brûlant donc mais dans des décors froids.

Gun Crazy, c'est aussi un moment devenu une référence cinématographique par son audace et son inventivité. Un plan-séquence d'anthologie produit avec les moyens du bord mais qui allait changer la manière de tourner de bien des cinéastes. Cela se situe dans la partie centrale du film quand, déguisés en cowboys, ils vont braquer une banque. Elle reste au volant, lui entre dans la place et un flic passe devant sans se douter de rien.

Dans le script, cette seule scène occupait 17 pages à elle seule et était découpée en plusieurs plans. Lewis veut tenter quelque chose de plus nerveux, d'inédit. Il prend alors une caméra 16 mm et transforme la voiture de Laurie et Bart en mini-studio après avoir répété avec deus figurants et testé son idée.

Il tourne deux prises et gardera la seconde au montage. Sans avoir prévenu les passants qui crurent à une véritable attaque de la banque locale ! Mais lorsque le film sortit, tous les studios achetèrent le même matériel portable que celui de Lewis pour refaire ce genre de plan. Quant à la prise de son, elle fut possible grâce à des micros-boutons. Une vraie prouesse technique. 

Il ne faut cependant pas résumer le film à cela. Tout ici va à toute allure sans pour autant rien sacrifier. Il y a quelque chose d'électrique dans cet amour voué à la tragédie. Une espèce d'immédiateté percutante, une urgence extrême. Jamais on ne regarde sa montre en voyant Gun Crazy, le film vous happe, vous prend et ne vous lâche plus. Et à la fin on a même le coeur serré.

John Dall est extraordinaire en bandit dépassé par les événements mais incapable de se défaire de sa complice et amante. Peggy Cummins est prodigieuse en flingueuse au regard perçant, au sourire insolent, d'un érotisme fou. Voilà un couple de cinéma inoubliable.

Comme est inoubliable ce petit film qui changea pourtant la face du 7ème Art -et qui fit dire à son réalisateur, quand Bonnie & Clyde sortit 17 ans plus tard : "C'est Gun Crazy, mais en moins bon !".

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