Le chef de la mafia irlandaise de Chicago demande à Nick Devlin, vétéran de guerre, d'aller à Kansas City réclamer à Mary Ann et Weenie, deux frères, la somme de 500 000 $ qu'ils ont détournée. Deux hommes se sont déjà rendus sur place pour cette requête mais l'un a été trouvé noyé dans le lac Missouri et l'autre a été renvoyé dans un emballage, transformé en saucisses depuis l'abattoir tenu par Weenie. Devlin accepte la mission contre 10% de la somme due et réclame le renfort de Shay, son chauffeur, et deux hommes de main, O'Brien et Shaughnessy.
Une fois à Kansas City, l'équipe descend dans un hôtel de luxe puis Devlin se rend dans l'immeuble où Weenie loge avec ses ouvriers. Il lui flanque une raclée pour prévenir Mary Ann qu'il va aller le voir à leur ranch. Le lendemain, Devlin et ses hommes débarquent sur place et trouve Mary Ann dans une grange où il expose des filles nues dans des enclos pour des clients. Il tente de négocier et donne rendez-vous à Devlin à la foire du comté pour régler sa dette. En guise d'avance, il donne une de ses esclaves, Poppy, à Devlin.
La jeune fille, une fois remise, raconte comment Mary Ann se procure des esclaves comme elle dans un orphelinat du Missouri. Dégoûté, Devlin promet de s'en occuper une fois son premier boulot réglé. A la foire du comté, il retrouve Mary Ann qui lui remet un paquet censé contenir l'argent mais dans lequel il trouve des morceaux de viande. Il gifle Mary Ann dont les sbires se lancent à la poursuite de Devlin et Poppy qui venait de revoir sa meilleure amie Violet...
Prime Cut (en vo) se présente comme un énième film de gangsters, avec pour enjeu une important somme détournée que la mafia irlandaise réclame à un de ses représentants. Mais très vite, on comprend que l'histoire prend une tournure inhabituelle, à la fois plus simple, directe et choquante, empruntant effectivement au film de gangsters, au cinéma d'exploitation et à une sorte de reportage détraqué.
L'intrigue du script écrit par Robert Dillon est sommaire : Devlin doit obtenir de Mary Ann qu'elle rembourse un paquet de dollars qu'il a utilisé non pas pour payer la mafia mais pour son business. L'affaire va immédiatement dégénérer et se dénouer lors d'une longue fusillade finale. Voilà, c'est à peu près tout.
Mais le film, mis en scène par Michael Ritchie (Votez McKay !), venu du documentaire, s'engage dans une direction qui transcende ce matériau brut. L'objectif est affiché et assumé : il faut choquer le spectateur par des sous-entendus ou par du graphisme cru afin que l'histoire décolle et nous surprenne. Il s'agit de transformer un pitch qui aurait fait un court-métrage en un film de 90'.
A plusieurs reprises ainsi, au lieu d'ellipses pour dynamiser la narration, Carnage (en vf) prend son temps. Cela produit parfois des effets comiques (comme quand le jeune O'Brien demande à Devlin s'il veut bien saluer sa mère), parfois cela produit d'étranges flottements (quand Devlin dîne avec Poppy observée lubriquement par les hommes et sous le regard offusqué des femmes).
Ritchie semble prendre un malin plaisir à différer le plus possible les explosions de violence. Pourtant il débute son film en nous montrant la chaîne d'un abattoir depuis l'arrivée du bétail, l'abattage des bêtes, leur découpe, leur traitement. Et on se rend compte alors qu'une partie de la viande est celle d'un être humain quand sur les tapis on aperçoit une paire de chaussures, puis une montre-bracelet.
Quand Devlin arrive dans la grange de Mary Ann, on ne se rend pas tout de suite compte que ce sont de jeunes femmes nues et droguées dans les enclos. Tout comme, lorsque Devlin et Poppy fuient à travers la foire, ils passent devant un stand de tir en freinant parce qu'il sait que les hommes armés qui les traquent ne vont pas ouvrir le feu avec la foule autour.
Le clou de ce spectacle intervient quand Devlin et Poppy courent dans un champ de blé et se cachent des tueurs qui les cherchent. Ceux-ci, les ayant perdus de vue, rebroussent chemin... Mais c'est alors qu'une moissonneuse-batteuse fond sur le couple. Ritchie filme l'engin comme un monstre, depuis la cabine du pilote, et les scies de l'appareil se rapprochent de plus en plus.
Les méchants du film sont des rednecks dégénérés, à l'image du tandem formé par Mary Ann et Weenie. Les prénoms des deux frères sont féminins et leur relation a des accents incestueux. Leurs sbires ressemblent tous à des post-ados issus des jeunesses hitlériennes. C'est absolument sordide, à dessein. Face à eux se dresse Devlin.
D'ailleurs, à l'exception du règlement de comptes final (où il se sert armé d'une mitraillette), Devlin semble répugner à se battre avec une arme. Il compte sur sa carrure pour en imposer naturellement à ses vis-à-vis et la seule fois où il lève la main, c'est pour gifler, comme on le ferait à un gamin grossier, Mary Ann.
En définitive, tout cela ressemble à un film de chevalerie déguisé en film de gangsters. Les rednecks sont des barbares qu'un chevalier en armure blanche vient punir et auxquels il arrache au passage une pauvre fille vierge et orpheline réduite à la condition d'esclave sexuelle. Entre le preux chevalier et le chef des barbares, une femme qu'ils ont tous deux aimés et qui aimerait suivre le chevalier.
Lee Marvin campe Devlin avec son charisme habituel. Il n'a pas besoin d'en faire des caisses pour impressionner, il possède l'assurance de ces hommes à qui on fait appel quand il n'y a plus personne pour résoudre le problème. Face à lui, Gene Hackman joue une brute abjecte qu'on souhaite voir châtier et dont le sort final est à la mesure des abominations qu'il a commises.
Sissy Spacek, pour son premier rôle, un an avant La Balade Sauvage (Terrence Malick) qui la révélera au grand jour, est lumineuse et touchante. Gregory Walcott joue le frère d'Hackman, complètement cinglé. Et Angel Tompkins est une vraie apparition, d'une sensualité explosive.
Porté par une musique superbe de Lalo Schifrin, Carnage est un très curieux polar, mais qui brouille les codes de la manière la plus efficace qui soit. Ce genre de pépite qu'il serait vraiment impossible de faire aujourd'hui.







Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire