Arkansas, années 1930. Bertha Thompson est encore une jeune fille insouciante quand elle perd son père, pilote d'épandage, lors du crash de son avion. Elle prend la route en compagnie de son ami, Van Morton, joueur d'harmonica et mécanicien, victime du racisme à cause de sa couleur de peau. C'est la Grande Dépression et ils se joignent aux vagabonds qui se déplacent clandestinement à bord de wagons de train. Ses pérégrinations valent à la jeune fille le surnom de "Boxcar Bertha".
Les routes de Bertha et Van Morton se séparent à cause des persécutions policières contre les passagers clandestins. Elle rencontre alors Big Bill Shelby, un syndicaliste qui essaie de fédérer des ouvriers pour se révolter contre les conditions de travail et les bas salaires des compagnies ferroviaires. Séduite par son charisme, elle devient son amante et poursuit son chemin lorsque la milice de Sartoris, patron de la compagnie de train, incendie le campement des syndicalistes.
Craignant que Bertha ne soit jetée en prison avec lui, Bill l'oblige à sauter d'un train avant l'entrée en gare et l'intervention de la police. Elle croise alors un joueur de dès et de cartes, Rake Brown, venu du Nord et de confession juive. Elle l'aide à effacer son accent et à pénétrer des cercles de jeu de plus en plus huppés. Lors d'une partie de poker où il est surpris en train de tricher, Bertha sauve Rake en tuant son adversaire. En cavale, ils retrouvent Bill et Van Morton avec qui ils décident de se lancer dans des braquages...
Boxcar Bertha (en vo) est le deuxième long métrage de Martin Scorsese, après Who's Knocking at my door ? (1967). Le réalisateur vient d'être remarqué par Roger Corman pour sa participation au montage du film-concert de Woodstock (Michael Wadleigh, 1970), toujours en quête de nouveaux talents pour sa maison de production.
Corman a connu un joli succès commercial avec Bloody Mama (1970) et aimerait en faire une préquelle. Il soumet le script écrit par le couple Joyce et James Corrington à Scorsese, inspiré de la vie de la vraie Bertha Thompson, et le réalisateur pense qu'il y a matière à une histoire originale. Corman finance le projet pour 600 000 $ et 24 jours de tournage.
Il impose aussi ses conditions à Scorsese : le casting et des scènes de sexe et de violence dans la plus pure tradition du cinéma d'exploitation dont Corman est devenu un champion. Pourtant Scorsese va réussir à glisser des références personnelles dans cette commande, lui qui, depuis tout gamin, est un cinéphile averti (en raison de son asthme précoce, il a écumé les salles de cinéma car elles étaient équipées de climatiseurs).
Comme il le fera remarquer ensuite, au tout début du film, Bertha est coiffée comme Dorothy dans Le Magicien D'Oz (Victor Fleming, 1939). Comme l'héroïne du livre de Lyman Frank Baum, c'est encore une jeune fille lorsqu'on fait sa connaissance et son périple ensuite ressemble à celui de Dorothy dans le pays d'Oz.
Les personnages de Bill, Rake et Morton sont des équivalents respectivement à l'épouvantait, à l'homme de fer blanc et au lion peureux. La construction du récit ressemble à une boucle : qu'importe les efforts des personnages pour échapper à leur sort, tout semble les ramener à leur point de départ. Ils se rencontrent, son séparés, se retrouvent.
Leur moyen de locomotion, le train, est aussi celui de leurs malheurs : dans les années 30, les vagabonds les empruntent clandestinement pour se déplacer à travers les Etats. Le contexte est rude : la Grande Dépression a jeté sur les routes des familles entières sans abri suite au crash du Jeudi Noir, une crise ayant pour origine l'achat à crédit de biens immobiliers.
Les ouvriers doivent travailler pour un salaire de misère dans des conditions inhumaines et la syndicalisation est sévèrement réprimée, assimilée à la politique menée par les communistes depuis la révolution bolchévique de 1917. De plus, dans le Sud des Etats-Unis, sévit toujours la ségrégation raciale contre les noirs, séquelle de la guerre civile et de l'abolition de l'esclavagisme.
Malgré ces éléments très sombres, le film de Scorsese séduit par son énergie, sa fraîcheur, à l'image de son héroïne, jeune fille insouciante, pleine de ressources, jamais abattue par les événements. Doté d'une volonté farouche, elle est amie avec un harmoniciste noir, aime un syndicaliste, alliée d'un joueur professionnel, et quand le quatuor se forme, il semble inarrêtable.
Corman avait compris que le succès rencontré par Bonnie & Clyde (Arthur Penn, 1967) avait non seulement ouvert l'appétit du public pour les histoires de gangsters mais aussi pour cette période historique. Il décide donc d'exploiter un filon en montrant le gang de Bertha comme des espèces de Robin des bois, volant aux riches pour partager avec les désoeuvrés.
Evidemment, cette vision des choses est très romancée et la méthode est cynique. Mais Scorsese, tout en respectant le cahier des charges imposé par son producteur, soigne la caractérisation des personnages, et tente de structurer le récit. Il subsiste des maladresses, mais le rythme emporte tout, et, avec le recul, c'est un des très rares films du cinéastes à mettre une héroïne en avant.
La réalisation est parfois hésitante mais on voit que Scorsese tente des choses qu'i perfectionnera ensuite, comme des mouvements de caméra très dynamiques, des angles de vue atypiques, un montage vif. Le manque de moyens l'empêche de procéder à une reconstitution soignée, mais comme l'action se déroule majoritairement en extérieurs et dans la campagne, ce n'est pas trop voyant.
A la fin, il peut même déjà imprimer sa marque quand il montre le châtiment infligé à Bill, une scène qui anticipe La Dernière Tentation du Christ (1988), avec en prime la même actrice à 16 ans d'intervalles. L'effet est saisissant, comme si tout était déjà encapsulé dans cet opus. De même, la vengeance de Van Morton renvoie aux règlements de comptes mafieux que Scorsese a souvent filmés ensuite dans ses opus les plus fameux (Les Affranchis, Casino...).
Barbara Hershey, 24 ans à l'époque, illumine le film par sa grâce, sa jeunesse et sa fougue : elle est d'une beauté sauvage irrésistible et donne le la à tout le film par son interprétation sans fards. A ses côtés, David Carradine, son compagnon de l'époque, joue le contraste, tout en simplicité, en subtilité (Hershey affirmera que leurs scènes d'amour n'étaient pas simulées).
Barry Primus et Bernie Casey complètent leur bande, dans cette même opposition de caractère (expressif, sobre). Et on s'amusera de voir John Carradine, le propre père de David, dans le rôle de l'infâme Sartoris, qui traque ces braqueurs avec sa milice : ce grand acteur, qui s'illustra chez John Ford avant de terminer sa riche carrière dans des séries Z d'horreur, est impeccable.
Bertha Boxcar n'est pas sans défaut, mais l'investissement de son réalisateur et des acteurs comblent ses défaillances. Une (re)découverte à faire.







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