Harry Caul est un expert en surveillance, spécialisé dans les enregistrements audio. Lui et son équipe sont embauchés par un client, chef d'entreprise, pour espionner un couple qui se retrouve et déambule dans Union Square à San Francisco. Malgré les bruits de fond, Harry mixe et filtre de façon à créer un enregistrement clair de leur conversation dans laquelle une phrase l'interpelle : "il nous tuerait s'il en avait l'occasion".
Bien qu'il cherche à protéger sa propre vie privée et professionnelle de manière obsessionnelle, Harry tente de se persuader qu'il n'est pas responsable de la manière dont ses clients exploitent les informations qu'il leur fournit. Pourtant il est hanté par une mission qui a mal tourné et abouti à la mort de trois personnes. Et il n'hésite pas à quitter brusquement une femme avec laquelle il a une relation dès qu'elle tente de percer ses secrets - alors qu'il affirme n'en avoir aucun.
Lorsqu'il doit remettre en main propre l'enregistrement à son client, l'assistant de celui-ci tente de le convaincre de le lui donner et il le transmettra. Harry refuse : il est convaincu que ce qu'il a entendu pourrait compromettre la vie du couple qu'il a espionné. Il se rend dans un salon d'équipement de pointe dans son domaine et y croise Moran, un concurrent. Celui-ci est en compagnie de Meredith, son assistante, avec qui Harry passe la nuit. Pour découvrir à son réveil qu'elle lui a volé l'enregistrement...
The Conversation (en vo) a valu sa première Palme d'Or à Francis Ford Coppola. Pourtant, contrairement à Apocalypse Now (pour lequel il en remportera une seconde), ce film est quelque peu tombé dans l'oubli, comme éclipsé par les longs métrages plus grandioses du cinéaste (la trilogie Le Parrain, Dracula...).
Comme je suis une lancée de films paranoïaques, Conversation Secrète était impossible à zapper. C'est un sommet du genre, même s'il traite du thème de manière plus perverse que les autres classiques que j'ai pu évoqués (ceux de Pakula). En effet, ici, l'enjeu est déplacé : il ne s'agit pas de découvrir un complot, mais de savoir si il y a un complot.
Que se passerait-il en vrai si vous étiez convaincu qu'un événement horrible mais camouflé allait se produire mais que vous vous trompiez de cible ? C'est ce qui va arriver à Harry Caul, une légende de la surveillance sonore, qu'on a chargé d'espionner un couple, qui découvre qu'il s'agit d'amants adultères, vraisemblablement menacés de mort par le mari trompé s'il était au courant.
Une simple phrase prononcé dans une conversation entre les deux amants agit comme une mèche d'un bâton de dynamite qu'on a allumée pour Harry Caul : "il nous tuerait s'il en avait l'occasion". Lui le prend comme une alerte sérieuse et quand il découvre que son client est le mari trompé, il est certain de l'issue dramatique de l'affaire.
Il refuse d'abord de donner à l'assistant de son client l'enregistrement compromettant, sous prétexte qu'il devait le remettre en main propre au commanditaire. Puis il se le fait voler après avoir été humilié par un rival et une femme qui a parfaitement su l'embobiner. Mais Il ne lâche pas le morceau et décide alors de tenter d'éviter le pire.
La vérité sidère le héros comme le spectateur, nous nous sommes faits rouler dans la farine. Pourtant Conversation Secrète n'est pas un film qui repose sur un twist, un retournement de situation. C'est d'abord et avant tout le portrait d'un maniaque qui va être pris à son propre jeu, c'est l'arroseur arrosé jusqu'à la folie.
Je me rappelle que la première fois que j'ai vu ce film, j'avais été très impressionné par sa scène finale où, littéralement, Harry Caul dévaste son appartement, persuadé qu'on y a placé un micro. Il inspecte son téléphone, son lustre, tout ce qui peut cacher un appareil de surveillance. Puis on assiste à un crescendo délirant où il ravage son domicile, démontant les plinthes, les lattes de son plancher...
Je ne spoile rien en vous révélant cela : ce qui compte, c'est pourquoi il en vient à de telles extrèmités, comment lui, cet homme control freak, pète les plombs et pense être à son tour épié, surveillé comme les gens qu'il a lui-même espionné. Tout ça parce qu'on lui a dit d'arrêter son enquête et qu'il était sur écoute.
C'est le plus fascinant ici : il suffit qu'on lui dise cela pour qu'il le croit, au point de retourner son appartement. Sans rien trouver. A moins qu'il est omis le seul objet dans lequel pourrait se cacher un micro, tellement évident que c'est le seul auquel il ne pense pas. C'est absolument diabolique. La scène est si intense, si puissante que je m'en souvenais comme d'un long moment... Alors qu'elle dure moins de cinq minutes. Mais cinq minutes folles.
Auparavant on aura eu le loisir de vérifier que s'il est un professionnel accompli, une légende même dans son milieu, Harry Caul peut être aussi complètement à côté de ses pompes. Par exemple il s'étonne que sa concierge possède un double de la clé de son appartement, qu'elle sache son âge et le jour de son anniversaire, que sa maîtresse reconnaisse que c'est lui rien qu'à sa façon d'ouvrir une porte, etc.
The Conversation est le drame d'un homme qui pense tout maîtriser dans son existence mais est trop envoûté par ce qu'il entend pour se rendre compte de ce qu'il n'entend pas. Il perd ses nerfs quand son grand rival réussit à enregistrer sa discussion avec une femme pour rigoler. Il croit qu'un mari cocu va tuer sa femme et l'amant de celle-ci sur la base d'un simple phrase. Il devient fou quand on lui dit qu'il est sur écoute. Il fuit quand sa maîtresse essaie de savoir qui il est, ce qu'il pense, ce qu'il ressent.
Ici, donc la paranoïa gagne surtout parce qu'elle ronge depuis toujours, sans raison valable, un homme qui passe sa vie à chercher un son compromettant. Mais à force de le chercher, il finit par trouver, non pas la vérité, la révélation, mais juste quelque chose qui justifie son obsession. Il a beau aller se confesser parce qu'il n'assume pas ce qu'il fait, il le fait quand même, et s'entête dans un délire. Jusqu'à l'absurde.
Gene Hackman, qui a disparu en Février dernier, a eu beaucoup de mal à jouer ce personnage et cela a d'ailleurs causé quelques tensions avec Coppola qui insistait pour qu'il joue de la façon la plus retenue possible. Coppola voulait Hackman précisément parce qu'il avait l'habitude de rôles plus extravertis, il cherchait le contre-emploi et Hackman résistait. Pourtant, avec le recul, l'acteur a admis que c'était une de ses meilleures performances. Il est impressionnant, tendu, dévoré, consumé.
John Cazale, comédien précocement mort à 42 en 1978 (il était aussi le compagnon de Meryl Streep), lui donne la réplique avec assurance, souvent dans le registre du camarade qui aimerait être estimé comme un ami et pas seulement comme un collègue. Harrison Ford brille dans un emploi antipathique (qu'il a rarement repris ensuite). Robert Duvall ne fait que passer. Cindy Williams et Frederic Forrest incarnent les amants. On a là une troupe fabuleuse, dont les membres deviendront des habitués de Coppola et de ses amis (George Lucas, Steven Spielberg...).
Enfin il faut mentionner l'exceptionnel sound design de Walter Murch et la photo d'abord signée par Haskell Wexler (viré après la scène inaugurale) puis Bill Butler (pour toute la suite du film). Outre la mise en scène précise, chirurgicale même de Coppola, ils sont les autres artisans de cette réussite.
Conversation Secrète est un chef d'oeuvre à réhabiliter. C'est aussi une expérience immersive qui a dû inspirer aussi bien David Lynch que David Fincher ou Christopher Nolan.







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